Des fois, Yichun, tu te dis que tu as vraiment la poisse.

Combien de gens peuvent tomber sur un yao qui s’amuse à parcourir des kilomètres et à narguer ceux qui le chassent, hein ? Tu ne sais pas exactement quelle distance, quelles montagnes tu as parcouru, et sincèrement, tu as un peu peur de l’apprendre. Déjà que ça fait plus de quatre jours que tu es sur cette chasse. C’est un peu pathétique. Si tu n’avais pas un peu honte de ton manque de succès, tu aurais peut-être essayé de trouver du renfort. (Peut-être que tu t’es un peu perdu en chemin, c’est possible, mais tu préfères ne pas trop évoquer cette possibilité, tu essaies de t’améliorer, ok !) Ou abandonné. Mais ce yao (ou ce groupe de yao, en fait, tu commences à soupçonner...il y a un peu trop de victimes pour qu’il s’agisse d’un seul montre) a fait trop de dégâts pour que tu l’ignores. Et techniquement, tu es toujours sur le terrain couvert par la Forteresse. Si tu revenais bredouille, en disant que tu as laissé tomber cette chasse parce qu’elle était trop dure, pour qui tu passerais, hein, Yichun ? Tu te ferais tellement engueuler par ton chef de secte, pour avoir manqué à tes responsabilités. Tu n’as pas envie de servir de t’agenouiller pendant des jours en guise de punition. Ou te ramasser des coups de baton. Ou récurrer les armures quand vous rejoignez l’armée. (Tu frissonnes à cette idée. Oh non, la sueur qui date de plusieurs semaines, c’est clairement pas ce qu’il y a de mieux.) Sans parler des victimes humaines que ton inaction entraînerait. Combien de jours faudrait-il pour envoyer un autre cultivateur à ta place, combien d’autres morts y aurait-il ? Ta mère t’en voudrait tellement. Tes oncles, tes cousins. Ugh. Impossible de rentrer, tu dois terminer cette chasse. Même si tu galères, tu ne peux pas vraiment laisser cette bête semer le carnage sur son passage.

Les embruns salés de l’air marin te font te dire que tu te rapproches dangereusement de la côte est, là. Enfin, c’est pas dangereux, mais c’est quand même sacrément loin de la zone où tu as trouvé ce monstre ! Que va-t-il faire, ensuite ? Traverser l’océan ? Ce serait bien ta veine. Tu ne crois pas qu’il s’agisse d’un monstre nageur, mais si ce n’est pas la mer, ça risque d’être le désert, et c’est encore pire. Presque personne patrouille là-bas. Et tu as beau aimer le Jardin, tu sais que tes supérieurs t’en voudraient terriblement si tu filais la mission à votre secte rivale. Guh.

Le soleil est en train de lentement tomber sur l’horizon, et ce n’est pas un bon signe pour toi. Car non seulement, ta visibilité va être amoindrie et tu pourras moins facilement te déplacer, mais le yao risque d’être bien plus actif, lui. Et gagner encore quelques kilomètres sur toi. Aaaah, pourquoi le mal ne se repose jamais, hein ?

Tu es en train d’acheter des provisions pour la route (quelques baozi et lamelles de viande séchée) et réfléchir au mérite de t’installer pour la nuit dans une maison abandonnée – tu te trouves dans une ancienne ville minière en fort déclin, tu n’es même pas certain qu’il y ait encore une dizaine de maisons habitées par ici – quand une figure familière entre dans ton champ de vision. Un frisson parcoure ton échine, étrange mélange de peur et d’appréhension. La voie du couard serait d’essayer de passer inaperçu, mais ce serait probablement contre-productif. Avec une inspiration pour te donner du courage, et un sourire poli que tu plaques sur tes lèvres, tu salues poliment le grand maître de la Tour, maître de Zhihao et ami de tes parents. Autant dire que tu n’as pas trop intérêt à merder.

« Aaah, Zhang-qianbei, quelle surprise de vous voir ici. Bonjour ! » t’exclames-tu avec tout l’enthousiasme que tu peux.

Qui sait, peut-être que c’est une aubaine ? Peut-être que c’est le renfort que tu n’as pas osé demander à la Forteresse ?


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Tu es de nouveau en chasse. Rien d’étonnant à cela - c’est pour cela que tu as signé en rejoignant la Tour aux mille vents. Combattre le mal. Venir en aide à ceux qui ne peuvent se défendre. C’était là tes motivations lorsque tu avais neuf ans, et les choses n’ont pas beaucoup changé en plus de trente ans. Beaucoup de choses ont changé, le monde a changé, tu as vieilli, tu as mûri, tu t’es marié, tu as eu des enfants, tu as pris des disciples - mais tu es resté au fond le même, toujours prêt à combattre les injustices partout où tu en voyais. Et c’était bien pour cela que tu étais de nouveau sur le terrain. Vous aviez reçu un message à la Tour, un message qui parlait d’un yao provoquant des troubles - et l’instant d’après, tu bondissais presque à sa recherche après avoir rassemblé des provisions. Sans prendre le temps de prendre un de tes disciples avec toi, cette fois. Erreur ou non, mais il semblait s’agir d’une urgence trop grande.

Tu te trouves donc dans le Royaume de la Terre - mais suffisamment près des côtes pour que tu puisses sentir cette odeur de sel si caractéristique qui te rappelle ton enfance - , plus précisément dans une petite ville minière dont le nom ne t’était pas inconnu avant. La ville est en déclin, à moitié abandonnée, et tu ne lui laisses pas plus de dix ans avant qu’elle ne se vide complètement. Dommage, supposes-tu. Mais ce n’était pas là la question. Arrivé juste assez tôt pour pouvoir faire une pause puis te ravitailler, tu t’apprêtes à aller poser quelques questions avant d’aller battre la campagne, à la recherche de ce maudit yao. On ne sait jamais - il ne faut pas sous-estimer le pouvoir des rumeurs.

Mais ton attention est attirée par ton nom que l’on appelle, et tu tournes vivement la tête dans la direction du bruit. Tu reconnais bien cette voix, encore plus cette silhouette vêtue de gris et rouge. Un jeune homme de la Forteresse, apparemment seul.

“Bonjour Yichun.” Tu inclines la tête en réponse à ton salut, un léger sourire sur les lèvres - le fils de tes amis de la Forteresse le mérite bien. Tu es content de le voir. “Comment te portes-tu ? Tu es bien loin de la Forteresse. “ Simple constatation. “Es-tu à la poursuite du yao qui semble causer des troubles dans les environs ?”

Drôle de coïncidence, mais peut-être que c’est le destin.

Le truc, Yichun, c’est que tu sais exactement ce que tu vaux.

Tu n’es pas un mauvais cultivateur, non. Mais tu es paresseux. Tu sais que tu pourrais progresser plus vite et mieux, mais tu n’en as terriblement pas envie. Tu es comme un âne têtu qui freine des quatre fers, sauf que tu penses être plus gentil qu’un âne quand même.

Seulement voilà, dans une secte où le travail est une valeur cardinale, ça passe un peu mal. Tu sais que ton comportement exaspère ta famille, ta secte, et même tes amis (pauvre Zhihao qui désespère dans ses lettres), et sincèrement, tu penses que c’est pas super sympa ! En quoi ça les regarde comment tu progresses ? Enfin, ta secte, non, tu comprends, t’es un disciple, un investissement, si tu ne vas pas au maximum de tes capacités, tu gaspilles un peu les ressources de ta secte. Mais voilà, t’as pas envie de passer maître, et même si tu te résous lentement à l’idée que tu vas devoir le faire tôt ou tard, reste que ça ne t’enthousiasme pas vraiment.

Et quand tu relèves le regard vers les yeux sévères de Zhang Xiaoyan, tu entends la voix de Zhihao qui te dit de faire plus d’efforts, la voix de ta mère de sa soeur, de tes professeurs...mais de façon encore plus sévère.

Après tout, il y a un lien affectif avec toutes ces précédentes personnes ? Avec Zhang-qianbei...pas tellement ? Enfin, quand tu étais plus jeune, oui, c’était un peu comme un de tes tontons, il était gentil, du genre à t’ébouriffer les cheveux. Mais depuis que tu traînes la patte dans ta progression...ce n’est plus tout à fait pareil. (Bon, tu as grandi aussi hein, t’es plus un gamin, mais ça c’est autre chose.)

Au moins, il sourit ? Tu essaies de calmer ton coeur qui veut battre plus fort de stress, et tu lui réponds poliment.

« Je vais bien. Mes parents aussi. » Ok, tu devances un peu, mais tu es persuadé qu’il voudrait savoir, alors...tu lances l’info comme ça, c’est toujours bien. « Et vous-même ? » Ton sourire se fait un peu plus gêné, un peu plus crispé quand le maître de la Tour constate que tu es bien loin de la Forteresse. « Ah...oui, plutôt. » Tu baisses instinctivement les yeux, avant de les relever quand tu te rends compte du signe de faiblesse. Tu es mortifié à l’idée qu’il soit au courant de l’existence du fameux yao que tu n’as toujours pas réussi à éliminer. Si tu avais été plus compétent, Yichun, Zhang-qianbei n’aurait pas dû venir jusqu’ici. « Oui... » admets-tu avec une certaine réticence. « Ça fait quatre jours que je le poursuis, et sincèrement, je soupçonne qu’il s’agit d’un groupe plutôt que d’un seul yao. » Comme si ça pouvait atténuer un peu ton manquement jusqu’à présent. « J’hésitais à demander des renforts à la Forteresse mais...on est tellement loin, le temps qu’un messager arrive... » Tu soupires, avant de reprendre d’une petite voix, un peu dans l’embarras. « Vous en avez entendu parler jusqu’à la Tour ? »


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Yichun est terrifié. Tu le vois comme le nez au milieu de la figure, ça se sent dans son attitude ; tu le terrifies, et tu ne sais quoi faire de cette information. D’un côté, cela t’attriste un peu - c’est le fils de tes amis, et que tu l’effraies à ce point est ..oui, triste, dommage. Mais de l’autre..tu supposes que tu ne dois pas t’en étonner. Tu es dur avec lui. Oh pas ouvertement non plus, tu ne peux pas te le permettre - tu n’es ni son Maître ni de sa secte, et tu ne te permettrais pas d’outrepasser tes droits. Pourtant quand tu le vois,c’est de la déception que tu vois. Yichun gâche son potentiel, as-tu conclu il y a bien des années. Il se rebiffe, apprend des nouvelles techniques à reculons ; il refuse de progresser, en résumé. Et ça, oui, ça te déçoit. Parce que tu repenses à Indra, qui aurait tellement voulu être cultivateur quand il était enfant, et qui n’y est jamais parvenu. Malgré ton aide. Cet échec te hante encore aujourdh’ui, et tu n’as jamais pu te libérer de la culpabilité de n’avoir pas pu l’aider assez.  Et Yichun lui, a eu les capacités nécessaires pour devenir cultivateur..et les gâche pour tu ne sais quelle raison. Ca te fait enrager, intérieurement. Alors oui, tu es sévère avec lui - pour son bien. Pour qu’il prenne ses responsabilités et accepte enfin de progresser. Pour son bien tu es prêt à endosser le mauvais rôle. Mais, décides-tu enfin, ce n’est ni le lieu ni le moment de lui faire la leçon. Des vies sont en jeu, avec ce yao qui semble causer bien des soucis.

“Tant mieux. Transmets mes salutations à tes parents, je te prie.” Tu es peut-être un peu trop poli, un peu trop guindé, caché derrière le protocole. Les choses étaient plus simples quand tu n’étais qu’un simple disciple peut-être. Maintenant..Maintenant tu es Grand Maître. Tu ne peux plus te permettre d’agir sans penser aux conséquences de tes actes, de tes paroles, de ton attitude. Le souci étant, hélas, que l’intention initiale derrière tes paroles est souvent perdue, derrière les couches de politesse. Tant pis. “Je vais bien, merci de t’en inquiéter. Tout comme Zhihao et le reste de la famille. ” Tu connais son amitié avec Zhihao, même si au début, tu n’approuvais pas complètement - tu craignais qu’il ne déteigne sur elle, qu’elle prenne des mauvaises habitudes. Mais au final, c’est l’inverse qui s’est produit : tu as remarqué qu’elle essayait souvent de le motiver, alors, ma foi, tu n’avais plus rien à dire. Tu sais aussi qu’il a déjà rencontré Yeling, ton fils adoptif, et il te semble qu’ils s’entendent relativement bien. D’autant plus qu’ils sont très proches en âge.

“Je vois.” Tu fronces les sourcils, mais tu n’es absolument pas fâché contre Yichun, et tu essayes de le laisser paraître. Ta voix est plus bienveillante, moins sévère, moins formelle. “S’il s’agit d’un groupe de yaos, il t’aurait été difficile de t’en charger seul.”   ajoutes-tu enfin. Il ne fallait pas non plus être irréaliste. Tu es exigeant, mais tu as aussi les pieds sur terre. Yichun n’est pas un surhomme non plus. Toi non plus. On ne savait jamais ce qu’il pouvait arriver en mission, malheureusement. Du genre, un yao qui arrive par derrière alors que l’on pense avoir vaincu tous ses semblables. Du vécu ? Absolument. “En effet..” réponds-tu. “ Ma foi, c’est plutôt une bonne chose que nous nous soyez croisés ici, si ce que tu dis est vrai. Nous ne serons pas trop de deux.”  Un groupe de yao qui décide de causer du grabuge..oui, mieux valait que vous soyez plusieurs pour vous en charger.