Si ton père avait osé s'élever contre les traditions, si ton grand-père n'avait pas été aussi enchaîné par ses conseillers et des siècles d'histoires, aujourd'hui, Shohei, tu pourrais porter le titre de prince. Au lieu de quoi ? Tu es un fils de bâtard. Ça sonne peut-être un peu mieux que fils de pute, mais là où ta mère est de naissance parfaitement honorable, si ce n'est d'un clan proéminent, ton père est en effet un bâtard. Et ça change tout.
Qu'aurais-tu pu devenir, Shohei, si les choses avaient été autrement ? Si tu n'avais pas connu la faveur d'un grand-père qui privilégiait bien plus sa descendance bâtarde que son fils légitime, sans pour autant vous accorder une vraie place dans la lumière du soleil ? Si tu n'avais pas vu les possibilités miroiter, chatoyantes et cruelles, et t'être aussitôt arrachées ?
Encore un non-élémental.
C'est à ça que pourrait se résumer ta vie. Encore un non-élémental. Dans une famille où la maîtrise du feu est reine, tu ne peux que haïr ceux dont le feu jaillit des doigts. En quoi est-ce que ça les rend mieux que toi ? Plus intelligents que toi ? Plus compétents que toi ? T'as ressassé ces injustices, Shohei, tu as vu les portes se fermer les unes après les autres, l'amour se flétrir petit à petit. Ta place au palais s'amenuiser, jusqu'à ce qu'on préfère écarter les Sakai, qui faisaient trop tache, rappelaient l'attitude déshonorable du Seigneur du Feu. Tous les regards lourds de ces conseillers, tous ces hommes grisonnants qui te fixaient à la fois comme si tu étais une menace et en même temps un insecte à peine digne d'intérêt.
Encore un non-élémental.

Tu as ardemment cherché à briller, Shohei. Après tout, il n'est pas impossible de découvrir son don sur le tard, c'est rare mais pas infaisable. Aussi, toute ton enfance et ton adolescence, quand tu n'écoutais pas avec attention tes cours mettant en avant la gloire de la Nation du Feu et des progrès accomplis et qu'elle voulait étendre à la région, tu t'évertuas à suivre des cours de qigong, et observer et imiter les élémentaux pratiquer. Terriblement sérieux dans ton apprentissage, tu étais persuadé qu'à force de volonté, tu pourrais y arriver. Qu'un jour, enfin, ton qi se débloquerait et que ton souffle s'enflammerait.
Mais tu n'as connu que désillusion et frustration. Adolescent qui avait passé inutilement tout son temps à essayer de maîtriser les arts martiaux (surtout internes), à t'évertuer à aller contre ta propre nature, tu aurais, ironiquement, presque pu rivaliser avec les maîtres de l'eau et de l'air tellement tes mouvements étaient parfaits, imitant à l'identique les mouvements coulants de ceux-ci. Les mouvements du feu, plus brusques, plus physiques, étaient pour toi libérateurs, mais là où tu étais terriblement contrôlé pour les mouvements internes, focalisant toute ton énergie à essayer de comprendre le mouvement de l'énergie en toi, ta maîtrise des mouvements du feu était instable, ténue. Trop vif, ou pas assez, pas assez rapide, l'étude de ces mouvements était pour toi une perpétuelle frustration. Tu ne comprenais pas pourquoi les mouvements de ta propre nation ne te venaient pas naturellement. Et plus tu t'acharnais, plus tes mouvements se faisaient saccadés, désordonnés, s'éloignaient du contrôle si nécessaire au feu.
Tu fus cruellement stoppé à tes seize ans. L'entrée de l'académie t'était soudain refusé, après des années à y aller, l'ordre venant de ton grand-père. Quand, effaré, n'y comprenant rien, tu déboulas lors d'un dîner de famille (« famille », ha, tu sais comme ton grand-père n'éprouvait que peu d'affection pour ton oncle) pour demander de quoi il en retournait, le Seigneur du Feu t'asséna, plus froid et dur qu'il ne l'avait jamais été avec toi :
« Shohei, arrête. Tu ne peux pas devenir ce que tu n'es pas. Tu mets mal à l'aise les autres étudiants. »
Frappé, tétanisé, tu mis plusieurs secondes à réagir. Plusieurs secondes que mirent à profit les gardes royaux, venus t'escorter hors de la salle.
« Je mets mal à l'aise les autres étudiants ? Ou je mets mal à l'aise l'entourage de la famille royale ? » finis-tu par répondre, venimeux, serpent dressé contre l'injustice perçue.
Azulon, seulement de quelques années ton aîné, te perça du regard.
Tu ne reçus aucune réponse, tandis que tu fus escorté hors du palais. Tu découvriras par la suite que l'accès t'y était de plus en plus souvent refusé.

Jeune adulte désoeuvré, condamné à ta nature humaine, tu sombras.
Tu te pensais voué à un grand avenir si seulement tu essayais assez fort. Qu'il te fallait juste assez de volonté, juste assez de courage, juste assez de détermination, et tu viendrais à bout de tout. Que, comme le fils du Feu que tu étais, tu parviendrais à conquérir, surmonter cet obstacle. Rien ne pouvait venir à bout de votre ambition.
Tous ces livres plus obscurs les uns que les autres, étudiés pour rien. Ces années à parfaire ton qigong, à être le meilleur élève, pour rien. Tu étais une farce, une chose ridicule. Comme un macaque auquel on a appris à danser et faire des tours, imitant l'humain. Toute ta vie, tu n'avais fait que ça : singer. Imiter, encore et encore, dans l'espoir qu'un jour, tu arriverais au même résultat que d'autres.
Mais tu n'étais qu'une ombre là où les autres étaient faits de chair et de sang. Un simulacre.
Ton mental se brisa.
Sans perspective d'avenir, coincé dans une identité que tu détestais, descendant royal sans l'être, fils du feu sans l'être, expert d'arts martiaux qui ne correspondaient pas à ta nation, tu dégringolas petit à petit. Le chemin de la guerre et de la politique t'étaient interdits, ton Prince Bâtard de père ayant une aura qui aurait pu attirer trop de soldats et bureaucrates à tes côtés. Tu n'avais jamais eu un goût pour les affaires. Et si l'art te plaisait dans une certaine mesure, ce n'était pas pour en faire un métier rentable, simplement un passe-temps. Marchand était une fonction indigne pour un descendant royal, tout bâtard qu'il était. Tu aurais peut-être pu te tourner vers l'enseignement, l'académie, mais les conseillers craignaient que tu ne puisses y trouver un terreau fertile pour tes idées antagonistes.
Coincé. Emprisonné par ton nom, ton identité.
Tu aurais voulu tuer Azulon. Tu aurais voulu cracher sur les cendres de ton grand-père, pour tous ces espoirs miroités et jamais réalisés.
Trop habitué à un train de vie aisé, trop habitué à avoir des portes ouvertes chez les petits habitants, tu fréquentas les maisons de plaisir de Hikyo, sombras petit à petit dans les pires vices. Tu devins rapidement addict au jeu, gagnant plus que perdant grâce à ton sens de l'observation et ta mémoire, trouvant là enfin un terrain où tu pouvais prouver ta supériorité sans qu'on ne vienne te déranger. Les soirées arrosées eurent tôt fait de te donner un goût trop prononcé pour l'alcool.
Les mois et les années passèrent ainsi, au grand dam de ta famille qui te vit sombrer. On tenta bien de te marier pour te remettre sur le droit chemin. Malheureusement, tu passais plus de temps dans les bas-quartiers que dans la résidence Sakai et la famille de ta femme, mécontente, demanda bien vite le divorce, contre lequel tu ne luttas pas. Cela ne t'émut pas le moins du monde.
Et puis, un jour, une femme, plaça un bébé devant toi, qu'elle présenta comme ton bâtard. Tes souvenirs, flous, embrumés, de la relation, furent suffisants pour que tu écrases la cervelle du bambin sur la table.
Non. Tu n'aurais pas de bâtard. Plutôt mourir que faire vivre ça à quelqu'un d'autre.
Les cris et pleurs retentissants, ton nom hurlé à travers le quartier eurent tôt fait d'alerter les forces de l'ordre jusqu'au lieu du crime.
Cheveux lâches, libres du guan qui aurait dû te marquer comme un adulte responsable, yeux voilés par l'alcool, mains encore ensanglantées, tu ne fis que rire quand les gardes te saisirent pour t'enfermer.

La prison commune aurait été plus douce, peut-être. Mais, descendant royal malgré tout, on t'enferma dans un de ces vieux temples désaffectés. Sur les collines de la ville, à la frontière de la capitale, loin du tumulte. Loin de toute tentation. Loin de tout contact.
Les statues des précédents Avatars, les dragons aux yeux étincelants et les toiles d'araignée devinrent ta seule compagnie, avec les livres sur la moralité et la justice qu'on essaya de te faire avaler.
Tu passas ainsi des années, avec des ombres de serviteurs pour seule compagnie, ne sortant jamais que dans la cour de ce petit temple délabré pour y faire un peu d'exercice. Terriblement et tristement sobre, tes muscles retrouvèrent malgré toi les anciennes formes. Le qigong revint naturellement à tes membres. Et, peut-être, y trouvas-tu plus de salut que dans les bouquins trop rigides et poussiéreux, prêchant droiture et étiquette sur lesquels tu jetais parfois, par pure mesquinerie, ton thé froid. Le feu ne serait jamais ton élément, tu avais fini par l'accepter. Mais tout n'était peut-être pas à jeter dans tes enseignements.

Tu passas plus de dix ans ainsi. À l'écart de la civilisation, dans ton petit temple dont les tuiles s'envolaient lors de tempêtes. Tu fus forcé à être plus humble. À réfléchir. Est-ce que cela te fit du bien ? Débattable. Isolé, ne recevant que de rares visites, ton esprit trop vif était en roue libre. Sans aucun but, sans rien avoir à faire, ayant relu des milliers de fois ces livres d'étiquette, tu finis par te mettre à la calligraphie et la peinture, juste pour tuer le temps. À croquer et peindre les paysages honnis du temple, les falaises noires de Hikyo. Et cet arbre, ce seul arbre, dans la cour, un malheureux magnolia, aux couleurs fanées.
Tu t'inventas mille interlocuteurs, et mille histoires, interprétas mille dialogues jusqu'à en avoir la voix enrouée. Il te fallait passer le temps, briser la monotonie. Est-ce que cela te rapprochait de la folie ? Assurément. Mais ce n'était pas comme si on se souciait réellement de ce détail en te gardant ici, n'est-ce pas ?
Et puis un jour, la porte s'ouvrit. On déclara ta peine terminée. Que tu devais te réinsérer dans la société. En être un membre productif.
Clignant des yeux, aveuglé par le soleil, hébété, tu quittas le temple.

Ayant perdu l'habitude de la vie en société, tu supportas mal le tumulte régnant, les voix ricochant de partout qui n'étaient pas que le produit de ton imagination. Tu ne pouvais pas les contrôler, celles-là. Ce monde-là ne répondait pas à ta volonté.
C'était difficile. Difficile de revenir à un monde d'avant, quand tout te semblait décalé. Comme si ton monde penchait juste un peu trop d'un côté. Un mal de mer mental.
Au début, on ne te demanda pas trop, Shohei. On avait remarqué ton intérêt pour la peinture et la calligraphie, durant ton emprisonnement, et on te suggéra de t'y mettre, semi-professionnellement. Après tout, ta calligraphie était bonne, même si tous les citoyens de la Nation du Feu étaient lettrés, un lettré et dessinateur, ce n'était jamais de trop. Faire des affiches des précieux préceptes de la Nation du Feu était bienvenu, pour répandre la vision du Seigneur du Feu à tout le pays et toute la région. Bien sûr, tu étais étroitement surveillé, et chaque affiche naissant sous tes doigts était jugée avant d'être distribuée aux masses – te permettre de répandre des calomnies était impensable. Te faire recopier ces préceptes, te rappeler les valeurs de la Nation du Feu, n'était qu'un autre moyen de s'assurer que tu te réformais et que tu comprenais où devait aller ta loyauté. La résidence Sakai était simplement devenue une prison moins isolée.
Les mots s'imprimèrent sur ta rétine, l'encre sur tes doigts. Ils sonnaient comme un discours à moitié oublié, et pourtant ancré dans ta chair. Oh, la guerre. Elle t'avait semblé loin, tout ce temps. N'était-elle donc pas encore finie ? Tu pensais que vous auriez gagné, depuis tout ce temps.

Quand ton jeune frère, Katsu, revint du Royaume de la Terre, brûlant d'une nouvelle énergie, tu ne t'émus pas vraiment. Tu n'avais jamais eu un très grand sens de la famille, si ce n'était un mélange de honte et de fierté d'être apparenté à la famille royale. Ton frère était ton frère, point.
Mais ce qu'il ramena avec lui...ce qu'il promit...oh, Shohei, tu ne pensais pas retrouver l'espoir un jour.
Un espoir destructeur.
Un autre avenir, pour les humains qui voulaient contribuer à la gloire de leur pays. Pas l'armée, pas exactement, non, mais une force qui pourrait rivaliser avec ces étranges combattants sur les champs de bataille. Ces cultivateurs, qui avaient mis en déroute vos armées, au Temple de l'Air de l'Est, et dans la Tribu du Pôle Sud, apparemment (tu n'avais pas vraiment suivi, étant enfermé, alors). Une nouvelle forme de magie, ou plutôt une ancienne, oubliée. Tu fixas, intrigué et, oui, peut-être pour la première fois depuis longtemps, avec de l'espoir, le projet du Temple du Soleil pourpre. Tu étais partagé entre le dégoût et une étrange forme de nostalgie, pour ce Temple qui ressemblait à ton ancienne prison, en bien plus grand et glorieux, évidemment. Les sculptures étaient familières et, malgré tout, ça avait été ton chez toi durant des années.
Le magnolia de la cour te manquait.
Tu suivis ton jeune frère dans son parcours, jaloux de sa brillance, de ses idées, de l'impact qu'il avait réussi à avoir, des pouvoirs qu'il avait réussi à obtenir. Toi qui avais fait tant d'efforts, pourquoi n'étais-tu pas parvenu au même résultat ? Que te manquait-il ?
Sans énorme surprise, tu fis partie des premiers disciples de ton frère. Être sous la férule de ton cadet t'horripilait, et nombre de fois, tu avais songé à serrer les doigts autour de la gorge de ce frère qui te ressemblait, mais en tellement mieux. La jalousie t'étouffait.
Toutefois, faible lueur dans ton malheur, pour une fois, tu t'avéras avoir une affinité naturelle avec l'énergie de la rancoeur. Peut-être parce que la rage et la haine des morts et des créatures tuées trouvaient un si bon écho en toi. Ces talismans abâtardis, écrits dans ton sang plutôt qu'en encre, ils n'étaient qu'une autre façon de calligraphier. L'art délicat de la chirurgie, de l'herbologie, de l'empoisonnement, était un challenge de plus pour ta mémoire et ton côté observateur. Reproduire, reproduire encore. Copier et copier, jusqu'à parfaire les gestes. C'était aisé. C'était naturel.
Et sentir l'énergie répondre à tes pensées, tes ordres ? Oh comme c'était enivrant. Ce pouvoir, terrible, te montait à la tête.
Tu te révélas très vite sanguinaire. Chassant les créatures qui devaient vous servir de réservoir d'énergie toujours plus loin, toujours de façon plus acharnée. Respect des esprits ? Quel respect ? S'ils pouvaient être utilisés, s'ils pouvaient être si aisément capturés et tués par des mains humaines, alors, ils ne méritaient pas ton respect.
Tu chassais toujours plus loin. Espérant toujours tomber sur un merveilleux et puissant dragon que tu pourrais dépecer, car certainement, il n'y aurait pas d'arme plus puissante qu'un dragon ? Et tes voyages te portèrent jusqu'aux confins de la nation, dans les petites îles du Feu, où les esprits étaient encore parfois vénérés. Ces esprits de rivière donnèrent à ton énergie un côté presque rafraîchissant : c'était terriblement enivrant.
Trouvant là une nouvelle addiction, tes vieux démons, à Chung-Ling, semblaient à peine attrayants. Que valait l'argent, quand tu jouais avec le plus grand enjeu : la vie ? Mais, oh, tout n'était peut-être pas à jeter, là.
Tu trouvas à Chung-Ling un écho à ta nouvelle personnalité, ou plutôt celle que tu avais eu tout ce temps, révélée au grand jour. Tu aurais dû retourner à Hikyo, retourner au Temple, retourner à ton frère et ta famille, partager tes trouvailles. Mais tes pas s'arrêtèrent sur un de ces établissements, si similaire à celui que tu avais fréquenté avant que ta vie ne bascule. En piteux état, l'enseigne cherchait repreneur, pour éviter la faillite. Sur un coup de tête, et ayant les fonds suffisants, tu investis dans l'endroit. Peut-être, dans ton monde distordu, te disais-tu que si tu pouvais redresser cet établissement, tu pouvais te redresser toi. Les griffes de tes vieux démons semblaient bien peu aiguisées, comparées à celles de ta nouvelle folie.
Des mois d'efforts furent mis en avant, pour redresser cette maison de jeu au bord de la ruine. Rénovée à ton goût, définitivement plus dans le style de Hikyo que Chung-Ling, la maison attira les curieux assistant à sa renaissance. Et bientôt, l'argent arriva de nouveau. Les pièces et billets s'échangeaient de façon effrénée, et de la ruine, le bâtiment fut sauvé.
Peut-être, te dis-tu, yeux étincelants, seigneur surveillant la masse dont tu avais fait partie autrefois, que tu pourrais vraiment réussir à t'élever au-dessus de tout ça.

Tu progressais de plus en plus dans ta formation en sorcellerie. L'énergie du ressentiment était presque une nouvelle maîtresse, embrassant régulièrement ta peau, te couvrant d'une aura macabre pour quiconque, mais terriblement réconfortante pour toi. Ton état de santé se dégradait, mais tu n'en avais que faire. Tu avais enfin trouvé ta voie. Ton but. Même si c'était sous la coupe de ton frère, même si c'était sous la coupe de ton oncle, tu pouvais enfin contribuer quelque chose, tu pouvais enfin avoir ta place. Personne n'osait te fermer les portes. Personne n'oserait t'enfermer à nouveau. De meurtrier condamné, tu étais passé à meurtrier célébré. Tes mains ensanglantées, autrefois réprouvées, devenaient désormais des outils de la grandeur de votre nation.
Mais ça n'allait jamais assez loin. Jamais assez vite. Tu pouvais plus, tu le savais.
Tu détestais être bridé par ton cadet. Pourquoi se contenter de soldats de papier ? Pourquoi se contenter de simplement prélever l'essence des créatures magiques, cadenasser l'énergie des morts ? Pourquoi ne pas se servir d'eux, entiers ?
Confronté aux rites du feu qui voulaient brûler vos morts, te privant d'une matière précieuse, tu partis dans les colonies, où les rites du Royaume de la Terre étaient encore observés par endroits. Ces cimetières devinrent ton nouveau terrain de jeu, ton nouveau terrain d'expérimentation. Si vous pouviez extraire l'énergie des morts, pourquoi ne pas carrément réveiller les morts ?
Trouver comme les réveiller, comment les forcer à ta volonté, fut terriblement compliqué, mais un challenge si plaisant. Ces morts paisibles, ils n'avaient pas de rancune à eux, qu'importe à quel point tu t'acharnais, suais, saignais, hurlais, ils ne voulaient pas plier. Alors tu cherchas d'autres morts, d'autres cimetières. Des fosses communes, des criminels, des cimetières délabrés où les noms des tombes étaient effacés. Personne ne célébrait ces morts-là, personne n'en voulait. Alors tu les prendrais, alors ils seraient tiens.
Réveiller ces morts-là te vida. Tirant et tirant sur ta propre énergie, tu sentais ta propre vie t'échapper, être versée dans ces corps putréfiés. Ton souffle se faire de plus en plus court. Un coût terrible, mais oh, quelle satisfaction, quand cette première main sortit de terre ! Quelle satisfaction quand, tout à ton ivresse, tu oublias le contrôle et que ce mort se retourna contre toi, voulant te déchiqueter. Quelle ivresse, de sentir la puissance de ces doigts squelettiques, la haine dans ces orbes vides, la puanteur venant de cette mâchoire putréfiée. Oh, te dis-tu, proche de la mort, sentant la vie t'échapper, l'énergie se faire chaotique dans tes veines, tu as trouvé là ta nouvelle addiction, c'est certain.

Tes zombies ne tenaient pas très longtemps au début. Ils se réveillaient quelques secondes, c'est tout. À peine assez pour essayer de forcer la terre. Mais tu persévéras, encore et encore. Devins presque famélique, presque mort toi-même, à envoyer toute ton énergie dans ces corps trop rigides, à oublier de manger, boire, te reposer. Tu ne t'arrêterais que lorsque ton contrôle serait parfait.
Combien de temps passas-tu dans ces terres abandonnées, à essayer de maîtriser un art contre lequel ton frère te mettait en garde, car trop dangereux, trop drainant ? Ha, l'ironie. L'idée ne venait-elle pas de lui-même ? Mais où était la pratique, hein ? Où était la nécromancie, dans votre cursus ?
Ce fut à ce moment-là, que tu commenças ton mouvement de dissidence, au sein du Temple. Là où Katsu voyait les dégâts que la sorcellerie causait à ses pratiquants et essayait de limiter ses effets en poussant, trop tard, à la cultivation, tu te jetais corps et âme dans les parties les plus sombres de la sorcellerie. Une partie des disciples se rallia à toi, dédaignant la cultivation, et avec ta petite faction, tu forças l'apprentissage de la nécromancie à ton cadet, sourire dangereux aux lèvres. La réputation du Temple se fit encore plus sinistre, quand tu demandas à ton oncle à ce que les corps des prisonniers ne soient pas brûlés, mais envoyés au Temple afin de pouvoir expérimenter. Tu sentais le dégoût profond pour tes pratiques qu'éprouvait le conseil qui entourait Azulon, et tu n'en avais rien à faire. Tu savais que tu gagnerais. Que la guerre était trop longue, qu'un moyen de pouvoir renverser la donne était trop tentant.
Tes expérimentations se poursuivirent. Et les morts se levèrent sur ton passage.

Le Temple du Soleil pourpre est aux Sakai. Mais à quel Sakai en particulier ? Plus difficile à dire.
Si, ostentatoirement, tu as prêté allégeance à ton frère, à ton oncle, tu es en réalité plutôt maître de ta petite faction. Dans tes riches robes pourpres, cachant ton corps amaigri, tu peux faire concurrence au fondateur du Temple. Tu rêves d'envoyer une de tes créatures dévorer le visage de ton frère. Tu rêves de serrer tes doigts autour de sa gorge. De serrer, encore et encore, le fouet de ton anneau-foudre jusqu'à faire craquer sa nuque. Mais pour autant que ce fait te hérisse, ton frère est plus doué que toi. Maître sorcier, oui, mais également maître cultivateur, il possède des armes que tu n'as pas, même si son épée originelle est restée au Jardin. Mais tu peux être patient, quand le jeu en vaut vraiment la chandelle. Et un accident sur le champ de bataille est si vite arrivé.

01. Quel est ton avis sur ta nation ? T'y sens-tu bien intégré ? L'aimes-tu ? Trouves-tu des choses à en redire ?
Ta nation, ah ta nation. La plus belle de toutes. La plus glorieuse de toutes. Mais sous le régime de ton oncle ? Non, elle ne rayonne pas autant qu'elle le pourrait. Où est passé l'audace de Sozin ? Où est passée sa vision ? Sa grandeur ? À réformer les temples, crucifier l'Avatar, lancer votre nation dans la course effrénée à la modernité ? Ton grand-père avait raison sur toute la ligne, et tu ne peux qu'être déçu de ses fils. Ton oncle, non-désiré et trop faible, à peine plus âgé que toi, tu n'arrives pas à le respecter. Quant à ton père ? Ha ! Comme tu en veux à ton père. Il pourrait tant mais ne veut rien. Tu aimerais secouer le vieil homme. Peut-être que si tu le faisais tomber, tu pourrais bousculer les choses à sa place.

02. Quel est ton avis sur les autres nations ? Les connais-tu bien ? Es-tu plutôt ouvert et tolérant ou l'inverse ? As-tu déjà voyagé en-dehors de ta nation ?
Les autres nations ? Quelles autres nations ? Tu ne vois là que des terres prêtes à être saisies, des terres prêtes à être exploitées. Quels autres régimes ? Quels rois ? Quels chefs ? Non, tu ne respectes pas ces soit-disantes nations et leurs souverains de pacotille. Ce sont des occupants illégaux de terres qui vous reviennent de droit. Ne savent-ils pas comme ils sont chanceux de toutes ces richesses sous leurs pieds ? Sont-ils donc imbéciles à ce point, ne parvenant pas à les exploiter ? Bien que tu aies connu majoritairement les champs de bataille dans le Royaume de la Terre, tu as pu les sentir, toutes ces opportunités gâchées. Il n'y a à tes yeux qu'une seule nation, celle de ta naissance, et tout le reste n'est que cendres et vent, si vous ne pouvez pas les saisir. Tu aimerais voir le monde brûler.

03. Que penses-tu de la situation politique actuelle ? De la guerre ? Est-ce que tu y prends part ?
Trop pleutre. Trop faible. Trop lente. Trop empêtrée dans un marasme politique dont tu n'as que faire. Pourquoi attendre ! Pourquoi ne pas saisir tout ce qu'il y a sous le ciel ? Que font vos généraux ? Que font vos armées ? Vos soldats ont la rage au ventre, l'envie de plus, tu l'as bien vu. Alors pourquoi t'arrête-on quand tu veux t'élancer, poursuivre plus loin la campagne, peu importe les pertes de votre côté ? Vous avez les moyens d'avancer, avancer encore. Ces autres maîtrises, inférieures, vous pouvez les éradiquer. Capturer ces élémentaux gênants, les faire travailler dans vos usines jusqu'à ce qu'ils meurent. Ils ne servent qu'à ça, bons qu'à être vos esclaves. Tu tueras tous ceux que tu vois. Tu ne penseras qu'à garder les plus forts d'entre eux. Ils pourront être de parfaits sujets de test. Un élémental mort-vivant garde-t-il sa maîtrise ? Le feu, non, tu le sais déjà, mais les autres ? Tu n'as pas encore réussi à répondre à cette question.

Some men just want to watch the world burn

Tu aurais aimé que le Temple soit ton idée, mais il ne l'est hélas pas. Pour autant, la sorcellerie a trouvé un écho en toi que tu n'aurais jamais imaginé. Un pouvoir que tu as convoité toute ta vie sans réussir à l'obtenir. Tu as tant cherché le feu, brûlant, et c'est pourtant l'énergie glaciale des morts qui t'a étreint.
Peut-être aurais-tu t'en douter ? À tellement mieux maîtriser les arts martiaux internes, plus yin que yang. Qu'était le feu, sinon pure énergie yang ?
Mais pour autant que tu as un très bon niveau de qigong, qui pourrait te faire passer pour un maître de l'eau ou de l'air si on ne regardait que tes mouvements, tu n'as que peu de prise sur la spiritualité qui y est liée. Tu sens le flux de l'énergie en toi, et peut-être, si tu arrivais à relier cette énergie à autre chose que toi-même pourrais-tu former un jindan. Mais ta propre énergie spirituelle est faible, tu n'arrives pas à la condenser, et tu es du coup bien plus sorcier que cultivateur. Ce qui n'est pas un mal pour toi : tu as l'impression que cette énergie glaciale a bien plus sa place dans ta chair que le feu ou l'énergie spirituelle des cultivateurs.
Grand Maître depuis quelques années, tu privilégies la sorcellerie et la manipulation de l'énergie du ressentiment et des morts bien plus que toutes les autres pratiques. Oh, tu peux être un assassin, tu peux être un empoisonneur, tu peux être un créateur d'illusions, mais tu préfères tellement plus briller que te cacher dans l'ombre.
Tes riches robes violet pourpre décorées de flammes noires te désignent outrancièrement comme un membre du Temple. À contrario, ton anneau-foudre est presque discret. Tu ne t'encombres pas de bracelet décoratif. Forgé grâce au sang d'un dragon, il est argent finement veiné de rouge et se déploie comme un long fouet violet sombre. Nommé Hundun (混沌)  (chaos primordial), tu ne l'utilises qu'en de rares occasions (quand utiliser l'énergie du ressentiment te draine trop), bien que ton anneau-foudre ne te quitte jamais. Tu trouves son maniement bien plus encombrant et moins naturel que l'énergie des morts et des monstres. Peut-être car la foudre et un dragon sont tellement plus forts que des morts vengeurs et créatures de bas étage ? L'énergie chaotique de ton anneau-foudre te parcoure comme un courant électrique à chaque fois que tu l'utilises. Presque à la limite de prendre vie et échapper à ton contrôle à n'importe quel instant. Tu n'aimes pas non plus le fait qu'il puisse trahir le tumulte de tes émotions en laissant échapper quelques étincelles. Objet ingrat.