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Il était tôt, très tôt – peut-être même trop tôt de l’avis de certains – quand un jeune coursier me trouva dans la cour de la caserne militaire. Un simple message scellé qui m'était adressé, un simple message lu qui ne tarda pas à me faire soupirer alors que le jeune garçon avait déjà disparu. Sans doute dans l'espoir de pouvoir retrouver son lit encore quelques temps avant sa prochaine mission, bien qu'en réalité, je n'accordais que peu d'importance à ce qu'il pouvait bien faire de son temps. A cet instant, j'étais bien trop préoccupée par cette demande, non, cet ordre, de la part de Kaori de la rejoindre au Temple Pourpre, disant devoir me voir. Pour quelle raison ? Comme à son habitude, la princesse bâtarde qui sait si bien jouer avec mon cœur n'avait pas estimé nécessaire de m'en informer. Dans un nouveau soupir, je fis disparaitre le message dans une gerbe de flammes invoquées au bout de mes doigts.

La preuve disparue et alors que j'avais presque eu envie de ne pas répondre à la convocation de la Sakai, je me retrouve pourtant à marcher en direction du Temple désormais. J'ai quand même fait en sorte de prendre mon temps avant de me mettre en chemin, comme pour faire en sorte de rappeler à Kaori que, même si je vais finir par me présenter devant elle, elle ne peut espérer convoquer une commandante de l'armée de notre Nation sans avoir à souffrir de délai d'attente. Déjà en uniforme des archers Yuyan lorsque le jeune coursier m'avait trouvé, je n'ai pourtant pas encore pris le temps de me faire les peintures de guerre rouge traditionnelles de mon unité sur le visage. J'aurais pu le faire cela dit, pour faire encore un peu plus patienter la Sakai, mais j'avais préféré faire un petit tour à la volière à la place. Le temps de m'occuper un peu de Tiko, mon fidèle compagnon à plume, qui plane maintenant au-dessus de moi, profitant un peu de ces quelques heures de liberté dans les airs. Une petite pensée qui m'arrache un léger sourire en coin alors que je l’entends pousser un cri au moment même où j'arrive aux pieds du Temple Pourpre.

Par réflexe mémoriel ou par habitude, je ne saurais le dire, il ne me faut pas bien longtemps pour arriver en vue de la porte de la salle du Temple dans laquelle j'ai l'habitude de m'entretenir avec Kaori les rares fois où je viens la voir ici. Je ne m’arrête devant que le temps de pousser le panneau avant d'entrer dans la pièce. Et sans la moindre surprise, je peux y trouver la silhouette d'une femme me tournant le dos, assise en seiza.

- Tu as beau me savoir matinale, Ori, je te jure que si…

Commence-je par soupirer d'un ton aussi lassé d'avoir à avouer qu'elle sait ce genre de détails sur moi que légèrement menaçant avec un grondement coincé dans ma gorge concernant ce que j'ai l'intention de lui faire subir si elle m'a fait venir ici pour rien. Pourtant, je ne prends même pas la peine de terminer ma phrase et d'exprimer les idées de mauvais traitements que je compte lui réserver si je me suis déplacée pour rien quand je réalise que l'autre femme présente dans la pièce n'est pas Kaori. A croire que la ressemblance entre les deux femmes m'a bien piégée, même s'il ne me faut pas longtemps pour reconnaître autant la jeune femme que j'avais déjà croiser lors du nouvel an lunaire que la disciple de la princesse bâtarde responsable de ma présence ici. Pourtant, je ne peux m'empêcher d'avoir de nouveau un très léger sourire aux coins des lèvres, ironique pour le coup.

- Il semblerait que cette fois, ce soit moi qui vous ai pris pour quelqu’un d’autre.

Commente-je de façon toute aussi ironique que mon léger sourire en coin, m'étant visiblement très vite remise de l'avoir prise pour Kaori. Et ayant même déjà oublié la vague ressemblance entre les deux femmes qui m'a piégé quelques instants auparavant. Malgré tout, je perds très vite mon sourire et me montre de nouveau assez sérieuse, le visage fermé et presque même sévère. Non seulement parce que je n'ai pas plus de temps que cela à perdre en ces lieux mais aussi parce que je viens de réaliser que cette jeune femme dont je n'ai jamais pris la peine de retenir le nom a dû entendre le surnom que je donne à son Maître depuis notre enfance.

- Savez-vous où je peux trouver Sakai Kaori ?

Finis-je donc par demander de manière assez directe à l'adresse de la jeune femme, me mettant même à croiser les bras au niveau de ma poitrine. Si mon ton n'a pas suffi à faire comprendre à la disciple de Kaori que j'attends une réponse de sa part à ma question, mon attitude le montre parfaitement elle aussi.

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Il y a des agacements que je sais gérer, que je sais cacher, ignorer même. Et il y a ceux qui ont tendances à découler directement des actions ou des paroles de Kaori et qui, tout comme cette maîtresse des poisons, semblent parfaitement savoir comment s'y prendre pour m'obscurcir l'esprit, m'aveugler temporairement, et me laisser m'emporter par ce sentiment plutôt que de chercher à le contenir. Comme ce fut le cas à l'instant, mon entrée dans cette pièce du Temple Pourpre se faisant de façon assez brutale, presque même agressive, comme si j'étais déjà en terrain conquis. Ce qui aurait presque pu se justifier à vrai dire si l'aînée de la fratrie Sakai avait été présente en ces lieux comme je m'attendais à ce que ce soit le cas, et non son apprentie face à qui je me retrouve maintenant. Une apprentie que je reconnais assez rapidement, tant dans ce rôle qu'elle occupe ici, au Temple, auprès de Kaori, qu'en tant que cette jeune femme m'ayant interpelé au milieu de la foule plusieurs mois auparavant, me prenant pour une autre. Une rencontre et une reconnaissance de ma part que je ne cherche même pas à cacher, me montrant de nouveau cynique dès lors pour évoquer une évidence, une ironie du sort entre cette jeune fille et moi.

Puis une question de ma part, une réponse laconique de la sienne, ne faisant là encore qu'évoquer une évidence qui m'a déjà sauter aux yeux bien avant de l'interroger. Je me retiens cependant de me faire cinglante, cassante, en lui annonçant qu'effectivement, j'ai bien remarqué que son maître n'est pas là et que c'est bien pour cela que je lui demande si elle sait où Kaori se trouve. Je lui laisse le bénéfice du doute concernant l'art de la dissimulation, du mensonge et du secret de ce Temple dont elle s'est faite disciple, et que sa réponse n'est liée qu'à cela et en rien à un quelconque déficit intellectuel. Mais pour cela, pour faire cet effort et me retenir de ne pas entièrement laisser libre court à ma nature hautaine, méprisante et autoritaire, je sens la plupart de mes muscles se tendre, à l'image de mon dos qui se met à tirailler légèrement ma vieille blessure à l'épaule gauche, à ce bras que j'ai failli perdre il y a de cela près de dix ans maintenant. Un léger soupir s'échappe d'entre mes lèvres, comme une tentative de laisser échapper toute cette tension, puis je me décide enfin à reprendre la parole pour reposer cette question qui me semble pourtant évidente.

- Auriez-vous une petite idée d'où je peux la trouver à cette heure ?

Demandes-je de nouveau, toujours avec ce ton assez direct et froid qui semble me coller à la peau depuis bien longtemps. Il aurait été dommage de ne pas faire encore un peu plus profiter de ma personnalité si chaleureuse et avenante à cette jeune disciple qui se retrouvait à devoir subir ma sévérité et mon autorité habituelles. Même si une part de moi ne peut s'empêcher de se dire qu'en ayant quelqu'un comme Kaori comme Maître, cette jeune femme dont j'ignore toujours l'identité doit avoir l'habitude de côtoyer ce genre de caractère peu facile à supporter et à manier. Il en faudra sans doute donc un peu plus que cela pour l'impression. Pourtant, je ne tardes pas à la sentir soudainement fébrile face à moi, alors même qu'elle ne m'a toujours pas répondu et ne semble pas avoir l'intention de le faire. Une chose qui aurait eu tendance à me faire soupirer une nouvelle fois dans d'autres circonstances sans doute, à mettre à mal ma patience déjà bien mince.

Mais je n'ai pas le temps de manifester cet agacement que semble avoir parfaitement enseigné Kaori à son apprentie que cette dernière me prend finalement de court, me posant une nouvelle question qui me surprend, me fait légèrement froncé des sourcils alors que je ne suis pas sûre de comprendre ce qu'elle veut dire. Et elle semble parfaitement voir mon incompréhension, ou réaliser peut-être la confusion que pouvait entraîner son interrogation, car elle se met aussitôt à me préciser ses dires. Un silence de ma part comme première réponse, alors même que je me mets déjà à la dévisager quelques instants, laissant ensuite mon regard la parcourir rapidement de haut en bas puis de bas en haut. Et toujours cette expression aussi neutre que peu avenante sur mon visage alors que je m'accorde encore quelques secondes de réflexions, comme pour chercher mes mots bien que je sache déjà parfaitement quoi lui répondre.

- Vu l'âge que vous semblez avoir, il y a plus de chance que vous connaissiez mon frère ou ma sœur que moi, jeune fille.

Ou peut-être ma nièce à la rigueur, la fille aînée de Takezo, qui doit avoir à peu près son âge et dont beaucoup disent qu'elle me ressemble énormément lorsque j'avais le même âge. Mais je préfères garder cette autre possibilité pour moi, ne voyant pas de réel intérêt à une telle précision supplémentaire. D'autant plus qu'il est plus qu'évident à mes yeux que vu mes courts séjours à Hikyo au cours des deux dernières décennies, un chiffre qui doit d'ailleurs plus ou moins correspondre au nombre de printemps connus par la jeune femme en face de moi, il y a peu de chance que je l'ai déjà croisé en dehors du Temple. D'autant plus après avoir passé près de deux ans à Omashu, à en faire le siège avec notre armée, et sans réellement savoir exactement quand elle a décidé de rejoindre le Temple.

- J'ai passé la plupart de ces vingt-quatre dernières années dans les colonies ou au front.

Finis-je par ajouter comme pour préciser, pour expliciter, les raisons pour lesquelles elle a sans doute plus connu un autre membre de ma famille que moi. Mais ma tenue actuelle doit parler d'elle-même à ce sujet après tout, étant déjà en uniforme et seules les peintures de guerre rouge distinctives de mon unité manquant à l'appel. Il est rare en effet que les archers Yuyan restent bien longtemps à Hikyo sans de véritables raisons de le faire. Mais malgré ce genre de détails qui aurait pu aider la jeune femme devant moi à savoir si oui ou non elle me connaissait déjà avant son interpellation au festival du nouvel an lunaire, autre chose attire légèrement mon attention dans sa question, me faisant très légèrement penché la tête sur le côté gauche tout en fronçant de nouveau un peu les sourcils.

- Puis-je vous demander pourquoi ces questions ? Avez-vous un souci avec la famille Kuroda ?

Peut-être que non, peut-être qu'elle cherche simplement à me trouver un lien avec cette personne avec qui elle m'a confondu il y a plusieurs mois, peut-être est-ce juste de la curiosité de sa part. Si cela est le cas, elle vient d'obtenir une information de ma part avec le nom de mon clan, bien qu'elle le connaisse déjà peut-être avant cette conversation entre nous. Quoi qu'il en soit, s'il s'avère qu'elle rencontre effectivement des problèmes avec les miens, n'en ayant pas entendu parlé, il y a de grandes chances que cela ne soit pas de grandes importances aux yeux des Kuroda. A moins que cela ne concerne les affaires politiques de ma mère et de mon jumeau, ces derniers n'estimant pas toujours nécessaire de me tenir au courant de leurs dossiers en cours ainsi que de leurs possibles complications. Et dans ce cas, je risque encore une fois de me montrer assez cassante avec cette jeune femme en la renvoyant directement vers l'un des deux Kuroda actuellement engagés dans la politique et le gouvernement de notre nation plutôt que de venir m'ennuyer avec ce genre de chose, moi qui me suis toujours orienté vers les affaires militaires.

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- Elle doit être dans ses appartements.

Me répond-elle d'un ton qui se veut stoïque et le plus neutre possible alors que je me retiens à grandes peines de ne pas soupirer d'agacement devant cette réponse. Ose-t-elle me prendre pour une imbécile à me donner ce genre de réponse comme si je n'avais pas déjà eu cette idée ? À la vue de l'heure, je serais d'ailleurs persuadée que la Sakai ne pouvait être ailleurs que chez elle si je n'avais pas reçu cette note de sa part m'indiquant de la retrouver ici sans délai. Qu'il peut être fatiguant, usant, d'essayer de se montrer neutre si ce n'est courtoise envers ce genre de personne et dans ce genre de situation alors que je brûle presque littéralement d'envie de laisser libre cours à mon impatience. J'arrive pourtant à prendre sur moi pour rester calme, mon regard seul trahissant l'agacement qui monte en moi, et garder le silence suite à cette réponse.

C'est elle qui nous offre une porte de sortie concernant cette discussion au moment où elle change de sujet pour commencer à m'interroger sur la possibilité de m'avoir déjà croisé avant le festival du nouvel an. Si je lui fais rapidement part de mon scepticisme concernant cette possibilité, argumentant d'ailleurs ma réponse, je vois sans difficulté quelque chose changer en elle, dans son regard, dans sa façon de se tenir, lorsque je prononce mon nom de famille. Mais je n'ai pas besoin de chercher à creuser un peu plus ce sujet, à insister un peu plus pour comprendre pourquoi ce changement en elle à l'entente du nom des Kuroda qu'elle reprend déjà la parole, m'annonçant alors sans détour, sans ambages, qu'elle a un problème avec moi.

- Je vous demande pardon ?

Lui demande-je d'un ton qui se veut neutre également mais dans lequel gronde pourtant la menace, alors que je sens déjà mes muscles se tendre, prêts à me mettre en mouvement à la première nécessité, à passer à l'attaque à la moindre menace visible. Il devient assez évident à mes yeux que pour oser me dire ce genre de chose de cette façon, elle ne m'a jamais rencontré avant le festival, elle ne sait pas de quoi je suis capable, quel genre de personne je suis. Et son maître ne semble pas le lui avoir enseigné, ce qui me convient parfaitement pour dire vrai. Mais pour en revenir à cette jeune insouciante, cette dernière finit par reprendre la parole, par se mettre à m'expliquer, de façon assez confuse il faut bien le dire, ce qu'elle avait voulu dire quelques instants auparavant. Si ces propos me font légèrement froncés des sourcils, j'en viens même à pencher légèrement la tête sur le côté, perplexe, quand elle se met à parler d'un oiseau. Un rapace, je le devine vite par rapport à ses paroles, à mes goûts et surtout à Tiko, sans doute toujours en vol au-dessus du Temple. Peu de gens en réalité savent que ce n'est pas un simple aigle-faucon messager de l'armée mais bel et bien le mien, mon animal de compagnie, d'où ma perplexité de l'entendre parler de ce détail qui me fait pourtant comprendre qu'effectivement, elle doit me connaître autrement qu'à travers notre brève rencontre lors du festival du nouvel an lunaire.

-Pourquoi. Est-ce. Je vous vois. Toujours. Dans. Mes. Cauchemars ?
- A vous de me le dire.

Réponds-je presque immédiatement, moi aussi sans y mettre la moindre forme, le moindre arrondi, et en penchant encore un peu plus la tête sur le côté, comme pour la mettre au défi de chercher à exiger de moi des réponses que je ne possède pas. En quoi suis-je responsable de ce qu'elle voit dans ses songes au juste ? Même si d'aucuns diront que cela peut être dû à un traumatisme que j'aurais pu infliger à cette jeune femme dont j'ignore même le prénom, me rendant assez compliqué l'idée que cela soit effectivement de ma faute. A moins que cela ait quelque chose à voir avec les nombreuses campagnes militaires auxquelles j'ai participé mais si cela était le cas, elle pourrait avoir cette impression par rapport à n'importe quel archer de Yuyan, nos peintures de guerre rouges ayant pour but principal de nous rendre quasiment indistincts les uns des autres. Je finis cependant par redresser la tête au moment où elle m'annonce avoir besoin de sortir.  

- Vous êtes bien l'élève de votre maître, il n'y a pas de doute possible.

Ne puis-je m'empêcher de lâcher subitement, dans un soupir, sans même réellement savoir pourquoi je dis ça. Sans doute parce que le comportement de la jeune apprentie me fait penser à celui que pourrait avoir Kaori dans une situation similaire. Avec l'impression de rater quelque chose de pourtant évident, je lance un dernier regard à la jeune femme en face de moi, comme si j'étais en train de me faire juge de sa situation, de sa demande de la laisser quitter la pièce. Mais mettant de côté cette sensation désagréable de ne pas voir l'évidence, après une demi-seconde encore de réflexion avec moi-même, je finis par fixer de nouveau mon regard dans le sien.

- Suivez-moi.

Lui dis-je simplement, pour ne pas dire lui ordonne-je, alors que je tourne déjà les talons pour sortir également de cette pièce. N'est-ce pas ce qu'elle m'a demandé il y a encore quelques secondes après tout ? Et d'un pas ne trahissant pas la moindre hésitation de ma part, une fois la porte de cette pièce franchie, je me dirige vers la cour la plus proche du Temple, m'arrêtant au milieu de cette dernière et invitant d'un geste de la main la jeune apprentie à en faire de même alors que je lève déjà le regard au ciel. Repérant assez facilement mon rapace dans le ciel, je ne peux empêcher mes lèvres de s'étirer en un léger sourire alors que, le regard toujours tourné vers le ciel, je tends mon bras gauche devant moi, pliant le coude pour positionner mon bras en parallèle de mon buste, et ne tarde pas à faire la réclame, imitant pour cela un léger piaillement l'espace d'une seconde. Et cela suffit largement pour voir la direction de vol du rapace changer, ce dernier ne tardant pas à descendre en piquer vers nous, se redressant qu'à quel mètre du sol pour se mettre à freiner autant qu'il le pouvait. Je me permis rapidement un pas sur le côté, pour m'éloigner un peu de l'apprentie de Kaori, juste avant que le rapace ne se pose sur mon bras gauche, ses serres s'enfonçant déjà dans la légère protection en cuir que je portais juste sous la veste de mon uniforme, et l'une de ses ailes frôlant presque la jeune fille dans sa manœuvre.

- Voici Tiko, mon aigle-faucon.

Annonce-je d'un ton relativement neutre à la jeune femme alors que le rapace était encore en train d'agiter légèrement ses ailes à moitié déployées, cherchant comment se positionner sur mon bras avant de s'immobiliser quelques secondes plus tard, ne bougeant plus que sa tête. L'oiseau bien en vue de la jeune femme, je tourne de nouveau mon regard vers elle, faisant fi de ce qu'elle peut ressentir à être si près du rapace, sans doute trop habituée que je suis à l'utiliser, à le manipuler.

- Est-ce lui que vous voyez dans vos songes ? Ou notez-vous des différences ?

Demande-je sur le même temps, sans même chercher à préciser à la jeune femme l'âge du rapace sur mon bras ou le fait que j'ai déjà dressé d'autres de ses ancêtres. Je ne sais pas vraiment d'où me vient cette intuition mais je ressens comme le besoin d'essayer de savoir lequel de mes rapaces elle pourrait éventuellement voir dans ses songes. Peut-être pour avoir une idée de la période à laquelle elle aurait effectivement pu me rencontrer, de l'époque à laquelle j'aurais éventuellement pu la traumatiser. Il semblerait bien qu'il faille être lié d'une façon ou d'une autre à Kaori pour que je daigne me montrer un minimum coopérative, un minimum intéressée par le vécu des personnes qui m'entourent… A moins que ce ne soit l'âge et la lassitude qui commencent à me gagner et à me ramollir.

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Dans l'une des cours de ce temple que j'ai toujours plus ou moins méprisé, bien que j'en conçois également l'utilité par moment, je me retrouves de nouveau face à cette apprentie, cette jeune femme à peine sortie de l'adolescence, pour régler cette situation qui me semble des plus absurdes. C'est d'ailleurs pour cela que j'en suis venue à appeler Tiko, le gardant sur mon bras là où il serait sans doute mieux dans les airs, mais pour éclaircir une bonne fois pour toute cette histoire de rêve de cette jeune femme que je ne connais qu'en tant qu'apprentie de Kaori. Pourtant, je parviens sans difficulté à lire dans le regard de la jeune femme qu'il s'agit bien du même rapace que celui qu'elle voit dans ses rêves. Ou du moins qu'elle croit qu'il s'agit bel et bien du même oiseau car Tiko n'a que 4 ans, un âge qui me permet de me dire sans la moindre hésitation que si je l'avais croisé dans ce laps de temps, je n'aurais aucun mal à reconnaître cette demoiselle. Mais le grand-père de Tiko, l'aigle-faucon que j'avais il y a environ une vingtaine d'années, lui ressemblait énormément et n'importe quel néophyte en rapace les confondrait sans voir les légères différences. Et si mon interlocutrice parlait effectivement de souvenirs d'enfance refaisant surface dans son esprit sous forme de rêves, alors oui, cela correspondrait peut-être un peu plus à ses dires. Bien que cela ne m'avance pas plus pour lui faire comprendre de quoi il en retourne réellement.

Mais je n'ai pas vraiment le temps de lui répondre ou de chercher à corriger une erreur de sa part dans sa reconnaissance de Tiko que le timbre de voix de la Sakai faisant palpiter ma haine pour elle se fait entendre distinctement dans mon dos, annonçant son arrivée. La raison de ma présence dans ce temple ce matin, de la montée soudaine de ma colère, de l'emballement de mon cœur… A cause de l'agacement qu'elle provoque en moi bien sûr, de quoi d'autre sinon ? Quoi qu'il en soit, après une première réprimande à l'adresse de son apprentie qui était pourtant en train de détailler mon aigle-faucon, elle tourne son regard vers moi juste avant de me cracher son venin. Si je parviens à garder mon calme et mon masque de froideur, je laisse pourtant échapper un léger soupir de contrariété, invitant néanmoins d'un bref mouvement du bras Tiko à reprendre son envol. Et il n'en faut pas plus à mon rapace de chasse pour s'exécuter, déployer ses ailes et prendre son envol pour rejoindre son terrain de jeu préféré que sont les airs. Cela fait, je tourne de nouveau mon regard vers mon haïe, toujours avec ce même masque impassible de froideur que j'arrive à conserver face à elle quand une autre personne est présente avec nous.

- Si tu crois que ce temple m'avait manqué… Mais il semble que ta mémoire défaille, ma chère. N'est-ce pas toi qui m'a demandé de te rejoindre au plus vite dans ce lieu maudit pour une urgence qui ne semble clairement pas l'être tant que ça ?

A mon tour de répandre mon fiel à l'adresse de la maudite Sakai, ne prenant même pas la peine de feindre une quelconque forme de cordialité entre elle et moi durant cette échange, à son image. Je me retiens pourtant, sans doute en raison de la présence de son apprentie, de chercher à provoquer encore un peu plus cette princesse sans trône ni couronne en me faisant ricanante, mauvaise, moqueuse, pour lui demander si la trace noire de ma main décore toujours son buste. Mais depuis le temps que nous nous connaissons Kaori et moi, depuis le temps que nous jouons à ce jeu aussi mesquin que malsain entre nous, elle a sans doute deviner mes intentions en voyant le très fin et très discret sourire pernicieux qui a commencé à se dessiner sur mes lèvres ainsi que le léger coup d'œil que je glisse vers sa poitrine avant de remonter mon regard sur son visage, bien plus vite qu'il ne faut pour le dire. Et de toute façon, nous n'avons pas vraiment le temps de poursuivre notre habituelle joute verbale, de se lancer de nouveau dans notre éternelle ritournelle néfaste, que la voix de son apprentie retentit de nouveau. Et pleine d'une colère que je reconnais sans peine et qui me fait tourner le regard vers elle alors qu'elle… Qu'elle m'accuse d'avoir préféré mon aigle-faucon à mon enfant ?

- De quel…

Ai-je à peine le temps de commencer à vouloir lui demander, les sourcils froncés tant cette histoire d'enfant semble encore plus aberrante que son histoire de rêves. Mais là encore, je suis coupée par cette agaçante jeune femme un brin trop mélodramatique à mon gout pour qu'elle continue dans son élucubration sans queue ni tête. Vient-elle tout juste de sous-entendre qu'elle se croit mon enfant ? Que diable lui donne Kaori, à son insu ou non, pour que cette jeune femme se raconte autant d'histoires impossibles et excentriques ? Mais oui, je n'ai pas vraiment le temps de me remettre de tant de surprise - pour ne pas dire de bêtise de la part de cette jeune adulte - ni même de formuler plus de quelques mots que l'apprentie annonce déjà à la Sakai qu'elle se retire, joignant presque immédiatement le geste à la parole. Et il n'en faut pas plus pour me remettre immédiatement les idées en place alors même qu'un profond sentiment de scandale se réveille en moi. Pour qui se prend-t-elle au juste cette apprentie pour me parler ainsi ? Pour agir ainsi ? Pour me manquer autant et aussi ouvertement de respect ? Si je peux presque le tolérer de la part de Kaori en raison de notre histoire commune, de notre âge très proche l'une de l'autre et parce que je sais que je finis toujours, tôt ou tard, par trouver un moyen d'inverser la situation, de lui faire payer, de me venger, il n'en ai rien avec cette fille de rien à mes yeux. Si bien qu'il ne me faut qu'une demi-seconde pour que mon naturel ne revienne au galop, ne me sorte de cette torpeur dans laquelle les délires de cette jeune femme m'avait presque engourdie. Et si ce sont au départ des éclairs que je tente d'invoquer, je ne me rappelle qu'au moment de voir non de la foudre mais des flammes jaillir de mes doigts tendus combien la présence de la princesse bâtarde arrive toujours autant à perturber ma maîtrise annexe, même après toutes ces années. Quoi qu'il soit, le résultat est presque le même tentes-je de me canaliser, d'ignorer encore cet agacement profond à l'encontre de l'autre femme présente à mes côtés, alors même que des flammes apparaissent donc une dizaine de centimètres devant la jeune femme tentant de prendre la fuite. De quoi m'assurer de la couper dans son élan, de lui faire comprendre que si elle pense en avoir terminé avec moi, cela est en réalité bien loin d'être mon cas.

- La moindre des choses quand on accuse quelqu'un de quelque chose sans la moindre preuve, jeune fille, c'est de laisser l'occasion à cette personne de présenter les faits réels.

Grondes-je presque d'un ton aussi glacial que mes flammes peuvent être brûlantes, comme pour en rajouter encore une couche, comme pour m'assurer de bien dissiper le moindre petit espoir qu'aurait cette adolescente à peine devenue véritablement femme et dont j'ignore toujours le nom de pouvoir me fuir ainsi. Un commentaire cinglant sur le fait que je ne suis pas aussi laxiste et permissive que son maître me brûle les lèvres l'espace d'une demi-seconde mais je ravale pourtant sans la moindre difficulté ce poison-ci, sans doute déjà trop occupée à fusiller d'un regard noir et assassin mon interlocutrice. Un peu plus et je pourrais presque en venir à oublier la présence de Kaori auprès de nous.

- Je ne sais pas quelle histoire fantasque vous vous êtes inventée mais je n'ai jamais eu d'enfant. Au grand damne de mes parents. Et votre chère maître peut également vous l'attester. Tout comme elle pourra vous confirmer que le surnom que tout le monde me donne depuis près de deux décennies n'est autre que "la Vierge d'Acier". Je vois donc difficilement comment vous pourriez être ma fille. Et encore plus comment je pourrais moi-même ignorer avoir eu un enfant. Seule de surcroit.

Enchaines-je presque immédiatement, comme pour couper court à toute nouvelle tentative de cette jeune femme à peine sortie de l'enfance de m'empêcher de m'exprimer, de recommencer à monopoliser la parole pour continuer à débiter ses paroles fantastiques. Et ai-je vraiment besoin de préciser que durant tout mon discours, mon regard reste aussi noir et assassin que quelques instants auparavant, tout comme mon ton reste le même timbre glacé et sérieux avec lequel je me suis déjà adressée à elle ? Bien qu'en réalité, on pourrait presque détecter une pointe de sarcasme dans mon timbre de voix, une lueur de moquerie dans mon regard lorsque je lui démontre qu'il est impossible que je sois mère et encore moins que je le sois sans le savoir. Face à mon frère, elle aurait peut-être pu lui mettre le doute qui sait, tout comme face à n'importe quel homme. Mais tenir ce genre de propos à une femme… Oui, je vais sans doute clairement dire à Kaori de diminuer la dose de psychotropes qu'elle doit à son apprentie si elle ne veut pas que cette dernière finisse par avoir de très gros ennuis avec ses élucubrations sans queue ni tête.

- Et même si vous étiez ma nièce ou que sais-je encore mais bien de la famille Kuroda comme vous semblez vous plaire à l'imaginer, vous ne seriez pas dans ce temple. Parce que nous sommes tous des élémentaux dans la famille et notre feu est fort. Il se transmet d'une génération à l'autre.

Bien qu'en réalité, la fille aînée de mon frère ne soit absolument pas une élémentale contrairement à ce que je viens de sous-entendre. Mais a-t-elle réellement besoin de le savoir ? Non. Absolument pas. Tout ce qu'elle a besoin de comprendre, c'est qu'en aucun cas, elle ne peut être une Kuroda comme elle semble vouloir le prétendre. Que ce soit de moi ou d'un autre membre de ma fratrie. Tout simplement parce que si elle était de Mariko ou de moi, il aurait été bien plus compliquer qu'elle ne semblait ne serait-ce qu'y réfléchir de cacher cette naissance au reste de la famille. Quant à Takezo… Pff, mon frère est bien trop niais, fleur bleue et romantique pour ne serait-ce qu'avoir l'idée de tromper sa femme avec une autre. A moins que cela ne soit Kaori, peut-être, lui qui lui a toujours presque voué un culte, mais là encore, il aurait tout fait pour que son rejeton bâtard soit reconnu comme l'un des nôtres. La seule option qui reste potentiellement envisageable pour cette jeune fille de me faire croire qu'elle est bien une Kuroda serait de se prétendre issue d'une branche secondaire… Mais là encore, l'honneur de notre famille, de notre sang, est bien trop important pour engendrer un bâtard caché sans en reconnaître ne serait-ce que l'existence si ce n'est pas la filiation.