Il arrive parfois que des cultivateurs d'autres sectes viennent vous rendre visite, probablement d'une part pour entretenir les relations entre elles, mais d'autre part surtout pour des collaborations nécessaires à l'extermination de démons parfois trop puissants pour être neutralisés d'un seul front. Au Jardin des Parfumes dissimulés, peu de visiteurs ne sont pas les bienvenus. Après tout, quand tu t'es présentée à eux, ils ne t'ont pas refusé d'y entrer comme disciple, même en étant issue de la Nation du Feu. Pour ton maître, tes qualités d'espionne et ta loyauté sont beaucoup plus importantes que tes origines. Cette ouverture généralement intrinsèque aux membres de ta secte - pas toujours complètement appliquée sous tous les aspects - te plaît beaucoup, mais surtout te permet de satisfaire ta curiosité débordante. En partie. Car si pour la plupart des disciples, tu ne représentes pas une menace, ni l'ennemi, ce ne sont pas tous les visiteurs de passage s'arrêtant à votre quartier général à Ba Sing Se qui partagent le même avis. Certains ne peuvent faire abstraction de tes origines et tu comprends plus ou moins. Même si aujourd'hui encore tu soutiens les objectifs de tes seigneurs, car tu crois sincèrement que l'hégémonie du feu propulserait Ya Tai vers la modernité qui lui est nécessaire, tu émets certains doutes quant aux mesures drastiques qui sont employées pour y parvenir. Après avoir quitté Hikyo, tu en es venue à la conclusion que le reste du continent n'est pas complètement peuplé de barbares comme on te l'avait inculqué pendant ton enfance. Peut-être sont-ils un peu arriérés, mais vivre ailleurs t'a appris qu'ils ne sont pas si différents de vous, au final. En tout cas, pour les habitants du Royaume de la Terre, au moins, pour ce qui est des Nomades de l'Air et des Tribus de l'Eau, tu en as rencontré de moins nombreux représentants, alors le mystère sur ces peuples persiste encore pour toi.

Néanmoins, l'occasion d'en apprendre plus et de t'ouvrir les yeux pourrait se présenter à toi sans que tu n'aies à te déplacer puisqu'aujourd'hui vous recevez un cultivateur de la Tour aux Mille Vents. Ce n'est pas son premier passage depuis ton entrée au Jardin. Zhang Xiaoyan. Disons que les premières rencontres n'étaient pas dispensées d'une hostilité très palpable de la part du grand maître. Tu ne te sens ni responsable, ni coupable de ce qui est arrivé aux Nomades de l'Air, cependant tu peux imaginer que ton peuple ne soit pas particulièrement bien vu à leurs yeux, même si ça te semble plutôt injuste d'être blâmée et ostracisée pour des raisons sur lesquelles tu n'as aucun pouvoir décisionnel. Même si peut-être que si tu n'avais pas quitté ta terre natale tu n'aurais pas réfléchi à la question outre mesure, ayant complètement foi dans le jugement de tes dirigeants. Au final, si tu ne peux renier tes origines et l'éducation que tu as reçue, ton ouverture d'esprit t'a permis en partie de gagner quelques points auprès du cultivateur. Il ne fait aucun doute qu'il ne te fait pas confiance, mais la méfiance des autres t'affecte très peu : tu en as déjà bien l'habitude depuis la fondation du Temple du Soleil pourpre. Au final, tu as bien compris que ton entourage et les gestes qu'il pose comptent bien plus dans l'établissement de ta réputation que tes propres actions. Y résister étant futile, tu suis plutôt le courant en ignorant les mauvaises langues : ceux dont l'opinion devrait t'importer ne douteraient pas de toi, or cela ne signifie pas que tu sois complètement désintéressée du reste du monde. Et c'est là que cet homme précédemment mentionné entre en jeu pour venir combler tes lacunes sur ce que tu ignores d'ailleurs. Maintenant que tu te sens plus familière avec le Royaume de la Terre, tu témoignes de plus en plus d'intérêts pour les autres nations.

C'est donc avec cette idée en tête que tu entreprends de rejoindre les quartiers des visiteurs en espérant croiser Zhang Xiaoyan, comme par hasard. Tu ne vas tout de même pas cogner à la porte de la chambre qu'il occupe : tu sais très bien à quel point cela serait indécent de se retrouver ainsi seule avec un homme étranger à ta famille. Cependant, une jeune novice t'avertit en chemin qu'elle a vu l'homme que tu cherches dans un des pavillons des jardins est. Voilà qui est parfait et tu dévies ta route pour t'y rendre en espérant qu'il y soit encore et qu'aucun professeur ne doive l'en déloger pour la leçon du jour. Après tout, votre oasis de verdure et ses nombreuses cours sont parfaites pour se pratiquer à faire circuler le qi.

Quand tu le trouves enfin, tu montes discrètement les marches du pavillon dans lequel il est assis à l'ombre du soleil déjà tapant malgré la brise encore fraîche. Tu ne doutes pas un instant qu'il n'ait déjà remarqué ta présence à cause de ton énergie spirituelle, mais c'est que bouger sans te faire remarquer, c'est une seconde nature chez toi.

- Bonjour maître Zhang, j'espère ne pas vous interrompre à un moment inopportun, le salues-tu avec courtoisie.

Au-delà des bonnes manières et de l'espoir de t'instruire auprès de lui, même en étant d'une autre secte que la tienne, il est plus avancé dans sa cultivation et cela suffit à lui seul à exiger la plus grande déférence. Les seuls grands maitres que tu juges tes inférieurs sont ceux du Temple. De toute façon, peut-on réellement compter leur abominable voie comme digne de reconnaissance? Alors certainement, ils ne méritent aucun respect de ta part. Mais les grands maîtres de la Tour aux Mille Vents, de la Porte de l'Aurore céleste et de la Forteresse du Pic écarlate - oui, même s'ils sont vos rivaux - eux, c'est différent.

Curieusement, tes rapports avec le maître de la Tour aux Mille Vents te rappellent un peu ceux que tu entretenais avec Shohei, d’une certaine manière. Plus que le lien qui vous unit, c’est plutôt la courtoisie derrière vos échanges qui te rappellent un peu celui qui fut autrefois ton époux. Il t’arrive rarement de penser à lui, votre mariage n’était qu’apparence, en-dehors de la cérémonie au final, rien ne vous liait vraiment l’un à l’autre. Jusqu’à ce que tu apprennes qu’en ton sein grandissait sa descendance. Mais de ce lien, il n'en sait rien. D’ailleurs, presque tout le monde ignore qui est le père de ton enfant. S’il savait qu’en plus d’être originaire de la Nation du feu, d’avoir été proche de Sakai Katsu qui a fondé le Temple du Soleil pourpre, ton ancien mari était un rejeton de la famille royale – fusse-t-il bâtard — tu crois que Zhang Xiaoyan laisserait tomber toute marque de politesse et n’essaierait plus de cacher la froideur avec laquelle il t’accueille. Il la masque bien, ce n’est pas sa faute si tu arrives tout de même à la déceler. Voilà près de vingt ans que tu t’es exilée au Royaume de la Terre, toi, une fille des flammes. L’ennemi des royaumes verdoyants de Yatai. Tu as l’habitude des regards à la dérobée, des murmures réprobateurs. Et si tu aimes toujours la Nation du feu, si tu soutiens son idéologie et croit quand même en ses nobles buts, cela ne signifie pas non plus que tu les approuves dans tous leurs gestes, toutes leurs actions. Avec le temps, tu as appris que les habitants du Royaume de la Terre n’étaient pas les sauvages qu’on t’avait dépeints alors que tu étais assise sur les bancs d’école d’Hikyo, tes longues tresses pendantes dans ton dos. Au fil des ans, tu t’es mise à éprouver de la curiosité pour les autres peuples. À réprouver peut-être un peu la presque annihilation des Nomades de l’Air. Tu sais que le cultivateur de la secte amie vient du Royaume de la Terre, qu’il a choisi l’autre terre comme une d’adoption, un peu comme toi. Oui, vous êtes similaires. Vous avez appris à vous fondre dans un groupe auquel il a fallu apprendre à appartenir. À adopter de nouvelles habitudes. Et c’est peut-être pour cette raison, que plus que n’importe quel Nomade de l’Air, il t’intéresse plus pour poser tes questions. Enfin, pas que tu aies souvent l’occasion non plus de rencontre d’autres représentants de cette nation grandement disséminée par la guerre. C’est cette soif de savoir qui t’attire vers lui, même si tu sais très bien que derrière la cordialité, il t’aborde avec méfiance, appréhende les échanges, supposant la trahison.

Par égard à son opinion mitigé sur ta personne, tu ne prends pas place à côté de lui comme tu l’aurais fait avec d’autres membres de ta secte qui ont confiance en toi — Aallyah par exemple — et tu optes plutôt pour un coussin sur le sol, destiné probablement à accueillir quelque musicienne et son instrument.  Tu demandes à l’une des domestiques passant par-là d’aller chercher du thé pour votre invité d’un signe discret de la tête. Tu aurais pu le porter toi-même, mais tu supposes, peut-être avec justesse, qu’il refuserait de boire toute boisson que tu aurais préparée et transportée.

- Nul besoin, je passais simplement par le jardin quand je vous ai aperçu.

Mensonge, puisque tu le cherchais, avec un objectif en tête, mais tu es rarement claire sur tes intentions. Ça ne t’aide peut-être pas à paraître plus fiable et digne de confiance, mais en plus de ta nature discrète, ta formation d’espionne t’a appris plus encore à être élusive, à cacher tes attentes et ce que tu désires. Et ça a le mérite de plutôt bien fonctionner, règle générale. Au même moment, la jeune servante revient, avec une théière et deux tasses de thé, quelques friandises à base de fleurs du jardin. Si la cuisine du Royaume de la terre déçoit souvent tes papilles gustatives, tu as néanmoins un faible pour leurs gâteaux aux chrysanthèmes.

- Puis-je vous offrir un peu de thé? offres-tu en désignant le plateau fraîchement déposé, Si vous ne vous opposez pas à un moment en ma compagnie. C’est un des plus agréables pavillons des jardins.

Parce qu’une fois encore, tu espères avoir l’occasion d’en apprendre un peu plus sur les Nomades de l’air. Et peut-être cela te rend-il louche de chercher à en savoir plus, peut-être te prend-on pour une espionne à la botte de la Nation du feu, mais ta curiosité et ta soif de connaissances priment sur la prudence. Tu as si peu l’occasion de croiser des gens familiers avec leurs mœurs, la plupart t’accueillent avec animosité, il faut profiter d’une personne simplement méfiante. Et puis, tu t’abstiens toujours de poser des questions militaires ou géographiques, te concentrant plutôt sur les coutumes, les rituels, l’alimentation — il paraît qu’ils sont végétariens et ne mangent pas de viande, information que tu refuses de croire. Peut-être un jour croira-t-on que ton intérêt est sincère, dépourvu de mauvaises intentions.

Il aurait pu refuser. Le thé comme ta compagnie. Tu te serais retirée pour ne pas l’importuner plus avant. Tu n’es pas femme à imposer ta présence aux autres quand elle leur déplaît, ce n’est pas trop ton genre. Tout simplement parce que tu n’aimerais pas qu’on agisse ainsi avec toi. Peut-être la scène d’un point de vue extérieure paraît-elle calculée et ce ne serait pas faux que de le croire. Tu sais qu’en apportant déjà le thé, les raisons de te refuser sont moins nombreuses. C’était un pari stratégique pour l’intéresser à passer un moment avec toi. D’aucun pourrait croire que tu essaies de le séduire pour quelque raison inconnue, mais il n’en est absolument rien. Tu n’as d’autres désir que d’apprendre, devenir plus informée que tu ne l’es déjà en ce moment. Un objectif qui te semble plutôt louable, sachant que règle générale, les tiens restent assis sur les nombreux lauriers de ta nation sans se préoccuper de chercher à comprendre pourquoi les autres peuples pensent d’une certaine façon, surtout quand tout prouve qu’elle est arriérée. Ou presque tout, puisque les deux dernières décennies te forcent à revoir tes idées préconçues, ce que tu as toujours considéré comme la vérité. De ce fait, la méfiance des autres, surtout de quelqu’un ayant prêté allégeance aux Nomades de l’Air, ne te surprend pas du tout. C’est bien embêtant, parce que les choix et actes de ton dirigeant ne représentent pas toujours ce que toi tu aurais choisi à sa place. Loin de toi l’idée de croire que tu comprends mieux que lui d’ailleurs, si ton seigneur du feu t’ordonnait quelque chose, ta seule hésitation résiderait envers ton allégeance au Jardin, ton lieu de refuge. Tu sais que ta fidélité à ta patrie te nuit, est mal vue. Mais on ne refait pas quelqu’un de A à Z, c’est impossible.

Bien que ton rang ne soit pas si en-dessous du sien, tu congédies rapidement la servante une fois la théière et les gâteaux posés sur la petite table de pierre. Il y a quelque chose de très honorable dans la cérémonie du thé. Bien que ce n’en soit pas exactement une, tu préfères te charger de lui présenter sa tasse, dans un geste qui cherche à témoigner d’une part de ta bonne volonté, mais aussi d’une certaine déférence.

- J’espère que le thé vous plaira. J’ai pris la liberté de le choisir à la fleur de chrysanthème, pour son doux parfum subtil.

Tu lui tends la tasse, agenouillée, comme on te l’a appris. Ici, c’est un geste de soumission pour les femmes, qui n’ont pas une place égale aux hommes dans la société. Chez toi, ça n’a rien à voir avec cela. Tu peux imaginer le genre d’image que tu projettes devant le grand maître. Après tout, même s’il a adopté une nouvelle patrie, il reste quand même qu’il a grandi une partie de sa vie avec les valeurs du Royaume de la terre. C’est d’ailleurs pour ça que c’est lui que tu as choisi pour t’instruire sur le peuple des Nomades de l’Air. Après tout, il vit une expérience similaire à la tienne, fille du feu exilée à Ba Sing Se. Puis, tu supposes que sa hargne envers ton peuple est peut-être moins ancrée dans ses veines que s’il venait réellement d’un des temples de l’air.

- Tout allait bien à la Tour aux Mille Vents lorsque vous êtes parti? J’espère que votre maître se portait bien.

Bien que son séjour chez vous ne vient pas tout juste de commencer, c’est la première fois depuis qu’il est arrivé cette fois que vous avez un entretien privé l’un avec l’autre. Tu ne voulais pas sembler lui sauter à la gorge dès sa venue et tu as attendu ton heure pour une entrevue. Tu abordes doucement, en testant les eaux, le sujet qui t’intéresse réellement. Il est difficile de tâcher s’instruire quand déjà ses propres camarades de secte supposent que vous êtes espionne. La tâche semble encore plus complexe quand il s’agit d’un inconnu, appartenant à un groupe naturellement ennemi du sien.