Envolés, les souvenirs du passé

9ème mois DE LA 52E ANNÉE DE L'ÈRE RI WU  [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]

Le dos abîmé à force de dormir par terre, à même la terre battu, je n'avais plus de force. Un abattement m'avait recouvert depuis quelques semaines, les officiers se moquaient légèrement de moi, me rappelant qu'avant au moins, je sourirais et j'avais espoir en cette guerre, aujourd'hui je suis juste désespéré. Je ne sais plus ce que je fais là, je ne comprends pas les raisons qui me poussent à me battre. Parfois, un sentiment me traverse, léger comme une plume, mais j'ai beau courir après, je ne ressens rien.

Et je retourne à mes sombres pensées. C'est à cet instant que je repère le message. Il n'y a pas de doute, il a été déposé à mon intention, pire, je reconnais le code, parce que je l'ai inventé avec ... Ahloy. Ce nom me glace le sang. Est-ce un piège ? On me surveille et on a décidé de me blesser ? Ils savent que mon coeur n'est pas fidèle à la nation du feu ? Mais où puis-je aller ? Jamais Ahloy ne me pardonnerait ma traitrise, jamais je ne serais pirate et ... c'est tant mieux. Leur est déjà menacée, je ne peux risque de faire plus pour eux. Ou contre eux. Je ne sais pas, je ne sais plus.

Assis contre les tonneaux de bières - que tout bon chef transporte pour le moral de ses troupes - je me laisse aller à l'espoir. Elle a découvert la vérité, elle me pardonne, elle ... l'ombre de mes rêves s'efface rapidement. Cela fait trop d'années que nous sommes séparés, trop de temps, je ne pourrais plus jamais aspirer à serrer ses doits frêles contre les miens. Je ne fais plus parti de son monde, pourtant, Ahloy reste au coeur du mien. Je suis incapable d'aimer à nouveau, je lui ai tout donné. Et puis, ce n'est pas compliqué, je ne croise aucune femme depuis deux ans. Pratiquement. Je soupire et prends une décision. Même si ça peut me coûter la vie, l'apercevoir vaut le coup.

Je me rappelle la dernière fois que nous nous sommes vus, c'était durant la fête à Hikyo, elle avait pris des pâtisseries et s'était enfuit. Mon coeur avait bondit de joie à la savoir en vie et heureuse, même si elle m'avait craché des mots violents au visage et que j'avais répondu de même. Jamais personne ne devait soupçonner - encore moins elle - que mon coeur lui appartenait.

Suivant les instructions du papier, Jin se rend - très discrètement, cela va sans dire - au lieu de rendez-vous pour essayer de démêler le vrai du faux. La route est longue, le soir ne tarde pas à poindre et il risque d'avoir de gros ennuis s'il se fait découvrir, mais s'il peut apercevoir Ahloy, au moins une seconde, alors cela en vaut la peine non ? Confiant, il redresse les épaules et un mince sourire s'étire sur ses lèvres.

Jusqu'à ce qu'il la voit. Jusqu'à ce que ses yeux se posent sur la plus belle femme qu'il n'a jamais vu, son coeur se met à tambouriner contre sa poitrine et... son regard quitte les yeux de la belle maître de l'eau pour atterrir sur son ventre. Proéminent. Le doute n'est pas permit. Elle est enceinte, elle est heureuse, elle a refait sa vie. Et Jin s'effondre. Non pas physiquement, mais intérieurement, il est mort.

Il ne s'approche pas, malgré le sourire encourageant d'Ahloy. Oh comme il hait ce sourire.

« Qu'est-ce que tu me veux ? » gronde-t-il.

Sa voix est menaçante, violente, ses yeux lancent des éclairs. Son coeur est lourd, son âme est en peine, mais à cet instant, il est dangereux.

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Ahloy a refait sa vie. Ahloy est enceinte d'un autre. Ahloy est heureuse, amoureuse et ... elle vient le voir. Pourquoi ? Lui a-t-il demandé de faire ça et il ne s'en souvient plus ? Il voulait qu'elle refasse sa vie, sinon il n'aurait pas été aussi violent dans ses dernières paroles, quand il a fui le bateau alors que les soldats de la nation du feu voulait les couler, Jin a été incroyablement mauvais. C'était un mensonge, évidemment, c'était dans l'unique but de leur sauver la vie à tous et pire, de se sacrifier seul. S'il était vu comme un traitre, au moins, les membres de l'équipage n'irait pas le chercher et ne risquerait pas leur vie pour lui.

Ces pensées l'ont traversé pendant des mois, des années, il savait qu'il avait bien agi et que sa cause était bonne. Il espérait qu'Ahloy était heureuse, mais son coeur à lui ne pouvait appartenir qu'à elle. Alors pourquoi est-ce si douloureux de la voir épanouie ? Il comprend à ce moment-là qu'il ne l'aime peut être pas assez. Et la jalousie le submerge. Il perd pied, il coule, il se noie.

« Tu m'as donné rendez-vous, oui ou non ? »

Sa voix est déformé par la colère. Tant mieux, elle n'y lira pas la peine et la douleur. C'est toujours ça de pris. Elle ne doit jamais savoir combien il l'aime, c'est trop dangereux.

« Je suis venu conformément à tes souhaits, mais excuse-moi de ne pas être heureux de te voir. »

Oh comme ces paroles sont contradictoires, bien sûr qu'il rêvait chaque jour de la voir, bien sûr qu'un seul signe de paix de sa part pouvait lui faire tout abandonner. Il serait prêt à déserter l'armée, une fois de plus. Mieux, à simuler sa propre mort pour s'enfuir à nouveau à ses côtés ... et à ceux de son amant. Non. En réalité, il ne pourrait pas. Son coeur se consume lentement, il faut qu'il s'en aille avant de mourir pour de bon.

« J'ai toujours cru qu'on ne se retrouverait que dans la mort, moi défendant mon nation et toi, au creux d'une corde. »

Ces paroles, encore et toujours les mêmes. Ce n'est pas la première fois qui lui dit ça et pourtant les mots continuent de le dégoûter, mais pour la première fois, il les pense peut être un peu. Que lui reste-t-il d'autre ? Mourir au combat serait peut être la meilleure chose, effacer les douleurs de sa vie, arrêter d'espérer en vain un rêve innatteignable. Il est en train de songer à la chose. Ses poings serrés les uns contre les autres, il doit faire appel à toute sa maîtrise pour empêcher des flammes de le transformer en braiser.

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Sa phrase est entrecoupée, comme si elle devait reprendre son souffle entre chaque mot, comme si quelque chose la blessait au plus profond d'elle-même... et tout ça, n'a pas le moindre sens. Parce que c'est elle qui m'a blessé, c'est elle qui souhaitait me voir et c'est elle qui est enceinte d'un autre homme.

Mes yeux s'humidifient, de rage, de douleur, de tristesse ? Je ne sais même plus précisément à quoi je pense et je refuse de croire ce que j'ai sous les yeux. C'est trop gros. Qu'est-ce qu'elle fait là. Et pourquoi elle pleure ? J'ai envie de courir dans ses bras, de la soutenir, de lui dire combien je l'aime. Je me corrige mentalement, combien je l'aimais.  J'ai l'impression de faire face à la plus horrible des trahisons. Pire que la mienne, des années plus tôt.

Je reste immobile, tout comme elle. Ahloy n'avance plus, elle ne recule pas non plus. Je suis désemparé, je ne sais pas quoi faire. J'inspire doucement, tentant de mettre mes idées au propre. Je m'accroche à ses mots, qui me plongent dans le passé pour m'éviter la scène terrifiante que j'ai sous les yeux. C'est plus simple de parler de ce moment-là, malgré mes mensonges depuis toujours, sauf que... je sais que c'est trop tard. Mon pardon est mort et enterré, cela ne servirait à rien d'aller lui parler, de lui demander de me comprendre et de tenter de renouer. Elle a avancé, tandis que moi, tel un cadavre, je suis resté en arrière.

« Pourquoi après tant d'années ? »

Mon ton est rauque, grave, agressif. Je sais que ce n'est pas la bonne façon de prendre Ahloy, que je n'arriverai rien avec cet état d'esprit, mais c'est plus fort que moi. Même si elle abandonne déjà.

« J'sais pas c'qu'il t'a dit, j'ai oublié, ça m'intéresse pas. Tu crois que je me rejoues ce moment en tête ? » Mensonges. J'y repense chaque jour. « Puis ça changerai quoi ? Tu ne veux plus me voir, et moi non plus. » Cette carapace est un poison, je suis enlisé dedans et je ne peux que courir à ma perte. « Qu'est-ce que tu m'veux à la fin ! J'ai pas changé, j'suis toujours le soldat qui t'a trahi, que tu n'aimeras plus jamais, alors pourquoi t'es là ? Pour m'écraser sous ton bonheur ? »

Le regret est visible, la rancoeur est tenace. Je m'exècre. J'aimerai qu'elle me tende la main, qu'elle ne soit pas enceinte, qu'une étincelle existe encore. Et mon coeur brûle, mon coeur souffre et je sens que je ne pourrais pas rester plus longtemps ici avant de m'écrouler.

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"Je suis au courant de tout, Jin. La vérité, pour ton frère, pour toi, pour le navire, pour moi. "

Son cri me stoppe net. Comment ? Pourquoi ? Je n'essaie pas de comprendre, cela n'a pas de sens, mais elle sait, cela se sent dans sa rage, dans ses mots. Et moi, je ne saurais plus ? C'est trop facile. Elle ment... tout en disant la vérité. Et le noeud dans mon esprit se tord dans tous les sens, m'empêchant de comprendre ses mots. Cela ne peut pas être vrai.

Ahloy continue de crier et ma colère s'envole. Je ne peux pas être furieux en la sentant si triste, je ne peux pas continuer à jouer ce jeu-là, je suis incapable de gagner contre elle, je lui ai toujours tout donné, tout cédé. Même ma trahison était un cadeau pour elle, mon honneur perdu valait mieux que sa tête coupée. Alors pourquoi ne suis-je pas heureux ?

J'ai envie de te croire, mais je n'y arrive pas. Ma bouche reste close, m'empêchant de lui répondre, je ne peux que la regarder changer. Après ses hurlements de rage, ce sont des murmures de supplications. Elle est au bord des larmes. Je ne peux pas la laisser comme ça, je ne peux pas partir. Je dois agir.

« Pourquoi tu me rejettes si tu dis la vérité ? »

Mon coeur meurtri se met à saigner. Cela n'a pas de sens. Elle devrait venir me réconforter, si ce qu'elle insinue est vrai, alors, alors de murs sont tombés, des secret ont été dévoilés, des paroles sont venus combler les trous. Comment pourrait-il la croire ? Aveuglément ? Des trous de mémoires et pour quelle raison encore ?

Pourtant, il doit reconnaître que... il y a eu des remarques de ses supérieurs, des phrases lancées qui n'ont pas eu de sens. Il refuse d'y songer maintenant, il a toute la nuit pour le faire. Voir Ahloy, par contre.

« Et qu'attends-tu de moi ? Que je te croies sur parole ? Que »

Je n'arrive pas à finir ma phrase, les mots se coincent dans ma gorge, mon souffle se fait plus erratique et mes épaules s'affaissent. Chagrin, tristesse ou découragement ? Je lève les bras au ciel et hurle à la nuit en me passant une main sur le visage.

Le silence qui nous entoure me paraît lourd, chargé de souvenirs inconnus et de tensions. J'aurai mille choses à dire, mais je suis incapable de choisir, elle me laisse ce temps, elle ne me redemande pas de partir, alors, je prends une profonde inspiration et déclare.

« Je n'ai jamais cessé de t'aimer Ahloy. »

Mes yeux cherchent les siens, puis je recule. Je ne peux pas lui tourner le dos tout de suite, mais je ne dois pas rester. C'est trop dangereux, pour elle, pour moi, pour le monde entier. J'ai besoin de réfléchir à ce qu'elle m'a dit, alors je recule, un pas, puis deux, toujours en la regardant, espérant de tout mon coeur qu'elle me retiendra.

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Ses mots me figent sur place. Encore une fois elle a gagné, parce qu'elle sait tout, elle sait me surprendre et je n'ai plus qu'à apprendre d'elle. Mon coeur se serre, suis-je en train de croire à ses mots ? Je le veux désespérement, je veux croire que cet enfant dans son ventre est le mien, je veux croire que j'ai passé un cap et tout avoué à Ahloy, soit l'amour de ma vie. Sauf que je ne peux pas, ça fait trop mal de savoir qu'elle dit la vérité, qu'on m'a volé mes souvenirs, une partie de ma vie. C'est plus simple de n'avoir été qu'un soldat, sans rien d'autre que le coeur brisé. Si ce qu'elle dit est vrai, alors les morceaux de mon coeur ont été recollés, pansés, embrassés avant d'être écrabouillés à nouveau ? N'est-ce pas pire ?

Je n'ai pas le temps de me poser des questions sur mes états-d'âmes, d'ici quelques secondes elle aura disparu de mon champ de vision, elle m'aura fui parce que c'est trop lourd pour elle de me supporter comme ça, je le sens à ses larmes, dans ses mots. Déjà, elle recule, elle me tourne le dos. Et je reste, immobile, à attendre. Attendre quoi ? Le déluge peut être, ou la foudre. Je la mérite bien la foudre, ce serait enfin une fin digne de moi. Misérable.

Je lève le bras, mais elle est trop loin déjà, partie mon Ahloy, partie.

Alors je pars à mon tour.

Rejoignant cette armée que j'exècre sans rien dire d'autre, seul avec mes pensées sombres, seul avec des faux souvenirs que je veux faire rentrer dans les cases, seul, comme toujours.