Assis sur une chaise, près du lit de Yeling, tu attends - tu attends, impatiemment, mains entremêlées, parce qu’il n’y a que ça que tu puisses faire. Ton regard est fixé sur ton fils adoptif, son teint de malade ; et pour une fois tu n’arrives pas à garder ta contenance habituelle, tes traits sont tirés par l’anxiété, l’épuisement, et le manque de sommeil. Chaque journée est une épreuve pour être honnête. Toi qui d’habitude te lèves aux aurores sans problème, tu n’as plus qu’une seule envie : t’endormir, et te réveiller le plus tard possible - enfin, ça, c’est si par le plus grand des miracles tu arrivais à dormir. Ce n’est pas tant ta propre expérience à Omashu qui t’empêche de fermer l’oeil la nuit. Ton bras te fait souffrir, mais ce n’est pas grave. Tu t’en es bien sorti, tu n’as pas vécu de choses si marquantes. C’est tout le reste qui ne va pas. C’est Zhihao qui n’est plus la même, c’est Yeling qui s’est pris de fouet un rhino-komodo. Parce que ce sont tes enfants, et que tu hais de tout ton coeur les voir ainsi, aussi..vulnérables, et changés, et dans le mal. Parce que Yeling ne s’est pas encore vraiment réveillé.

Ta culpabilité est aussi immense que les pics qui entourent la Tour. Tu n’aurais jamais dû les emmener à Omashu. C’est ton erreur - une erreur qui te coûte cher. La seule chose qui te réconforte, est que cela aurait été pire, probablement, s’ils avaient été à Hikyo. Tu vois déjà assez ce que fait la Nation du Feu au Royaume de la Terre pour ne pas avoir envie de savoir ce qu’ils peuvent faire dans leur propre territoire. Sans doute tes enfants auraient-ils été emprisonnés, et.interrogés, une idée qui te pétrifie d’angoisse. Au moins..Au moins ils sont ici avec toi, même si tu as failli à ton devoir, et que tu n’as pas su les protéger comme tu l’aurais du. Ils n’étaient pas dans le même groupe que toi, certes, mais..Mais quand même. Tu aurais du faire plus pour les protéger et les empêcher t’être blessés. Que diras-tu à Lingfei - Lingfei, l’amour de ta vie, ta femme tendrement aimée, quand tu lui annonceras que Yeling est gravement blessé ? Elle te détestera, c’est évident, mais pas plus que tu ne te détestes toi-même.

Tu as failli à ton devoir, en tant que mari, en tant que père, et en tant que Grand Maître.
Tu as tout raté, sur toute la ligne.
Ne devrais-tu pas partir en séclusion, et ne revenir que dans plusieurs années, lorsque tu auras atteint un tel niveau de maîtrise que plus jamais tu ne failliras ?
Probablement, mais la guerre ne t’attendra pas.

Tout à ta réflexion, c’est tout juste si tu sens une main agripper ta manche. Tu te figes, le coeur au bout des lèvres, et tu regardes enfin ton fils. Il te sourit - un sourire qui te fend le coeur. Yeling est vivant, il est conscient, tout va bien. Le soulagement que tu éprouves te fait presque tourner la tête. Mais tu vois que Yeling essaye de se redresser ; doucement, tu poses une main sur son épaule.

“Ne bouge pas, A-Ling. Laisse-moi t’aider.” Le terme affectueux est monté spontanément à tes lèvres ; mais tu n’as pas à en avoir honte. C’est ton fils. Peut-être qu’un autre est son père biologique, mais c’est toi qui l’as majoritairement élevé, avec Lingfei ; pour toi, Yeling est ton enfant, au même titre que Zhihao et tes enfants biologiques.

Doucement, très doucement,tu aides ton fils à se relever, installe plusieurs coussins derrière son dos ; tu comprends qu’il a soif, et tu appelles une infirmière à la cantonade pour qu’elle apporte de l’eau - une fois cela fait, tu aides  Yeling à boire.Tu ne peux plus rien dire, cependant, trop submergé par l’émotion. Tu..tu ne peux que lui sourire. Maladroitement. Je suis si soulagé, essayes-tu de communiquer par ce sourire.