Trois jours. Cela fait trois jours que j'erre presque comme une âme en peine entre la partie du campement militaire qu'occupe mon unité et le village le plus proche. Trois jours que je suis la seule de mon unité à ne pas dormir à poing fermé depuis tout ce temps et que je cherche à réveiller certains d'entre eux. Si au bout de quelques heures, le premier jour, j'ai fini par me décider à envoyer un message à la capitale pour savoir quoi faire, ou au moins avoir des renforts par rapport à tout cette histoire, mon idée s'est vite retrouvée compromise. Et pour cause, les responsables des oiseaux messagers étaient eux aussi victimes de ce même foutu sommeil dans lequel sont plongés mes hommes.

Face à cette situation, j'ai fini par me décider à quitter le campement pour rejoindre le village le plus proche. Personne ne pourra réellement m'accuser de désertion étant donné que tout le monde dort… Et que si j'ai quitté le camp pour aller voir les civils, c'était uniquement pour chercher à trouver de l'aide, une solution, quoi que ce soit qui me permette de réveiller ces tire-au-flanc ayant trouvé un excellent prétexte pour ne pas continuer les entrainements prévus. Mais une fois au village le plus proche, je n'ai trouvé aucune réponse. Sans véritable surprise pour moi, je dois bien l'avouer. J'ai bien été tenté de profiter d'être dans le village pour tenter de joindre d'autres campements mais… Le seul messager du village n'était pas là et son retour n'était prévu que le lendemain. Mais lorsque le lendemain vint, une partie du village se retrouva tout autant toucher que mon unité par cet étrange sommeil profond dont personne ne semblait s'éveiller…

C'est après avoir vu avec l'autre partie des habitants, ceux encore bien éveillés comme moi, s'ils pouvaient s'occuper pour moi d'avertir au plus vite la capitale de notre situation que j'ai décidé de retourner au campement. Avec un peu de chance, le fait que les habitants d'ici aient été touchés pouvait vouloir dire que certains au campement s'étaient réveillés… Mais non, à mon arrivée, ils dormaient toujours tous autant à poing fermé. Si je réussis de justement à contenir ma rage pour ne pas mettre le feu à plusieurs tentes, histoire de la faire passer, des bruits un peu plus en avant du campement, vers une autre partie occupée par une autre unité que la mienne, finissent par attirer mon attention et me détourner de mon fort agacement.

Arc en main et flèche encochée pour tirer sur d'éventuels pillards profitant de la fainéantise des militaires présents dans ce campement, je commence à m'avancer avec prudence et discrétion vers l'origine des bruits. Je suis même en train de me dire que je peux très bien utiliser également ma maîtrise des flammes et des éclairs si cela s'avère nécessaire quand, au détour d'une tente, mon regard tombe sur la silhouette de deux personnes en train de parler. Si celle du jeune homme ne me dit pas grand-chose, pour ne pas dire rien du tout, il ne me faut même pas une seconde pour reconnaître celle de la femme à ses côtés… Et alors que je soupire déjà en retirant ma flèche de la corde de mon arc pour la ranger, je commence déjà à me demander jusqu'où il faudra que je m'éloigne de Hikyo pour ne plus avoir à croiser et supporter Kaori. Mon arc toujours à la main, je finis quand même par m'avancer sans plus chercher à me cacher vers la Sakai et celui que j'imagine déjà être l'un de ses apprentis corrompus à leur sorcellerie immonde.

- Dois-je vraiment être surprise de vous voir réveillés ?

Ne puis-je m'empêcher de lancer à leur attention autant pour signaler ma présence que pour les saluer. Mais d'un autre côté, maintenant que je sais ma détestée dans les parages, et accompagnée par un autre disciple de ce Temple impie qu'elle a rejoint, je pense ne plus avoir besoin de chercher bien loin l'origine de ce qu'il se passe ici.

- Bon sang mais qu'est-ce que tu as encore inventé pour mettre tout un campement militaire dans cet état ?!

Crache-je presque à l'adresse de la Sakai, et uniquement vers elle en ignorant complètement son apprenti que j'ai déjà jugé comme parfaitement inutile dans cette histoire, tout en parcourant les derniers mètres me séparant d'eux. J'avais bien entendu la rumeur comme quoi des cultivateurs - ou quel que soit le nom qu'ils se donnent - avaient rejoint notre campement quelques jours plus tôt. Mais ils étaient censés être installés de l'autre côté de ce dernier par rapport à mon unité et je n'avais pas jugé utile de chercher à savoir si cette rumeur était fondée ou non. Mais de toute évidence, oui, elle était bien comme pouvait en attester la présence de Kaori et l'autre jeune sorcier.

La simple vue de sa silhouette suffit à me rendre encore plus agacée que je ne le suis déjà à cause de cette situation. Impossible à mon sens que Kaori ne puisse être la personne envoyée pour la régler, cette même situation, étant donné que je n'ai envoyé un message pour en faire état à Hikyo que la veille. Le temps qu'ils reçoivent le message, prennent une décision et qu'elle fasse la route avec son apprenti jusqu'ici… Non, elle ne peut pas être les renforts, pas si vite. Et l'entendre me répondre de cette façon, la voir agir de cette manière… Mais là encore, dois-je vraiment être surprise de sa part ? Même si bien vite, elle envoie son apprenti ailleurs, comme si elle savait déjà que je n'allais pas tarder à exploser. Et la voir me connaitre autant, capable de lire en moi si facilement, ne fait qu'augmenter encore un peu plus mon agacement qui se transforme déjà en colère. D'autant plus qu'elle semble bien décidée à flirter, comme toujours, avec les limites de ma patience, commentant toute cette situation comme bien trop grotesque pour être son œuvre.

- Comme si tu avais des limites, aussi bien hautes que basses.

Siffle-je entre mes dents alors que mon regard chargé de colère ne la quitte pas. Et que sans même comprendre pourquoi je fais ça ou sans parvenir à m'en empêcher moi-même, je m'approche déjà d'elle. Bien trop dangereusement d'elle d'ailleurs. Mais au lieu de me reculer, je continue et ne finis par m'arrêter qu'une fois mon visage à quelques centimètres du sien. Par les esprits mais qu'est-ce que cette femme a bien pu me faire pour continuellement et perpétuellement me mettre dans des états pareils ?

- Cela t'amuse peut-être Ori, mais ce n'est absolument pas mon cas. Dois-je vraiment te rappeler que nous sommes censés nous préparer pour partir à Omashu ?

Continue-je pourtant de dire à voix basse et d'un ton rempli de rage. Une rage alimentée par sa présence et cette manière que mon corps a de ne plus réellement vouloir m'obéir face à elle. Mais quoi qu'il en soit, je devrais savoir depuis le temps que Kaori n'a que faire de ma carrière militaire ou de ce que je peux risquer lorsque je suis au front. Alors à quoi bon essayer de lui faire réaliser que cela n'a rien d'un jeu, que nous avons besoin de la moindre heure possible pour nous préparer au mieux à reprendre le siège de ce bastion du Royaume de la Terre ? Essayer de lui faire réaliser que cela revient indirectement à jouer aussi avec ma vie ? Tss, cela ne ferait sans doute que l'amuser encore plus, si tant est qu'elle y accorde une quelconque importance.

- Comment réagirais-tu si les rôles étaient inversés et que c'était mon unité et moi qui venions mettre la pagaille dans ton précieux Temple ?

Finis-je pourtant par lui demander, toujours de cette voix basse dans laquelle vibre ma colère, lorsque je décide de changer d'approche. Elle qui ne jure que par son Temple impie, peut-être que cela la fera enfin réagir. Lui fera enfin prendre conscience de combien la situation est sérieuse et n'a rien d'une blague, qu'elle la trouve grotesque ou non. Elle n'a pourtant pas réellement le temps de me répondre, ou même de reculer, que son apprenti revient déjà et commence à se montrer d'une insolence similaire à celle de Kaori à mon égard. Particulièrement sur la fin de sa petite lecture à voix haute, attirant alors sur lui mon regard autant rempli de colère que de mépris.

- Ton maître peut se permettre une certaine familiarité et insolence avec moi. Ce qui n'est absolument pas ton cas. Sauf si tu ne tiens pas à ton intégrité physique.

Lui répond-je presque aussitôt d'une voix glaciale cette fois-ci, contrastant à la perfection avec le feu qui brule en moi et me murmure déjà de le carboniser sur place pour lui apprendre le respect. Ce que j'aurais sans doute fait, sans aller jusqu'à le tuer pour autant - quoi que ? - s'il avait été n'importe qui d'autre que l'apprenti de ma détestée. Le simple fait que je lui donne cet avertissement, et le seul qu'il aura de ma part, est déjà en soit un privilège octroyé par la présence de Kaori. Et je sais parfaitement que la princesse bâtarde toujours à côté de moi sait elle aussi parfaitement tout cela. Ne suis-je pas régulièrement tourmenté par sa facilité à lire en moi et à jouer avec mes limites, se sachant la seule à réellement pouvoir le faire de cette manière sans risquer plus que des paroles venimeuses de ma part ? Ou peut-être passer à travers une table basse comme cela est déjà arrivée, mais ceci est une autre histoire à laquelle je préfèrerais ne pas repenser pour l'heure.

Et me voilà déjà à tourner de nouveau mon regard sur ma détestée, la fixant en silence durant quelques secondes. Ces quelques secondes qu'il me faut pour me faire à l'idée qu'il n'y a pas trente-six solutions à cette situation dans laquelle se retrouve ce campement militaire. Pour me faire à l'idée que cette fois-ci, je n'ai pas d'échappatoire possible pour m'éloigner d'elle et ne pas rester dans ses parages. Cela ne dure vraiment que quelques secondes effectivement, avant que je ne finisse par soupirer tout en levant un court instant les yeux au ciel, déjà de nouveau agacée par le fait de ne pas avoir d'autres choix que celui de céder.

- Dire que je pensais n'avoir jamais à travailler avec toi…

Laisse-je échapper à son égard au milieu de mon soupir, juste avant de me décider enfin à me détourner d'elle pour faire quelques pas loin d'elle. Cela ne se fait pas de gaieté de cœur, et la réciproque est sans nulle doute vraie également, mais je sais bien que je n’ai pas vraiment d’autres choix que celui de coopérer avec son apprenti et elle pour résoudre au plus vite cette situation. Je me mets même à l’inviter d’un léger signe de la tête qu’elle doit bien me connaître à me suivre vers une partie du campement. Là où les premiers cas se sont manifestés, même si je ne lui ai pas encore fait part à l’oral de cette information. Et avant qu’elle ne se décide à malmener encore une fois un des soldats endormis présents sur le camp, je me fais violence pour montrer ma bonne volonté - bien que je manque m’étouffer en pensant cela - et partager les quelques informations que j’ai déjà par rapport à ce qu’il se passe ici.

- Et inutile de continuer ton manège, rien ne les réveille. Excepté la foudre, j’ai déjà presque tout essayé.

Annonce-je donc en continuant de marcher, espérant que Kaori ne profite pas de ma dernière phrase pour me faire un nouveau commentaire désobligeant sur mon incapacité à générer le moindre petit arc électrique en sa présence malgré ma maîtrise de la foudre le reste du temps. Mais l’heure n’est pas vraiment à ce genre de chamailleries puériles même si cela reste bien son genre de profiter de l’occasion pour placer une nouvelle pique à mon égard.

Lorsque nous finissons par arriver près du centre du campement, bien plus ordonné et organisé que la périphérie de celui-ci en raison de la présence des tentes des hauts gradés - dont la mienne un peu plus loin -, je leur indique d’un geste de la main une tente entièrement ouverte sur les deux côtés de sa longueur et au milieu duquel se trouve la table des cartes des environs. Ai-je réellement besoin de dire qu’il y a également six gradés endormis autour ou sur cette même table, ainsi que plusieurs aides de camp et un caporal ? Bien que je doute durant quelques instants que les deux cultivateurs avec moi soient capable de lire aussi aisément les grades sur les uniformes de notre armée, mais cela reste une autre histoire.

- Les premières victimes de ce qu’on m’a rapporté. J’étais en manœuvre avec mon unité quand ils se sont endormis et ne suis revenue que plusieurs heures après.

J’avais pensé que mon unité serait à l’abri de ce sommeil aussi étrange que frustrant pour moi, car nous étions en dehors du campement au début de cette histoire. Et que je n’ai moi-même pas été victime de cela. Pour une raison qui m’est d’ailleurs inconnue étant donné que nous sommes revenus en même temps, mes hommes et moi… Des informations que je pourrais sans doute exprimer à haute voix à l’intention des deux cultivateurs mais je doute que cela les intéresse plus que cela à vrai dire. A croire que le mépris de Kaori pour ma personne a tendance à me faire taire des choses que je ferais mieux de partager vu la situation. Je ne tarde d’ailleurs pas à me tourner une nouvelle fois vers son apprenti et ma détestée pour reprendre une dernière fois la parole.

- Le village à proximité a aussi en partie été touché par… Cette chose.

Finis-je par dire après une légère hésitation, pas vraiment sûre de savoir comment nommer ce qu’il se passe. Malédiction, sortilège, blague de très mauvais goût, expérimentation de cultivateur raté… Beaucoup d’autres manières bien moins polies et sympathiques me viennent à l’esprit pourtant. Mais comme je l’ai dit, et malgré mon fort ressentiment à l’encontre des membres de ce Temple impie, l’heure n’est pas aux chamailleries futiles et puériles avec les cultivateurs.

Je ne peux m’empêcher de rouler des yeux au murmure de Kaori sur l’impertinence de son apprenti que je n’ai pas hésité à avertir, à ma façon, des conséquences que pourrait avoir son comportement vis-à -vis de moi s’il venait à le répéter. Par les esprits ce que cette femme peut m’agacer ! Je ne lui fais pourtant pas le plaisir de continuer cet échange, préférant me concentrer sur des choses bien plus prioritaires que l’estime d’eux-mêmes de ces sorciers, à savoir les causes de l’état de mon campement. Et si je capitule presque, assez vite en plus pour une fois, sur l’idée d’avoir à travailler avec eux, voilà que ma détestée en profite pour me lancer de nouveau une petite provocation qui lui attire aussitôt un regard noir de ma part. La réciproque est tout aussi vraie, du moins, c’est ce dont j’essaye de me convaincre, de me persuader moi-même que je n’aurais aucune hésitation à l’attaquer si nécessaire. Fort heureusement, son apprenti semble trop occupé à se morfondre dans son coin pour ne pas en rajouter une couche. Peut-être a-t-il compris qu’effectivement, contrairement à son maître, lui, je n’aurais pas le moindre état d’âme à l’attaquer physiquement en cas de nouvelle provocation…

C’est, sans surprise, toujours sur les nerfs et particulièrement tendue que je commence malgré tout à les guider à travers une partie du camp. Enfin, si guider peut réellement être le terme étant donné que je prends à peine le temps de m’assurer qu’ils me suivent bien. Je ne prête pas la moindre attention à leur petit échange dans mon dos, ne sachant même pas son sujet et m’en fichant un peu pour le coup. Je ne devrais pas, je le sais bien. Mais il faut croire que la Sakai provoque toujours le même effet sur moi, quel que soit le nombre d'années qui se sont écoulées depuis que nos mères ont eu cette idée insensée de vouloir faire de nous des amies d’enfance. Je me tourne de nouveau vers les deux cultivateurs - comme aiment se faire appeler ces sorciers - qu’au moment d’arriver au niveau de la tente servant d’état-major à ce campement, daignant enfin leur donner quelques informations supplémentaires quand ils me rattrapent. Des informations qui ne tardent pas à soulever des questions de la part de ma détestée.

- Toute la journée. Du lever du soleil à son coucher.

Réponds-je presque immédiatement à sa première question, de manière aussi conscise et précise qu’elle dans son interrogation. L’heure est aux faits et non aux vaines prises de becs, j’en ai bien conscience et c’est bien pour cela que je me suis remise dans mon rôle de Commandante et non plus simplement de Kuroda Akane, la civile exaspérée par la présence de la princesse bâtarde. Cette dernière semble pourtant à peine écouter ma réponse qu’elle me pose déjà une nouvelle question, comme si elle venait d’avoir une révélation.

- L'aide de camp du Commandant Haru. Le gamin là-bas.

Lui réponds-je encore une fois, tout en désignant de la main le jeune homme de dix-sept ou dix-huit que je viens d’évoquer, endormi près de l’une des entrées de la tente, à même le sol. Inutile je pense de préciser aux deux autres qu’il a lui aussi fini par succomber à cet étrange sommeil, son état parlant pour lui. Je garde également pour moi le fait que je l’avais fait mon aide de camp l’espace de quelques heures, avant qu’il ne s’endorme à son tour, et que s’il se trouvait dans cette tente, c’était parce que je lui avais demandé de venir chercher des documents présents ici pour moi. Des documents que j’avais fini par venir chercher en personne en ne le voyant pas revenir et le découvrant alors endormi, comme les autres. De toute façon, Kaori est déjà en train d’interroger son apprenti sur l’endroit où il avait trouvé la liste lue un peu plus tôt. Si mon regard se porte un instant sur le jeune homme, écoutant en silence sa réponse, mes yeux ne tardent pas à revenir sur Kaori, lorsqu’elle me demande si mes hommes sont dans le même état. Si je meurs d’envie de lui lancer une réplique cinglante sur le fait que je lui ai déjà dit, je me contente pourtant d’un simple et bref hochement de tête en guise de réponse. Bien que je commence également à ouvrir la bouche, prête à répondre à son soupir sur le fait que je sois encore là, je me fais prendre de vitesse par son apprenti qui m’interpelle alors.

Tournant rapidement le regard vers lui, je fronce l’espace d’une demi-seconde les sourcils face à sa formulation. Comment la Sakai l’a-t-elle appelé déjà ? Seiya ? Ce n’est qu’à cet instant que je reconnais alors le gamin d’une dizaine d’années s’étant introduit dans une caserne d’Hikyo. Un gamin qui a bien grandi depuis le temps - bien que je ne le vois toujours pas totalement comme un homme fait pour l’heure à cause de sa jeunesse. J’arrive pourtant à masquer complètement ma révélation soudaine, cessant déjà de froncer des sourcils avant que cela ne puisse vraiment se remarquer et me contentant là encore d’un nouveau bref hochement de tête à son égard, l’invitant de cette manière à me poser sa question. Bien qu’il ne me laisse pas vraiment le temps de lui répondre avant de se tourner vers son maître pour lui poser à elle aussi une question que me permet de voir rapidement où il veut en venir. Sans doute parce que j’avais pensé à la même chose quand cela ne s’appliquait qu’au campement.

- Non. Nous nous alimentons en eau à la rivière qui passe à l'est du camp. Le village voisin a son propre puits auquel nous ne touchons pas et qui est alimenté par un autre cours d'eau.

Explique-je enfin au jeune homme, sachant parfaitement que je mets dès lors à mal sa théorie de l’empoisonnement par l’eau. Mais je ne peux que le comprendre d’y avoir pensé. Outre le fait que je ne sais que trop bien combien les adeptes du Temple sont versés dans ce domaine, j’y ai également pensé au départ. Avant que le village ne soit touché et que je réalise aussi qu’empoisonner un cours d’eau est bien plus compliqué à réaliser qu’une réserve d’eau comme le puits du village à côté. Et puis, il n’avait pas encore toutes les informations sur la situation du campement pour réaliser qu’il y avait malheureusement des éléments mettant à mal cette hypothèse. Pourtant, après encore un bref regard à l’adresse du jeune homme - qui a presque réussi à me prouver son esprit devenu vif avec le temps - je me tourne de nouveau vers Kaori, plus proche de moi que lui et me permettant alors de m’adresser à elle à voix basse.

- La thèse du poison pourrait expliquer que je sois toujours là… Il faut croire que le nombre de fois où tu m'as prise comme cobaye pour tes poisons en tout genre semble enfin payé.

Bien que j’aurais pu profiter de cette phrase et de ce fait pour le faire passer comme une nouvelle pique à l’égard de ma détestée, mon ton parfaitement neutre trahit facilement que je veux en rester à ça, aux faits. Une autre preuve à ça reste le fait que j’ai baissé la voix pour le lui dire, pour m’assurer de n’être entendue que d’elle alors que j’aurais pu la mettre dans une position délicate face à son apprenti avec ces accusations. Enfin, si accusation est là aussi vraiment le terme adapté quand on sait aussi bien l’une que l’autre combien cela est vrai. Quoi qu’il en soit, je ne tarde pas à reprendre la parole, à volume normal cette fois-ci pour être également entendu par le jeune Matsumoto.

- Mais nous ne partageons ni notre source d'eau, ni notre nourriture avec le village voisin. Donc à part si cela se propage à travers l'air, je ne vois pas comment ça aurait pu les contaminer aussi.

Achèves-je donc, laissant glisser mon regard vers la fin vers le jeune apprenti pour l’inclure lui aussi à ce début de conversation. Bien que là, je garde encore pour moi le fait que j’avais déjà envisagé cette thèse au tout début de cette épidémie, ne voyant pas ce que cela pourrait apporter à notre réflexion sur la cause de tout ceci. Un peu comme le fait que nous ne touchons ni à l’eau ni aux réserves de nourriture des habitants alentours pour éviter de provoquer des manques à la population, entraîner la logistique du campement à gérer notre ravitaillement pour être parfaitement opérationnel lorsque nous serons en territoire ennemi, mais aussi pour justement, esquiver de potentielles tentatives de sabotage de ce genre. Je pense surtout que pour l’heure, nous avons un sujet un peu plus important à traiter que l’impact d’un campement militaire provisoire le temps des préparatifs pour partir au front. Non, actuellement, je m’intéresse bien plus aux raisons pouvant conduire l'entièreté - exceptée moi - de ce dit campement dans un tel état d’endormissement. Et j’espère bien qu’il en est de même pour ma détestée et son apprenti.

Pourtant, mes pensées et mon attention sont attirées quelques secondes plus tard par un étrange bruit un peu plus loin, sur notre gauche. Par pur réflexe militaire, sachant pertinemment que tout le monde, nous trois exceptés, dort profondément sur le campement, je bascule déjà mon arc pour le saisir, et encoche déjà une flèche sur sa corde avant même que les deux sorciers avec moi aient sans doute eu le temps de me voir en attraper une. Le temps de leur intimer le silence d’un geste, je me retrouve déjà à me déplacer à pas de loups pour m’interposer, inconsciemment, entre la source de ce son et Kaori. J'ai à peine le temps de me placer totalement devant ma détestée que le bruit se manifeste de nouveau, plus proche cette fois, et me poussant à tirer déjà sur la corde mon arc. Mais c'est finalement un mouvement, sur notre droite cette fois, qui capte immédiatement mon attention. A peine le temps de réfléchir que je me tourne déjà à la vitesse de ma foudre vers ce même mouvement, décochant alors ma flèche qui vient briser… Un broc d'eau? En pleine lévitation ?

Je décide pourtant de remettre à plus tard mes réflexions alors que je suis déjà en train d'encocher une nouvelle flèche. Cette fois-ci, c'est une des figurines représentant une unité de fantassins, jusque-là posée sur les cartes trônant sur la table un peu plus loin qui se met à s'élever dans les airs. Se elle commence à venir à grande vitesse vers moi, comme si elle venait d'être projetée, je stoppe nette sa course d'une nouvelle flèche. Ce n'est qu'à cet instant que j'aperçois, du coin de l'œil, les 5 flèches en lévitation elles aussi, la tête pointée en direction de Kaori et de Seiya que je me décide à laisser tomber mon arc, me retournant d'un pivot sur ma jambe, avant de lancer une gerbe de flammes pour réduire en cendres les projectiles sur le point d'être lancés. Et au moment même où ce qu'il reste des flèches provenant de je ne sais quel carquois tombent au sol en continuant de se consumer, une sorte de cri que je trouve presque animal mais sans parvenir à en être certaine se met à retentir pas loin de nous. Un des soldats endormis bougea alors brièvement dans son sommeil - une première pour moi, me poussant presque à réinvoquer mon feu, au cas où - et le calme revint presque aussitôt. Du moins, en apparence pour le calme, car je suis déjà en train de cogiter pur chercher tant bien que mal une explication à ce qu'il vient de se passer alors même qu'une légère odeur de poivre semble monter dans l'air.

- Par les esprits, qu’est-ce que c’était que ça ?!

Laisse-je enfin échapper, ma main venant déjà se poser au niveau de mon carquois pour m'assurer que ce ne sont pas de lui que venaient les flèches dont les braises s'éteignent enfin un peu plus loin. Il semblerait que non, et heureusement, ne puis-je m'empêcher de penser sans trop savoir pourquoi. Et alors que je suis sur le point de me pencher pour ramasser mon arc, notant que cette odeur de poivre semble persister dans l'air, je réalise aussi qu'il se peut que la réponse à ma question se trouve au début de celle-ci… Des esprits ? Ici ? Mais dans quel but et pourquoi faire ?