Gravir les montagnes, sentir l’odeur des pins sur les pics rocheux, toucher les nuages du bout des doigts. Voilà à quoi ressemblait un retour à la maison. Un retour aux sources.

Yeling avait toujours le même rituel quand il rentrait chez lui. D'abord, il passait au Temple de l'Air oriental pour retrouver sa mère, prendre des nouvelles, en donner, la rassurer. Ces petites conversations intimistes entre une mère et son enfant que Yeling n'aurait manqué pour rien au monde. Peu importe qu'il soit un jeune homme indépendant parcourant librement les routes, ces moment-là restaient précieux. Puis, avant de se rendre dans l'édifice voisin où s'exerçaient les cultivateurs, il ne manquait jamais d'aller saluer ses anciens maîtres élémentaux et leurs élèves. Surtout les élèves. C'était un vrai bonheur de s'amuser quelque instant avec eux et de leur apprendre de nouveaux tours pour faire tourner en bourrique leurs professeurs. Une fois le méfait accompli, Yeling se rendait à la Tour des Mille vents, ne pouvant résister à l'envie de retrouver son frère et son beau-père avant que toute la famille se réunissent autour d'un bon repas.

Sur le chemin entre le Temple et la Tour, Yeling inclinait humblement la tête devant les statues protectrices de pierre  qu’il croisait. Objets inanimé, faites de roches sculptées, elles pouvaient s’éveiller au moindre danger pour protéger les habitants de ces lieux. Bien qu’actuellement inoffensive, il n’y avait rien de mal à leur montrer un peu de respect, ainsi qu’à celle et ceux qui les avaient gorgé d’énergie spirituelle.

Quand Yeling arriva au sein même de la Tour, après avoir passé les gardes, il fût accueillie par un silence solennel, entrecoupé seulement de quelques notes de musiques s'élevant de-ci de-là et l'entrechoquement lointain et consciencieux d'épée. Quelle différence avec le temple qui était égaillé par le rire des enfants et leur bourrasque de vents maladroites. Mais il l'avait l'habitude maintenant. Tout comme il l'avait l'habitude d'entendre toutes ses mélodies qui, légèrement étouffés dernières des portes, se mélangeaient sans pour autant se déranger les une aux autres. Il suffisait de se concentrer un peu pour en attraper une, puis la suivre jusqu'à sa source. Il essaya, cherchant un des airs que son frère avait l'habitude de travailler la dernière fois qu'ils s'étaient vus. Il ferma les yeux et se concentra sur son ouïe, jusqu'à que… Ah ! Là ! Cette mélodie et ce style particulier qu'il connaissait depuis enfant pour avoir si souvent joué avec son jumeau. Elle venait de la gauche.

Il emprunta un couloir longeant une cour intérieure et, avant d'atteindre son but premier, y aperçut une silhouette familière. Il ne put s'empêcher de sourire en reconnaissant cette allure fière et sérieuse si semblable à son beau-père. Il s'approcha tranquillement, son air malicieux ne laissant aucune place au doute sur le badinage à venir. « Oh, oh ! Mais que vois-je ? Le vent m'envoie l‘héroïne Zhihao, dangereuse beauté, qui cache son sourire derrière son épée. C'est un bon début pour glorifier ton nom dans tout le Ya Tai, non ?» Puis, pressentant ce qu'il avait déjà bien trop vécu par le passé, il leva les mains devant lui en signe de défense. « Attends, avant de me faire taire, juste une question. » Il baissa les bras et repris son air sérieux sans se départir de son sourire chaleureux. « Comment vas-tu ? » La jeune femme n'était pas n'importe quelle cultivatrice. Petite protégée de Zhang Xiaoyan, le beau-père de Yeling, les jumeaux avaient grandi avec elle et la considéré comme un membre indissociable de la famille. Et dans leur famille, on prenait soin les un des autres.

Cela fait longtemps que tu n'es pas revenu au temple. Plusieurs mois. Tu culpabilises toujours un peu de t'être éloigné ainsi de ta famille. Surtout de ton frère qui est resté, lui, lorsqu'on lui avait donné le choix de partir il y a longtemps de cela. Mais tu ne regrettes pas. Tu en avais besoin Yeling, besoin de cette liberté, de voyager, de rencontrer. Tu ne pouvais rester cacher entre ces murs, ce n'est pas dans ta nature, ni celle de ton peuple. Vous ne portez pas le nom de "Nomades" pour rien. Et pourtant, ta maison te manque. Ta famille te manque et c'est toujours un bonheur de les retrouver. Même cette petite sœur menaçante qui joue les grandes sœur face à un frère aussi taquin que toi. Elle ne sourit pas beaucoup, tout comme ton jumeau, mais ce n'est pas grave. Ils n'en ont pas besoin, tu as toujours souri et ris suffisamment pour vous trois. Tu as l'habitude de décrypter leurs attitudes neutres, que certains considèrent à tord comme froide et hautaine.

Tu le vois en ce moment même. Sa posture droite, son regard ennuyé, son ton neutre : tu viens de déranger A-Hao. A vrai dire, elle ne le cache pas vraiment. Mais toi Yeling, tu es si heureux de la revoir depuis tout ce temps, que tu te montres égoïstement chaleureux. Elle aura bien le temps de s'entraîner quand tu seras repartis. Tu ne restes jamais bien longtemps, tu as trop la bougeotte. Mais A-Hao ne l'entends pas ainsi, elle n'est pas du genre à se laisser faire ta petite sœur de cœur que tu aimes tant. Alors, elle te propose… quoi exactement ? L'aider pour quoi ? Pour quel entraînement ? Tant d'imprécision ça ne sent pas bon, tu es bien placé pour le savoir, aillant toi-même souvent recours à cette tactique.

A nouveau, tu lèves les mains devant toi, que tu avais à peine baissé, en signe de défense et déclare d'une voix plaintive « A-Hao A-Hao. Cela fait des mois que l'on ne sait pas vu et tu veux déjà me martyriser ? Je sais que je t'ai beaucoup manqué et je suis sûr que tu peux me le montrer d'une meilleure manière.» Tu préférerais discuter, l'écouter parler de ses missions, de ses aventures, puis parler des tiens en retour, de la troupe. Mais ta sœur n'est pas une grande bavarde, contrairement à toi, et tu sais à quel point la cultivation est importante pour elle. Alors tu lui souris en faisant un geste vers la cour intérieure. « Mais si tu es si impatiente de me montrer les nouvelles techniques que tu as apprises durant mon absence, je vais te trouver des mannequins de paille et de bois. Je saurais mieux apprécier tes progrès en les voyant qu'en les subissant.»