Les jeunes élèves de Jun prenaient place sur la scène, derrière le Qin mis à disposition ou alors leur flûte à la main, les uns après les autres. Leur morceau de musique annoncé, l’élève sur le devant de la scène commençait à jouer, parfois tremblant de nervosité, parfois trépignant d’impatience. Les notes de musique se succédaient alors, claires, brillantes, avant de s’éteindre dans un bref silence, laissant place au prochain élève ou groupe d’élèves. À la fin du récital, les applaudissements tintaient pendant que l’ensemble des élèves saluaient le public.

Le récital était une réussite. Les six derniers mois de travail avec ses élèves n’avaient pas été vins. Ils avaient beaucoup progressé depuis la dernière représentation. Jun était fier de ses élèves, du spectacle qu’ils avaient produit ce soir. C’était même meilleur qu’en cours ! Les parents de ces petits marmots pouvaient être fier d’eux – même si leurs exigences étaient bien trop élevées au goût de Jun. C’était pourquoi il avait choisi les morceaux joués avec soin en sélectionnant des pièces de musiques traditionnelles ou faisant éloge à la Nation du Feu. Faire un beau spectacle pour redonner confiance à ses élèves et montrer aux parents l’intérêt de ses méthodes pédagogiques. Une pierre de coup.

Le récital terminé, Jun eu à peine le temps de féliciter ses chers élèves que Feng Ruiling vînt le féliciter. Lui, le professeur, était étranger à la qualité de la représentation de ce soir. Ses élèves avaient fait tout le travail. Et il avait encore des progrès à faire en tant que professeur.

– Feng Ruiling, vous ne devriez pas me féliciter, ce n’est là que le dur labeur de mes élèves, pouffa Jun, amusé.

Il reconnaissait bien là l’éducation et la formation militaire de son amie. Un salut concis, allant droit au but, sans prendre le tact de bien tout enrober dans un joli paquet cadeau.

– Bien sûr que je vais transmettre vos compliments, toutes les félicitations leur reviennent.

Jun se tourna vers ses élèves, dont certains étaient encore pas loin.

– Vous avez entendu ? Capitaine Feng Ruiling a beaucoup apprécié le spectacle, vous pouvez être fier de vous ! Cria-t-il à plein poumon, alors qu’un ou deux élèves timides devinrent rouge tomate.

Il se retourna vers Feng Ruiling un grand sourire aux lèvres.

– Content de voir que vous avez pu vous déplacer.

Feng Ruiling était dans l’armée : son travail en tant que tel faisait qu’il n’était pas aisé pour Jun d’aller la voir – inutile d’essayer de débarquer chez elle à l’improviste si elle n’était pas en permission… Mais rencontrer d’autres passionnés de musique étaient précieux, qu’ils sachent jouer ou non. Si peu de personne comprenait réellement l’amour de Jun pour la musique, et toutes ces choses que la musique pouvait transmettre. Certains de ses élèves ne comprennent pas du tout, et c’était là bien compréhensible. L’éducation à la Nation du Feu faisait que… – Pas besoin de s'étaler dessus.

– Cela fait un moment qu’on ne s’est pas vu. Vos affaires militaires se passent bien ? Mes chants sont-ils toujours appréciés ?

Si l’éducation élitiste dans la Nation du Feu était une bête noire, cela ne l’empêchait pas d’être la plus grande Nation du monde. Jun ne doutait pas que tout roulait sur des roulettes pour son amie, surtout alors qu'elle avait les musiques patriotiques qu'il avait composé. Quel ennemi pouvait bien poser des problèmes à l’armée du Feu ?

Alors que Jun couvait du regard ses élèves, fier, Feng Ruiling glissa un compliment au professeur, que ce dernier se pressa de réfuter immédiatement, les joues légèrement rouges. Lui, un bon pédagogue ? Cela dépendait du point de vue. Les parents de ses élèves avaient souvent une idée totalement différente sur la question.

– Même avec un bon professeur, s’ils n’avaient pas travaillé, le spectacle n’aurait pas été aussi bon.

Et Jun continua la discussion, allant aux nouvelles. Cela faisait presque six mois qu’ils ne s’étaient pas vu. Six mois que ses chants se faisaient entendre tous les matins. L’aîné Matsumoto en était ravi. La musique était un art qui se partageait, et il était plus qu’aux anges de voir ses œuvres se diffuser.

– Je suis content qu’ils plaisent à vos collègues. La musique est faite pour être partagée.

En six mois également, la Capitaine avait eu le temps de recevoir une mutation à la capitale. Une promotion ? Jun ne savait pas vraiment. C’était, de son point de vue de civil, ce qui semblait être uen promotion. Si les officiels voulaient se débarrasser de la Capitaine Feng, ils l’auraient certainement envoyé ailleurs loin dans les provinces, n’est-ce pas ?

– Est-ce quelque chose que vous souhaiterez ? Dois-je vous partager mes félicitations ? Si vous êtes muté à la Capitale, on pourra se voir plus souvent.

Et Jun était toujours partant pour plus de rencontre musicale. Ruiling, bien que ne jouant pas d’un instrument, avait une bonne oreille musicale. Sa passion pour la musique était palpable, alors qu’elle lui demandait s’il avait un nouveau chant en préparation, et il ne pouvait que répondre à l’affirmative avec chaleur.

– Il y a 6 mois, mon frère était d’humeur quelque peu morose, et ça m’a donnée l’idée d’une mélodie. Je n’ai pas encore les paroles, mais je suis sûr que vous en trouverez.

Jun se retourna vers son sac, posé négligemment à quelques mètres de là comme si rien et personne ne pouvait le voler, pour en sortir sa flûte.

– Venez, je vais vous faire écouter !

Jun porta l’instrument de bambou à ses lèvres, et la mélodie commença à jouer…

---

Voici la musique que Jun joue, l'OST de Inyuyasha "Affections Across Time" (时代を越える想い): https://youtu.be/F2pZ5B4qMgI?si=Rzx5u-mNbYuGNAO-

Ruiling insistait sur son compliment, et Jun ne voyait plus comment l’esquiver sans paraître mal-élevé et piètre ami. Il s’inclina alors, un sourire gêné se peignant sur son visage.

– Merci, c’est le meilleur compliment que vous pouvez me faire. J’essaie de trouver une façon d’enseigner plus épanouissant pour les élèves. Ce n’est pas toujours facile, mais c’est le but que je me suis fixé.

Cela lui faisait plaisir que ses efforts se fassent remarquer. Le goût très prononcé de l’élitisme de la Nation du Feu avait un très mauvais impact sur ses enfants. Son petit frère en était l’exemple parfait, quand il l’avait retrouvé recroquevillé dans sa chambre. Tout simplement parce qu’il avait rencontré que des « échecs »… Jun soupira. La pression scolaire était immense, et les travers du système bien trop important, bien qu’il contribue à la grandeur de la Nation… Un remède prit en trop grande quantité devient facilement un poison.

Tout comme une mutation au sein de l’armé peut-être à la fois une récompense et une punition. Ruiling en sembla satisfaite, et Jun applaudit avec chaleur.

– Félicitation ! Et bien sûr, venez quand vous voulez. Dites-moi quand vous voudriez assister à une leçon, je vous communiquerai le lieu.

Les élèves à qui il enseignait, issus pour la plupart de milieux aisés, préférait les cours particuliers. Il était ainsi pas rare de voir l’aîné Matsumoto se déplacer de maison en maison en plaine journée. Une présence extérieure leur ferait sans doute du bien : non seulement cela les permettrait de s’entraîner à jouer devant un public (chose très différente que de jouer seul ou devant un professeur), mais leurs parents seraient sans doute beaucoup plus plaisants dans leurs critiques que d’ordinaire.

Puis Jun joua sa nouvelle mélodie, sur laquelle il invita son amie à proposer des paroles. Timide, peu confiante, elle ne semblait pas croire qu’elle était capable de mettre en mots des paroles. Il voulait lui prouver le contraire : ce n’était pas si compliqué, il suffisait de poser un mot, puis deux, et enfin une chanson entière.

– Ce n’est pas une question de talent, mais d’entraînement. Choisissons un thème, qu’est-ce que la musique vous inspire ? Petit indice : parlez de ce que vous connaissez le mieux, et ce sera forcément un succès.

La plénitude et le calme, en comparaison avec l’agitation du champ de bataille… Ruiling était une marmite d’idées bouillonnante ! Avec quelques phrases de la Capitaine, il visualisait déjà sans peine quel genre d’histoire, il pourrait raconter. Le scénario d’une femme qui retrouve son mari après la guerre, et vit une vie paisible sans craindre de perdre un membre de sa famille dans les affres d’une bataille ?

− Vous voyez, ce n’est pas si compliqué, n’est-ce pas ? La musique est un langage universel qui transcende les barrières. Elle permet d'exprimer ce que les mots ne peuvent dire et de connecter les gens d'une manière unique. Or, vous venez de me transmettre avec des mots ce que la musique vous a fait ressentir. Écrire des paroles ou jouer de la musique, n’est pas si différent. Et vous avez déjà cette capacité en vous, Ruiling.

Jun lui offrit un sourire encourageant, espérant lui donner la confiance nécessaire pour continuer leur collaboration musicale.

− Ne sous-estimez jamais le pouvoir de vos propres expériences. Vous vivez une vie très différente de la mienne, vos musiques et les paroles que vous pourriez écrire seraient distinctes et éloignées de ce que je suis capable de faire.

Seulement, si enseigner à des élèves lui avait appris une chose, c’était l’impossibilité d’avancer si l’élève ne le souhaitait pas. Trop nombreux était ceux qui n’aimaient pas jouer la musique, mais qui était en obligation par leurs parents d’assister à ses cours… Une très mauvaise méthode d’éducation, de l’avis de Jun. Comment faire de la musique, alors qu’ils étaient à ce point contraint ? Cela empêchait leur âme d’artiste de se développer !

− Si vous ne souhaitez pas poser des paroles sur la musique, ce n’est pas un souci. Vous m’avez déjà donné plusieurs idées à étoffer. Je pourrais les travailler, et vous envoyer le résultat par lettre, comme à notre habitude ? Ou bien quand vous assisterez à un de mes cours ! Vous ne dérangez pas, je vous l’assure !

Alors que Jun était happé par sa discussion avec son amie, plusieurs parents s’étaient attroupés pas loin, attendant de pouvoir échanger quelques mots avec le professeur. Certains toussotèrent, furieux de devoir attendre plus longtemps, et ce fut à ce son qu’il réalisa leurs présences.

− Oups. On dirait que certains parents s’impatientent… je crois qu’on va devoir remettre notre discussion à plus tard. Vous ne m’en voudrez pas trop, j’espère ?