Tu es nerveux.

C'est incroyable, après tant d'années à se former et progresser dans l'art de la cultivation, que tu te surprennes à avoir de telles émotions en mission, et pourtant c'était bien le cas. Tu es nerveux, ému même. A chacun de tes pas, tu as l'impression d'être à la fois ancré dans le présent, et dans tes souvenirs. Tu marches sur des chemins qu'autrefois tu parcourais en courant ; tu repères le grand arbre auprès duquel tu aimais tant te reposer autrefois, toujours là mais encore plus majestueux et impressionnant qu'à l'époque ; tu respires le même air, teinté d'embruns et d'iode, qu'à l'époque. Et en conséquence, tu te sens terriblement nostalgique, comme à chaque fois que tu es amené à effectuer une mission dans les environs. La Tour est ton foyer, c'est incontestable, et pourtant quand tu penses "la maison", tu penses d'abord à ce village. Les sentiments humains sont parfois trop complexes et incompréhensibles, parfois.

"Zhihao." fais-tu, doucement, une fois que ta disciple et toi êtes arrivés en haut de la colline qui marquent l'entrée de la petite bourgade - et que tu t'arrêtes, embrassant du regard le village de ton enfance. Tu n'es pas de ceux qui estiment que c'est parce que tu es à présent Maitre que tu peux te permettre de parler à tes pairs et subordonnés comme s'ils n'étaient qu'une vulgaire chenille. "Ce village, est mon village natal..." Ta voix est, tu le sens, pleine d'émotions et de nostalgie heureuse. Tu n'as pas pour habitude de révéler beaucoup d'informations sur toi et ton passé, à la Tour. Peut-être était-ce l'influence des Nomades de l'Air, qui se détachent des choses matérielles ; mais toi, tu es né au Royaume de la Terre. Ce sont tes racines, et tu y tiens. "Ma famille y tient une salle d'entraînement à l'épée depuis des générations.  Nous irons leur rendre visite quand nous aurons fini notre mission. " Et que cela expliquait, sans doute, pourquoi pendant longtemps lors de ton apprentissage tu avais bien plus de facilités pour le maniement de l'épée que pour l'apprentissage d'un instrument. Comme si ton corps savait instinctivement quoi faire - comme si c'était dans ton sang. Et cela expliquait sans doute pourquoi tu peux te montrer un peu pinailleur avec tes disciples sur la question, parfois.

Mais aujourdh'ui, tu te laisses aller à la confidence. Zhihao te côtoie depuis plus de quinze ans, elle a probablement perçu que tu n'étais pas tout à fait comme à ton habitude. Moins composé. Alors autant lui donner quelques clés pour comprendre ton état, pour ne pas qu'elle s'inquiète - et cela, tu t'y refuses. C'est à toi de t'inquiéter pour elle, de la guider, de la former. Elle n'a à penser à rien quand elle est avec toi. Mais tu sais qu'une fois face aux créatures que vous devez éliminer, tout ira bien - que tu reprendras tes esprits. Pourquoi le choix de Zhihao pour cette mission d'ailleurs ? Tout simplement parce que vous devez affronter visiblement des esprits aquatiques et que tu préfères avoir avec toi un disciple suffisamment avancé et débrouillard pour que tu n'aies pas besoin de garder en permanence un œil dessus.

Votre arrivée dans le village provoque évidemment des émules. Tu sens les regards sur toi et ton élève, les murmures admiratifs. Rien d'étonnant. Deux cultivateurs de la Tour vêtus de leur bel habit bleu et safran, épées au côté et instruments dans le dos, c'était sans doute l'attraction de la journée et c'était bien normal - le village a beau s'être développé, ce n'est pas devenu une ville majeure de la région non plus. Tu aperçois même des gens que tu as connu enfant -qui ont ton âge à présent, et te regardent bien évidemment d'un tout autre œil qu'à l'époque. Tu as gagné leur respect à présent. Tant bien que mal.

Peut-être est-ce mieux, décides-tu. Mais tant que la salle d'entraînement de tes aïeux tient debout, tout ira bien. De cela tu es persuadé.

"Allons voir le chef du village pour qu'il nous explique précisément quel est le problème." dis-tu enfin gentiment.

Une mission avec ton shifu. Ce sont tes préférées. Juste toi et lui. Une expérience unique. Parfois tu te dis que c'est ce que les parents font avec leurs enfants. Tu t'imagines avec tes propres parents inconnus, mais chaque fois que tu vois la scène dans ta tête, c'est toujours le visage de Zhang-shifu qui te vient en tête. Son regard rassurant, son énergie calme, son esprit terre à terre. Tout en lui te rassure et te calme et te ramène aux vraies choses.

Sauf aujourd'hui.

Aujourd'hui, il a une énergie électrisante. Instable. Elle te perturbe même si tu ne le montre pas. Tu n'oserais jamais le montrer. Tu n'as même pas besoin. Il te connait aussi bien que tu le connais. Il doit sentir ton inquiétude à son égart. Alors tu attends patiemment qu'il s'ouvre à toi de lui-même. Tu n'es pas pressée. Ça va venir. Tu le sais. Et le silence rend la marche vers le village bien plus plaisante. Preuve est qu'une fois sur la colline surplombant le village, Zhang-shifu se met à parler, commençant par appeler ton nom.

Il explique enfin son état d'esprit. Tu peux sentir plus que de la nervosité dans le ton de sa voix. Tu peux entendre... qu'il semble heureux de revenir ici. Même pour des circonstances aussi terrible que l'arrivé d'une créature dans le village. Il va même jusqu'à partager son passé. C'est un évènement rare et tu laisses le moment passer avec plaisir. En apprendre plus sur ton professeur est toujours appréciable. Tu te sens préviligiée, mais tu refuses de te laisser aller dans les émotions. C'est fantastique comme moment, oui, mais vous avez une mission à accomplir et rien ne pourra te détourner de cela.

-Ah. C'est pour ça que je n'arrive jamais à vous vaincre, Zhang-shifu.

C'est la seule réaction que tu te laisse avoir avant de te reconcentrer sur la mission.

La marche reprend jusqu'au village. Tous tes sens sont aux aguets. Le village est bordé par la rivière, comme tout bon village, et tu crains de voir la créature attaquer dès que vous mettez les pieds au coeur du village. Mais rien n'arrive. Zhang-Shifu parle d'aller voir le chef du village et tu hoches docilement la tête. Tu crains que le chef ne soit pas très inutile. Après tout, s'il savait ce qui se passait, il n'aurait pas eu besoin d'aide pour chasser la créature. Un être des eaux est simple à calmer et exorciser. Ça ne va vous prendre que cinq petites minutes. Tu te laisses aller à une nouvelle indécence.

-Si vous le voulez, lorsque nous aurons fini cette mission, nous pourrions... prendre notre temps pour rentrer à la Tour.

Tu n'oseras jamais évoquer l'idée de rester plus longtemps ou visiter les lieux appréciés par ton shifu. Mais tu laisses l'idée flotter entre vous deux. Le laisser choisir pour vous. Il est l'aîné après tout. Tu n'es que l'étudiante.

Comme à son habitude, Zhihao est d’un calme impressionnant. Tout entière dévouée à sa mission, elle demeure imperturbable, et d’un côté..tu es incroyablement fier de ton élève, de la façon dont elle a progressé, de la façon dont elle fait honneur à la Tour. Jamais tu ne l’as vue ou entendue dire quoi que ce soit de stupide, irréfléchi, ou qui pourrait porter atteinte à la réputation de votre secte. De l’autre, tu te demandes bien ce qu’elle peut penser, parfois. Etait-ce une façon d’imiter les Nomades de l’Air, en se détachant de tout, même de ses émotions ? Etait-ce une façon de dire qu’elle n’allait pas se laisser distraire par quoi que ce soit? C’est étrange en tout cas, pour toi l’ancien enfant impétueux. Des fois tu as l’impression qu’elle n’a jamais été un enfant, mais toujours un être à part, avec un sérieux d’adulte.

“Ce qui compte n’est pas notre naissance ou nos capacités, mais nos choix. J’ai juste travaillé dur, et j’ai l’avantage de l’expérience.” Tu gardes un ton léger, mais ton propos est sérieux. Tu refuses de croire que tout s’explique par la naissance. Non, tu crois aux vertus du travail. Tu as peut-être eu des facilités, mais ces facilités auraient été gâchées si tu ne t’étais pas entraîné sérieusement, chaque jour. Non pas que tu ais quoi que ce soit à reprocher à Zhihao sur le plan du travail. Elle s’entraîne assidûment, elle, contrairement à un certain jeune cultivateur de la Forteresse que tu ne nommeras pas. Elle ne se dérobe pas à ses responsabilités. Jamais. Le travail d’abord, l’amusement ensuite.

Et tu offres un sourire complice à ton élève. Elle et toi êtes sur la même longueur d’ondes, ce qui n’est pas chose si rare.

“En effet.” Tu ne t’inquiètes pas de savoir où manger ou dormir. Tu sais très bien que ta famille sera plus qu’heureuse de vous accueillir, comme elle l’a déjà fait en un nombre conséquent d’occasions. Que ça soit avec ton propre maître, ta propre famille dont tu es si fier ou d’autres de tes disciples. “Cela nous fera du bien de nous détendre un peu.” Surtout Zhihao elle-même. Tu aimes savoir qu'elle travaille dur, mais il est important de se reposer. Tu ne veux pas qu'elle se brûle les ailes, en devenant une brute de travail.

Le trajet jusqu’à la demeure du chef de village se fait donc en silence. Vous n’êtes pas des grands bavards de toute façon, ni l’un ni l’autre - mais votre interlocuteur l’est pour dix. Tu grimaces intérieurement.

“Honorés cultivateurs, je suis si heureux de vous voir ! “ Tu t’inclines pour le saluer. Vous vous êtes connus dans votre enfance, mais tu ne fais aucune différence entre les nouveaux venus et tes anciennes connaissances. “Notre village est la proie d’êtres aquatiques qui attaquent les bateaux dés qu’ils quittent le port pour la pêche au poisson ! Cela fait déjà plusieurs jours que certains pêcheurs ont été blessés ou ont disparu !”

Cette histoire est plus sérieuse que ce que tu croyais, et tu échanges un regard vif avec ton élève. Il était temps d’intervenir, en effet. C’est donc avec une attention soutenue que tu écoutes le chef de village donner les derniers détails, comme le nom et âges des victimes, ou d’autres détails qu’elles auraient remarqué...pour celles qui sont revenues. Mieux vaut trop de détails que pas assez, et tu préfères ne pas passer à côté d’une information qui pourrait s’avérer capitale.

A la fin de son discours, tes sourcils sont froncés, et c’est en t’inclinant que tu prends congé, suivi de ta disciple. Tu es d’autant plus ravi que ça soit elle avec toi. Tu sais que tu as fait un bon choix - tu sais qu’elle ne se démontera pas facilement si la situation dégénère. Ce qui ne devrait pas arriver, en théorie - mais quand même.

Tu restes silencieuse comme a ton habitude. Tu n'as rien à dire de toute façon alors à quoi bon ouvrir la bouche? Tu restes simplement à ses côtés, comme une bonne élève se devrait, et tu écoutes tout ce que ton maître dit. Tu bois ses paroles et les laissent remplir ta tête et ton âme. Il semble mettre l'emphase sur l'expérience et pas la naissance qui fait l'homme et tu hoches la tête. Tu le sais. D'où ton commentaire. Mais tu ne réponds rien de plus. Ça ne sert à rien.

Tu sembles un peu inquiète en entendant parler de repos, mais tu ne le montre pas. Montrer ton anxiété ne va pas t'aider en ce moment. Tu préfères penser à ta mission, penser à ce que tu dois faire et aider ce village. Ensuite, peut-être, tu pourras penser à autre chose que le travail. Mais pas là. Pas maintenant. Maintenant, tu dois te concentrer.

Zhang-shifu prend le contrôle de la situation, parle avec le chef qui vous donnne toutes les informations nécessaires. Ou du moins, connu qui pourrait vous aider. Tu restes de marbre face à la description des attaques et des victimes. C'est terrible... mais tu dois rester concentrer. Te détacher complètement du caractère humain de la chose et penser en temps que cultivateur. Tu pourras pleurer et montrer du respect aux morts après. Pour l'heure... il faut chasser.

Tu te courbe en même temps que ton maître, synchronisé comme à ton habitude, le connaissance pratiquement mieux que toi-même parfois. Tu le suis lentement, restant tout aussi silencieuse. Tu gardes un oeil son ton maître, essayant de décoder son propre silence. Tu te demandes s'il s'inquiète de cette mission. Elle est un peu plus sérieuse que ce qui a été décrite à la Tour. Tu hésites un instant avant de redresser la tête, observant l'horizon avec détermination. C'est une simple mission. Tu as pratiqué ce genre de cas des milliers de fois dans ta tête.

-Nous devons aller dans leur territoire pour pouvoir les affecter. Ça risque d'être dangereux, mais si on se prépare bien, nous n'aurons aucune difficulté. À deux, je suis certaine que nous pourrons calmer cet esprit et rétablir la paix. Si ça ne fonctionne pas, je suis prête à me battre, shifu. Quelles sont vos commandes?

Toujours stoïque et efficace, Zhihao imite ton salut avant de te suivre. Il y a des fois où sa froideur apparente te perturbe un peu, où tu te dis que peut-être, tu l’as trop poussée, et pas assez incitée à profiter de son enfance, et à ces moments-là tu te sens vaguement coupable. C’est notamment le cas lorsque vous êtes à la Tour ; où tes autres disciples parlent, se détendent ensemble, alors qu’inlassablement elle étudie, s’entraîne ou médite. Et puis où il y a ces moments comme en mission, où tu apprécies qu’elle ait à ce point le contrôle d’elle-même, là où d’autres auraient pu être un peu émus ou perturbés par les attaques des êtres de l’eau. Efficace, tournée sur la mission. Tu te sens fier d’être son maître; et brièvement tu repenses à sa toute petite enfance, avant qu’elle soit ta disciple, où elle traînait toujours dans tes pattes ; tu te rappelles que ton Maître avait plaisanté en disant que tu étais devenu père sans être marié ou même en couple. Quelle personne remarquable cette enfant est devenue, ne peux-tu t’empêcher de penser.

Mais ce n’est pas le sujet. Le sujet, ce sont ces créatures aquatiques qui vous causent bien des soucis. Qui causent des soucis à ton village natal, et rien que pour cela, tu es déterminé à les exorciser d’autant plus vite. C’est un affront qui t’est fait, même si tu essayes de prendre de la distance. Si tu prends ça de façon trop personnelle, tu risques de t’agacer, de perdre tes moyens et de commettre des erreurs.

“C’est la bonne attitude.”  approuves-tu à mi-voix. “Pour l’heure nous devrions prendre deux  barques, et être prêts à monter sur nos épées si nécessaire. Surtout pas de bravades. Les shui gui sont des êtres sournois. “

Et ainsi vous avancez vers le port, où aucune difficulté ne vous est faite pour vous prêter les deux embarcations que tu demandes.  Les passants vous observent, tu le sens, plein d’espoirs et  d’admiration pour vous.

Tu espères juste être à la hauteur.

“Observe bien le tirant d’eau de ma barque, Zhihao.”  ordonnes-tu avant de monter dans la dite-embarcation. “Si tu trouves que mon bateau est trop bas sur l’eau, cela veut dire que des esprits de l’eau s’y sont accrochés - auquel cas, préviens-moi d’un signe de la main. Ces créatures sont sensibles au bruit, et si tu parles trop fort, tu risques de les agiter.”  Un sourire, pour la rassurer.  “ Je compte sur toi. Nous devons nous protéger mutuellement.”

Tu lui fais pleinement confiance, mais tu estimes adéquat de lui exprimer vocalement ce que tu ressens.

Et lorsqu’enfin vous prenez la mer, observant le bateau de Zhihao avec des yeux de faucon - ta main est sur Ruying, prête à dégainer ta lame si nécessaire.

Tu écoutes bien ton mentor alors qu'il prépare votre plan d'attaque. Ça te semble adéquat vu la situation. Vous n'êtes pas sûr encore ce que vous allez affronté. Ou plutôt le nombre de ses créatures que vous allez affronté alors il vaut mieux se tenir sur le côté sécuritaire de la chose. Tu n'aimes pas trop l'idée de tuer, mais tu sais bien que parfois, c'est une chose qui est nécessaire. Surtout quand les créatures comme celles-ci commencent à tuer des innocents. C'est une question de survie. Tu prieras pour elles...

Tu suis ton shifu jusqu'au port et monte dans ta propre barque. Tu hoches la tête doucement, déterminée. Tu sais très bien comment savoir si un shui gui te suit. Tu n'es pas un enfant, tu es une disciple senior. Tu connais ce genre de chose. Mais ce n'est pas une chose que tu oserais dire à haute voix à ton professeur. Tu préfères acquiesser et continuer ta mission, prête à toute surprise.

-Oui, Zhang-shifu. Je ne vais pas vous décevoir.

Suite à ça, tu te tais et commence à voguer sur l'eau, aux aguets. Tu observes l'eau et la barque de ton shifu, attentive comme jamais. Mais rien ne semble arriver... Tu ne vois rien de spécial et tu commences à te demander si tu es digne de cette mission. Tu approche un peu le bord du bateau pour observe de plus près l'eau, mais rien. Aucun indice sur l'endroit où se cache les créatures. Tu voudrais faire part de tes inquiétudes à ton shifu, mais tu sais que parler ne risque que d'attirer les créatures alors tu prends sur toi et attends. Ça va venir. Tu le sais. Il faut simplement être patiente. Tu inspires doucement et continue ta recherche visuelle.

Les dés. :

Dés que tu es sur l’eau, c’est avec la plus grande attention que tu scrutes ton environnement. Il est hors de question que Zhihao ou toi ( surtout Zhihao) te fassiez surprendre et entraîner sous l’eau. Il est encore plus hors de question que quoi que ce soit arrive à ta disciple - à ta fille. Tu ne te le pardonnerais jamais, parce qu’en tant que maître, ton devoir est de protéger tes disciples. De les guider, jusqu’à ce qu’ils arrivent au bout de leur apprentissage, heureux et en bonne santé, prêts à eux-même enseigner à leurs élèves. D’ici là, rien ne doit leur arriver. C’est terrible quand même, songes-tu. Tu essayes de les guider vers de l’indépendance, qu’ils soient fiables et parés à n’importe quelle situation, et pourtant..tu les couves, peut-être un peu trop, dés que tu es dans les environs.

Mais tu te figes l’espace d’un instant, en voyant la barque de Zhihao s’enfoncer un peu dans l’eau. Ah, les voilà, penses-tu et discrètement tu fais signe à ta disciple. Il y a un ou plusieurs shui gui sous ton bateau, voilà ce que tu essayes de communiquer. Pour le moment le plan se déroule comme prévu. Pas de créatures qui te sautent dans le dos, ou une autre catastrophe de ce genre. Mais tu fais attention. Très attention. La pratique intensive de la musique t’a de plus aidé à développer ton ouïe. Alors tu attends. Tranquillement. Ne pas se laisser submerger par ses émotions, rester imperturbable, ne penser qu’à la mission - oubliées tes attaches à ce lieu qui t’a vu naître, tes devoirs de cultivateur passent avant tout. Tes seules attaches, à ce moment, sont celles que tu as envers la Tour. La mission est ta seule priorité.

Et puis finalement, un shui gui sort de l’eau, en jaillit plutôt - comme un diable sort de sa boîte, dans une grande gerbe d’eau. Tu regardes vivement Zhihao - tu sais qu’elle sait ce qu’elle doit faire, c’est à dire, sortir Yongxue et commencer à jouer, alors que de ton côté, ta main abandonne Ruying pour agripper Hufeng, ton paixiao, et le porter à tes lèvres. Et alors seulement tu entonnes une mélodie apaisante. Conformément aux enseignements de la Tour, ta première approche est de pacifier la créature, de l’apaiser grâce à votre musique - et ensuite, de l’exorciser. Là est la différence avec la Forteresse : là où tu cherches d’abord à apaiser, eux trancheraient littéralement dans le vif. L’influence des nomades de l’air ? Certainement. Mais peu importe, tu as une mission à accomplir.

Il ne faut pas attendre longtemps pour que l'action ne se présente. Tu ne le remarques pas immédiatement que ton bateau s'enfonce. Heureusement que ton shifu tu fais signe. Il est toujours là à veiller sur toi. Tu aimerais pouvoir lui rendre la pareille. Être assez douée et forte pour le protéger et veiller sur lui comme il le fait avec toi. Mais tu es encore jeune et tu as tant à apprendre encore. Malgré tout, tu vas rendre ton maître fier de toi. C'est la moindre des choses en tant que disciple.

Tu vois le signe et tu passe à l'action. Tu attends un instant, encore plus sur tes gardes. Tu attends le bon moment. Ta main se porte lentement vers Yongxue. Tu es prête... il faut qu'attendre. Attendre... et... Le shui gui s'éjecte de l'eau, prêt à passer à l'attaque. Au même moment, Yongxue est dans tes mains et la mélodie s'élève dans les airs. Un son doux, apaisant. Fait pour calmer les esprits. Tu espères sincèrement que ça sera suffisant. Tu ne veux pas devoir les tuer. Ils n'ont pas demandé à être des monstres. Tu veux les guider vers leur prochain repos. Mais tu sais que, si nécessaire, il faudra tuer.

Pour l'heure, tu te contente de jouer, suivant le rythme du paixiao de ton maître. La créature semble enfin se calmer. Elle s'agite moins. Ça semble marcher. Tu t'arrêtes un moment, le temps de passer à la prochaine étape de l'exercice, mais soudainement le shui gui s'agite et s'élance vers toi. Tu n'as pas le temps de réagir que la créature est sur toi et te fait tomber. Ta tête frappe durement le bois du bateau et tu te sens étourdie. Ton instinct te crie de te relever, te sortir ton épée, de te défendre, de lutter, de repousser la créature! Mais ton cerveau refuse de lancer le message à tes membres et tu sens ton coeur s'emballer. C'est ainsi que ça va finir? Aussi bêtement? Tu es une vraie honte...

Les dés:

Calme et sérénité, te répètes-tu alors tu attends l’arrivée des shui gui. Ils sont sous le bateau de Zhihao, mais cela ne veut encore rien dire ; tu ne peux pas encore intervenir. Te jeter à l’eau pour essayer de capturer ces esprits aquatiques à mains nues serait mille fois trop dangereux, le risque de noyade est bien trop grand. Et puis tout simplement, ce n’est pas ainsi que l’on t’a appris à procéder, et qui es-tu pour remettre en cause l’enseignement de ton maître, et de son maître avant lui ? Personne. Alors, tu attends. Patiemment. Paisiblement. Tu n’es pas pressé ; tu espères juste que les shui gui ne soient pas particulièrement retors et tentent une nouvelle façon de t’attirer dans l’eau. Zhihao ou toi, aussi bien. Plutôt Zhihao. Si quelque chose lui arrivait jamais tu ne te le pardonnerais.

Tu n’as pas si longtemps à attendre néanmoins, avant qu’une des créatures ne se propulse hors de l’eau dans un grand bruit d’éclaboussure. En soit, rien d’inquiètant ; il suffit juste d’utiliser vos instruments pour l’apaiser. Cela marche..temporairement, le shui gui montre des signes d’apaisement… Du moins jusqu’à ce que Zhihao cesse de jouer pour passer à l’étape suivante de votre neutralisation de créature. Et là, c’est le drame. La créature se jette sur ton élève, et tu as toutes les peines du monde à ne pas te jeter sur l’esprit aquatique pour le trancher en deux d’un coup de ton épée. Ton cœur tambourine dans ta poitrine ; ton instinct paternel proteste, mais tu parviens tant bien que mal à te contrôler. La mission avant tout , te hurles-tu mentalement. Et pourtant..Si tu ne dégaines pas Ruying - pas encore ?-, tu jettes un talisman sur la créature qui ose s’en prendre à ton élève. A ta presque fille; ta fille adoptive. Ta première élève, ta fierté.

Ainsi la créature s’immobilise temporairement, et tu insuffles plus d’énergie spirituelle dans ton paixiao dont tu as recommencé à jouer. La créature s’apaise, progressivement ; elle t’obéit même, et s’éloigne de Zhihao sous ton regard sévère. Bien. Alors seulement tu t’autorises à te détendre, un peu, avant de bondir élégamment dans l’embarcation de ton élève.

“Comment vas-tu, Zhihao ?” demandes-tu. Tu tentes de contrôler ton angoisse, tant bien que mal, et c’est plus dur que tu l’aurais pensé. Tu as si peur pour elle - une angoisse primaire, parentale. Mais pourtant..tu dois te contrôler. Vous semblez arrivés à un statut quo avec les shui gui, mais c’est loin d’être fini. Il vous faut encore apaiser ces créatures. Mais Zhihao est-elle en état de le faire ? C’est là la question, cette question qui t’inquiète tant.

Heureusement pour toi, ton maître ne panique pas. Il reste en contrôle de la situation, comme un homme de sa trempe devrait être. Tu devrais l'imiter. Pas finir comme une débutante sous les griffes d'une créature! Tu ne vois pas ton maître te rejoindre, tu ne vois pas avec quel facilité il maîtrise le shui gui. Ce que tu aurais dû être capable de faire avec autant de facilité. Ce que tu as fais déjà quelques fois avant. Ce n'est qu'une opération de routine pour vous.

Pourtant tu n'as de yeux que pour la créature. Le monstre qui t'attaque et qui pourrait très bien te tuer là, maintenant, sans plus de cérémonie. Ta vie, simplement sauver par Zhang-shifu. Parce que lui, il est resté concentré. Lui, il est restré calme. Lui est digne d'être le grand maître qu'il est. Tu as encore tellement à apprendre de lui. Tu es loin d'être à son niveau.

Tu te calme lentement quand la créature te lâche enfin. Ta tête tourne encore, mais tu dois continue ton travail. Tu te relèves lentement, prenant appuie sur le bord de la barque, et t'assure que tu n'as aucune autre blessure qui nécessiterait des soins ou que ta pipa ne soit pas brisée à cause de l'attaque. Seulement quand tu es satisfaite de l'état des deux, tu tournes ton attention vers ton shifu. Tu t'inclines bas alors que tu prends paroles doucement

-Pardon, Zhang-shifu. J'ai failli à la tâche. J'aurais dû prévoir que l'esprit serait encore agité. Ça ne se reproduira plus.

Tu restes inclinée un bon moment, trop honteuse pour faire face à ton mentor. Pourtant, tu sais que votre travail n'est pas terminé. Les créatures sont encores là, le village est encore en danger. Tu prends la décision d'avoir honte plus tard et faire amende honorable plus tard quand vous serez tous les deux en sécurité à la tour. Tu te redresse lentement pour enfin répondre à la question de ton aîné.

-Je vais bien, shifu. Simplement un coup à la tête quand je suis tombée, mais rien de grave. Je peux pousuivre sans problème. Il le faut après tout. Les villageois comptent sur notre aide. Il est notre devoir de les aider.

Ta santé peut attendre. Il y a d'autres priorités plus importantes que toi présentement, comme des innoncents présents dans le village. Tu saisie doucement Yongxue, observant ton mentor avec détermination. Tu es prête. Tu le dois.

-Finissons notre mission, Zhang-shifu. Ensuite, nous pourrons discuter.

Le problème d’être Grand Maître à la Tour, parfois, est que tu dois garder ta contenance en toutes circonstances. Peu importe ce que tu penses réellement, comment tu voudrais réagir ; tout cela, tu dois le noyer sous mille couches de protocole, de modération et de contrôle parfait de toi, peu importe la situation. A ce moment, quand tu as vu Zhihao être bousculée par ce shui gui, tu as senti quelque chose dans ton coeur, une panique comme tu ne l’as pas ressentie depuis des lustres - cette panique paternelle de voir ton enfant blessée. Tu traites tes disciples avec équité, comme tes enfants - qu’ils soient adoptifs ou biologiques-, mais tu ne peux nier que Zhihao a une place spéciale parmi tes élèves. La première, la préférée, celle dont tu es le plus proche - celle qui s’est accrochée à toi comme à une ancre lorsqu’elle était si jeune, alors que tu n’avais presque aucune idée de comment t’occuper d’un enfant. Tu as beau avoir des frères et des soeurs, ce n’était pas pareil ; tu as quitté fort tôt la maison familiale. Et est-on réellement préparé à s’occuper d’un enfant de toute manière ?Il n’empêche, tu digresses. Cela ne t’amuse pas de paraître inébranlable ; mais tu ne vois plus agir autrement, à ton grand âge. Au moins, te dis-tu ; il faut bien que tu gardes la tête froide face aux créatures que tu repousses.

“Il est inutile de t’excuser, Zhihao.” Tu déclares, doucement. “Je préfère que tu commettes des erreurs alors que je suis encore là pour t’aider.” Plutôt que pendant une mission en solo, où la moindre erreur peut être fatale, n’oses-tu pas ajouter. “Mais tant que tu apprends de ton erreur,il est inutile de trop t’en vouloir.” La dernière chose que tu veux est qu’elle s’auto-flagelle mentalement pendant des jours et des jours à cause de son erreur. “Tu es encore en apprentissage. Commettre des erreurs est normal. J’étais loin d’être parfait, à ton âge. Même encore maintenant.” Peut-être que c’est quelque chose que tu ne devrais pas dire, que tes élèves devraient te croire irréprochable ; mais tu préfères être complètement honnête.

“..Très bien. Mais n’en fais pas trop.” réponds-tu à sa déclaration. Va-t-elle vraiment bien, ou refuse-t-elle d’admettre une éventuelle faiblesse ? Tu dois garder un oeil sur elle. “Ne te mets pas dans une situation dangereuse juste parce que tu penses que tu dois ignorer ton état.” Tu es là pour gérer la situation après tout. SI elle ne se sent pas bien, tu préfères encore qu’elle te laisse faire et qu’elle récupère. Ignorer une douleur ou un malaise ne conduit à rien de bon ; juste à des conséquences encore plus graves que si l’on avait accepté qu’il fallait battre en retraite, ne serait-ce que temporairement.

Tu hoches enfin la tête, et reprends Hufeng.

“Allons-y.” Et ensemble, avec la grâce de l’habitude, vous jouez vos partitions d’apaisement. Apaiser, et seulement si ce n’est pas possible, l’extermination. Toujours essayer d’abord - les esprits en soient remerciés, les shui gui sont en général des créatures assez basiques. Rien qui nécessite d’en venir aux grands moyens, comme utiliser Ruying. Tu continues à regarder l’eau autour de vous ; les flots finissent par se calmer. Plus aucune créature n’apparaît - c’est le calme absolu.

Mission accomplie.