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'Dé 6 faces' : 6

D’ordinaire, Seiya n’avait rien à rien à faire à cet étage du Temple. Pas suffisamment avancé dans sa formation, il était restreint aux étages inférieurs - c’était la dure réalité, un peu vexante peut-être. Chaque chose venait en son temps ; monter d’un étage était une récompense. Telle était la loi du Temple, et d’ordinaire il s’y pliait docilement. On ne pouvait guère reprocher à Matsumoto Seiya d’avoir des tendances rebelles, ou subversives. Si on lui donnait une consigne, il la suivait sans moufter. Sa période insupportable était bien derrière lui.Oublié, le jeune crétin arrogant d’autrefois. Maintenant il n’y avait plus qu’un disciple sérieux, peut-être un peu ambitieux, qui n’aspirait qu’à apprendre en silence. Jamais il n’aurait outrepassé ses droits. Mais aujourdh’ui était l’exception, et pour une fois il se moquait bien des conséquences, parce qu’il faisait ce qui devait être fait. Il se justifierait ; si punition il y avait, il assumerait. Mais plus tard, songeait-il, repoussant toute idée de conséquences, loin, loin de lui, alors qu’il se précipitait vers ce qui lui semblait être l’origine du bruit de l’explosion.  Il était là ; c’était son devoir d’intervenir. De tenter quelque chose pour aider ; quoi que ce soit, pourvu qu’il puisse un peu aider.

S’il avait prévu que le résultat ne serait pas joli à voir, il ne s’attendait pas à cela. Il se figea lorsqu’il vit l’état de la pièce, à moitié effondrée, et déglutit, envahi par un malaise profond ; il sentit tout le sang refluer de son visage alors que ses yeux se posaient sur le corps blessé de Maître Kaori. Il manqua de vaciller sous le choc, alors que comme si longtemps auparavant, il avait l’impression de chuter, chuter, chuter à l’intérieur de lui. NON!  rugit-il mentalement. Pas cette fois, cette fois il.. serait..fort ! Il pouvait faire des choses, s’il pouvait juste se calmer ! Calmer son esprit qui lui semblait parti comme un cheval qui s’emballe, dans toutes les directions et sans grande logique. Il était adulte, fini les états d’âme d’adolescent hypersensible !

S’approchant lentement, il examina les dégâts après s’être accroupi auprès de son Maître. Déjà, elle respirait. C’était bon signe. Son visage semblait relativement intact grâce au masque qu’elle portait, c’était très bien aussi. Penser positif d’abord, se répéta-t-il, avant de l’examiner plus en détail. En voyant sa main gonflée de cloques, il frémit ; encore plus lorsqu’il osa remonter les manches de son Maître, lui demandant mentalement pardon au passage pour cette transgression. Tout le bras gauche semblait atteint, brûlé. (Depuis combien de temps l’attendait-elle ??) Il constata aussi, et il put remercier son entraînement au Temple pour lui avoir montré des choses bien moins ragoûtantes - donc il était un peu..habitué..-, l’oeil blessé de son Maître.

Il fallait agir, vite. Sortant son petit couteau, il découpa les manches de son Maître jusqu’à l’épaule. Dégager la zone atteinte, pour qu’il puisse procéder.  Ensuite..ensuite il devait appliquer de l’eau sur la zone touchée. De l’eau. Il lui fallait de l’eau. Y avait-il seulement de l’eau ? Pas dans cette pièce, apparemment, alors se précipita-il dans la pièce d’à côté, miraculeusement intacte. Là ! De l’eau, une bassine, il pouvait apporter des premiers soins ! songea-t-il, soulagé.

D’abord. Se débarrasser de sa robe du dessus, la découper en bandages, l’humidifier, enrouler le bandage improvisé autour des zones brûlées, pour faire redescendre la température de la peau. Couvrir Maître Kaori avec ce qu’il restait de sa robe du dessus, pour qu’elle ne se refroidisse pas.  Nettoyer l’œil comme il pouvait, méthodiquement ; en n’hésitant pas à utiliser son matériel de chirurgie pour ôter les plus petits éclats, le bander ensuite pour le protéger..  Enfin, nettoyer les diverses plaies qu’il pouvait voir.

Essayer de rendre à son Maître ne serait-ce qu’un infime fragment de l’attention qu’elle lui avait accordé.

Essayer d’être un bon disciple, pour une fois.

Et attendre, impatiemment, qu’elle reprenne connaissance.

Il n’y avait plus rien à faire d’autre que d’attendre ; Seiya le savait, consciemment, mais cela ne rendait pas les choses plus faciles pour lui. Il pouvait à peine rester assis, ne cessait de rectifier sa position, un peu comme un enfant incapable de tenir en place. Il ne savait pas non plus quoi faire de ses mains.Sur ses genoux, à lisser ses vêtements à la recherche de plis imaginaires, ou alors à se tordre. C’était terrible ce que la nervosité faisait de lui - c’était une régression complète. .Il avait vingt-trois ans, avait trouvé une forme d’équilibre, avait mûri.. et pourtant à cet instant il se sentait jeune adolescent fébrile, agité ; s’il y avait eu le moindre bruit un peu fort, il savait qu’il aurait sursauté jusqu’au plafond, facilement. Son esprit essayait de partir dans milles directions à la fois, fonctionnait plein gaz, un peu trop surtout ; alors il essaya de se calmer, en inspirant et expirant profondément. C’était un peu trop difficile de méditer dans les règles de l’art, mais s’il pouvait au moins contrôler sa respiration et son pouls, c’était déjà une avancée relativement appréciable. Il n’avait pas besoin de sentir son coeur battre si fort contre sa cage thoracique qu’on aurait pu avoir l'impression qu’il voulait s’en échapper. Il tentait de se remémorer ses petites victoires de la journée ; il avait agi relativement vite quand il avait entendu l’explosion, il n’avait pas perdu tous ses moyens en voyant Maître Kaori blessée, il avait réussi à lui prodiguer les premiers soins. C’était déjà bien, se répéta-t-il. Plus tard, il faudrait sûrement mettre un vrai onguent pour apaiser les brûlures et la blessure à l’oeil de Maître Kaori ; mais pour l’instant, il avait assez bien agi. Il devait juger veiller, et attendre, et se tenir à disposition de son maître au moment où elle se réveillerait. Et espérer que d’autres disciples plus avancés que lui arrivent, pour prendre son relais, et prodiguer des meilleurs soins à Maître Kaori.

Il se rendait compte, néanmoins, à quel point tout pouvait basculer si rapidement ; à quel point un quotidien pouvait être bouleversé. Triste leçon s’il en était. L’important, supposait-il, était la façon dont on réagissait à de tels changements. Lui..il n’avait pas réagi si mal ? Il aurait pu perdre complètement ses moyens, paniquer jusqu’à ce que ne reste rien de lui ou de sa capacité de réflexion ; mais non. Il avait un peu paniqué, s’était un peu inquiété ; mais il avait repris le dessus avec professionnalisme, il avait surmonté son angoisse. Peut-être qu’il avait agi de manière plus automatique qu’autre chose, accomplissant les divers gestes médicaux par réflexe ; mais il avait bien agi. Il avait été minutieux, et attentif ; normalement, aucun éclat mal placé ne devrait provoquer une infection qui s’ajouterait déjà aux soucis déjà présents, qui l’agaçaient suffisamment. Enfin, l’inquiètaient aussi, mais il tentait de réfréner sa réflexion. Il avait fait de son mieux, se répéta-t-il ces choses-là n’étaient désormais plus de son ressort. A Maître Kaori de faire le reste, et de se battre.

Lorsque celle-ci prononça un mot, ce mot, le nom du Grand Maître Sakai, Seiya se redressa, comme touché par la foudre. Un léger sourire éclairait son visage. Il n’était point vexé que son maître ne pense pas à lui d’abord. Bien que son jeune cousin, Seiya était surtout l’apprenti de Maître Kaori, le Grand Maître était son frère ; il devait céder la priorité. En de telles circonstances, n’aurait-il pas appelé Grand Frère Jun d’abord ? Probablement ! Il était déjà heureux d’entendre le son de la voix de son professeur - c’était le signe qu’elle reprenait un peu conscience.

“Non, Maître Kaori. Ce n’est que moi, Seiya.” répondit le jeune homme, à voix basse. Pas question de la brusquer, ni de crier, ni rien. Sois délicat, un peu. se dit-il. Essaye, au moins. Et il devait attendre maintenant ; espérer que cela ne soit pas qu’un moment où elle émergeait de son sommeil, mais le vrai signe qu’elle revenait à elle. Un seul mot, n’importe quoi. Et peu importe si ce mot fut d’abord son nom, suivi d’un ordre.

“Tout de suite, maître.” Et il se précipita dans la pièce d’à côté pour reprendre de l’eau et un petit bol et revenir,le coeur chantant d'allégresse. Là, tout allait bien. “Permettez-moi de vous aider à vous redresser”, dit-il en se penchant, glissant un bras délicat sous le dos de son Maître ; la redressa avec d’infinies précautions, en lui maintenant la tête, puis lui donnant un peu d’eau. Tout allait bien. Maître Kaori allait s’en remettre, et les choses allaient reprendre leur cours normal. “Comment vous sentez-vous ?” Question peut-être un peu stupide, mais il était important de vérifier comment sa..patiente ? allait. Si elle avait mal quelque part, s’il avait raté quelque chose d’important.