Tout commence par le murmure de disparitions dans la forêt.

Personne n'y prête attention, au début. La guerre tient l'attention immédiate. Omashu est attaquée depuis plus d'un mois, assiégée, et si la capitale du Sud tient toujours, une partie de la population a été évacuée, envoyée désespérément vers d'autres villes du Royaume, plus sécurisées. Mais les routes sont dangereuses, par les temps qui courent, et non seulement les soldats de la Nation du Feu rôdent, mais aussi les bandits, et d'autres choses encore plus terribles. Ceux qui ne cherchaient qu'à fuir se sont parfois égarés, perdus, ont été capturés. Les âmes manquantes sont de plus en plus nombreuses, et on ne sait le sort qui leur a été réservé. Sont-elles tombées dans les mains de soldats ennemis ? De voleurs en quête d'argent ? Autre chose ?

Les semaines avancent et avancent, et bientôt, le redouté septième mois, le mois des fantômes arrive. Les habitants de Ya Tai connaissent la rengaine et la vie se fait ralentie. Pas de grandes célébrations, de mariages, de voyages. Les gestes du quotidien deviennent tabous. On n'ose plus sortir la nuit. On ferme toutes les portes et fenêtres au coucher du soleil. On évite les points d'eau. On n'entend plus siffler. On n'ose plus se retourner quand quelqu'un nous tape sur l'épaule ou nous appelle par derrière. On ne touche pas la nourriture laissée dehors.

Les esprits rôdent. Esprits de la nature, membres de la famille décédés, tous sont loin d'être mauvais. Certains ancêtres sont accueillis avec bienveillance, sur ces chaises qui semblent vides aux yeux des profanes. Mais tout Ya Tai peut sentir que quelque chose n'est pas tout à fait normal.

Il y a trop de disparus sur les routes depuis Omashu. Les bois du Sud, d'ordinaires sécuritaires, sont devenus source d'angoisse. On parle d'ombres, de miroirs tremblants, de fissures dans l'air, d'arbres disparus ou d'arbres qui bougent. Les âmes qui passent par là ne sont pas revenues, murmure-t-on, dans les villages alentours.

Et puis, le mouvement s'étend. Ne se limite pas aux bois. Des enfants jouant dans les lacs disparaissent sous la surface. Les caravanes marchandes devant traverser le désert du Si Wong n'atteignent jamais la capitale. Les montagnes résonnent de cris infâmes, coupés abruptement. Jamais on ne retrouve de corps. Mais toujours on entend parler de ces fissures aux reflets miroitants.

Les cultivateurs savent. La frontière avec le monde spirituel est toujours plus fine, lors du septième mois, mais on dirait que le tissu de la réalité mortelle s'effrite. De plus en plus, le monde spirituel s'étend, et les esprits, fantômes et autres monstres voyagent entre les mondes, forcent des portes où il n'y en avait pas, capturent les humains qui les ont dérangés.

Et une comptine étrange, macabre, au rythme ne ressemblant à nulle mélodie connue à Ya Tai s'est mise à envahir les bouches des enfants :

  Les pierres s'ouvrent, l'eau brûle
  Les ombres viennent danser, mon seigneur
  Les ombres viennent jouer
  Les ombres viennent danser, mon seigneur
  Les ombres viennent pour rester.



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