Si faible, je n'avais été que faible. Et voilà que j'avais tout perdu. Elle. Comme ma vie. Ma mission était fichue, mon père ne me ferait plus jamais confiance et Ahloy ne pourrait, une fois de plus, que m'en vouloir. Elle m'avait vu si faible, près à tout lui avouer. Oh que les mots avaient été proche de quitter mes lèvres. Ces mots d'explications qu'elle méritait tant, ces mots qui n'auraient jamais pu effacer mes horreurs, mais qui auraient pu les éclairer d'un jour nouveau. Elle avait déjà compris tant de choses et, au fond de moi, j'espérais qu'elle ait saisit qu'elle détenait mon coeur. J'étais incapable d'aimer à nouveau, incapable de songer à quelqu'un d'autre, elle seule habite mes pensées, nuits comme jours. Que je sois proche ou éloigné d'elle.

Et me voilà jeté en prison, comme soldat d'une nation que je hais. Echouant sur tous les tableaux. Je ne peux pas m'en sortir sans me compromettre. Je ne peux pas leur dire la vérité, on ne me croira pas. Je ne peux rien faire d'autre qu'attendre que le vent tourne, qu'on m'oublie.

Soudain, l'idée qu'il me tue m'effleure et devient tenace. La peur devient réelle. Oh, pas pour ma vie ni pour ma nation, mais pour elle. Encore. Toujours tout me ramène à elle. Comment puis-je mourir sans qu'elle sache ? Sans que j'ai pu lui avouer ? Mais ici, dans ces lieux froids et humides, entourés de barreaux, je ne peux même pas le faire. Ils m'ont tout ôté, même ma possibilité de rédemption. Et si quelqu'un écoutait ? Et ce quelqu'un, serait-ce un agent du royaume de la terre ou un espion de la nation du feu ? Dans les deux cas, je serais obligé de remettre mon masque et de mentir.

Alors, accroupi au fond de ma cellule, je songe à ce petit garçon, Taiyo, que j'ai traumatisé alors qu'il n'avait pas quinze ans. Qui devait avoir peur dans une prison semblable, alors qu'il ne cherchait qu'à faire le bien. A l'époque, j'étais encore obnubilé par l'idée de la grande puissance, persuadée que j'étais le soldat qui ferait la différence pour que le monde renaissance de nos flammes meilleur qu'il ne l'était. Idiot, imbécile, naïf ! Qu'est-ce que je m'en veux !

Je ferme les yeux et m'adosse contre le mur. J'ai envie de hurler, de pleurer, de tempéter, de me révolter, mais je ne fais rien. Je reste silencieux. Pourtant, quand des bruits de pas se font entendre, je me redresse. Viennent-ils pour moi ? C'est trop tôt, je ne suis pas prêt. Je ne veux pas mourir. Pitié. J'ai si peur.

Combien de temps étais-je restée dans la rue, adossée à ce mur ce jour là ? Des minutes, des heures ? Perdue, à terre, j'avais été transportée dans un endroit sûr, on m'avait posé des questions, sur ce qu'il s'était passé, sur lui, sur Jin... Jin qui avait fait voler en éclats mon empire de haine, Jin qui avait remis mes années à le haïr en question, Jin qui semblait être en proie à un mal bien plus puissant que le mien.

Une fois retournée chez celle qui avait veillé sur moi depuis le combat du Nouvel an Lunaire, je m'étais enfermée dans le silence, bien trop pensive, bien trop... perturbée. Mes blessures avaient fini par guérir, mon esprit par se reconstruire... J'avais eu des nouvelles du Cursed Lotus, je devais me relever, repartir à la guerre. Je n'avais pas le choix.

J'étais tombée bien plus, au plus bas, et je ressortais enfin la tête de l'eau après ces longues journées seule avec moi-même. Mais avant de quitter Ba Sing Se pour retrouver mon rôle de Capitaine, il fallait impérativement que je mette au clair certains points avec une personne qui n'avait pas quitté mes pensées une seule seconde.  

Jin.

Les aveux, le baiser, l'explosion... Je n'avais rien compris. Et ça avait clairement eu le don de m'agacer. Mais pourtant, ce ne fut pas en colère que je pénétrai dans la prison après avoir demandé à voir l'homme du Feu qui s'était fait attraper ce jour là.  Bien au contraire.  

Alors après quelques discussions rapides, on m'indiqua sa cellule, un peu isolée, non surveillée, les barreaux étant amplement suffisants. Être seule avec celui qui faisait battre mon coeur comme jamais me plaisait autant que ça m'effrayait... J'avançais vers l'inconnu, sans avoir le contrôle, sans savoir quels sentiments m'animaient... Un moment de sagesse ou de stupidité ? Les deux sans doute... Je ne devais pas réfléchir, agir naturellement, en me laissant porter...

Ainsi, une fois à quelques mètres de la dite cellule, mes pas résonnant dans le couloir plongé dans la pénombre, je me fis entendre d'une voix calme.

"Ils m'ont demandé si tu m'avais fait du mal ce jour là... j'ai dit la vérité, que tu ne m'avais rien fait.. " commençai-je dans l'obscurité avant de reprendre une fois visible. "À toi de me la dire, maintenant, la vérité Jin... "

Mon coeur se serra à la vue de l'état l'homme que j'aimais encore, même si c'était difficile à avouer. Nos rôles s'étaient un peu inversés par rapport à notre dernière rencontre... Mes blessures n'étaient plus qu'un vague souvenir, seulement visible au niveau de ma gorge grâce, ou au cause, d'une cicatrice qu'un blanc nacré. J'avais réussi à me sortir du gouffre, sous les traits d'une nouvelle Ahloy. Plus posée, plus ouverte, et complètement consciente de ses émotions.

Combien de temps allais-je tenir ?   

La peur laisse place à la surprise. Elle. Et par elle, je veux dire Ahloy, en chair et en os, dans ma cellule, au fond de la prison de Ba Sing Sé. Le pire, c'est que je ne sais pas exactement ce que je ressens. De la joie ? De la peur ? De l'espoir ? Ou du désespoir au contraire ? Que puis-je faire ici, que puis-je lui dire ? Je sais ce qu'elle attend, son regard ne la trahit pas, elle veut la vérité, mais comme toujours, je suis incapable de lui offrir.

Ses mots sont d'ailleurs bien clairs, elle ne tergiverse pas. Et je me retiens de sourire, car elle est redevenue celle que je voulais qu'elle soit. Elle va mieux. Elle est droite, fière, sa blessure n'est sûrement plus qu'un souvenir. J'ai réussi ce que j'avais à accomplir, je peux reprendre mon rôle. Celui que je joue à la perfection depuis des années, celui qui me brise le coeur évidemment. Je n'ai aucune envie de l'endosser, mais ai-je le choix ?

D'un geste discret de la main, je touche mon oreille en haussant les sourcils. Elle devrait comprendre mon message, nous avions toute une série de code dans le cas où nous ne pouvions parler à voix haute. Que voulez-vous, on ne cesse jamais d'être un pirate, ou du moins, on en garde toute la vie les habitudes.

« La vérité ? Quelle vérité ? Celle que j'ai rejoint ma nation, comme j'avais prévu de le faire depuis le début ? »

Les mots m'arrachent le coeur et les tympans, mais ils sont moins douloureux cette fois-ci, car je sais qu'elle les sait faux. Elle en sait déjà bien trop. Elle devrait comprendre le jeu que je joue. Elle devrait comprendre que je ne crains pas uniquement les soldats du royaume de la Terre.

J'utilise de nouveau mon corps et mes mains pour parler, ce double langage, celui que j'offre gratuitement à Ahloy silencieux et celui que j'offre, à voix haute, à ceux qui pourraient espionner, quels qu'ils soient.

Quand mes mains disent « pardon, je ne peux pas parler ici » mes lèvres disent « Quand feront-ils mon procès ? Quand serais-je pendu sur la voie publique ? Cela m'étonnerait que mon exécution soit discrète et rapide. » La peur de la mort me revient en plein fouet, mais elle doit comprendre aussi. Parce qu'elle ne doit pas me laisser là. J'ai l'espoir fou qu'elle m'aide à sortir, que malgré tout ce que je lui ai fait subir, elle m'aide, encore, une dernière fois.

Mon regard plonge dans le sien, un quart de seconde, et c'est déjà trop. Je ne suis plus capable de conserver ce regard froid, dur, noir. Mes yeux débordent d'amour et de peur. Moi qui ai si bien su cacher mes émotions pendant des années, voilà que la peur de mourir me fait lâcher toutes les barrières.

L'entretien allait démarrer, mon coeur se mit à manquer quelques battements, je ne devais pas être faible, pas comme l'autre fois. Je m'étais préparée à le voir, à lui parler, à me faire au son de sa voix qui, après toutes ces années, m'avait manquée. Alors, j'allais m'adosser sur le mur d'en face, les bras croisés, prête à tout entendre. Cependant, avant de se lancer, Jin fit un geste des plus naturels. Pour les autres. Pas pour moi.

Mes sourcils se froncèrent, il venait d'utiliser un vieux code que nous avions entre nous. Un code parfait pour ce genre de situation où nous pouvions clairement être écoutés. Puis il se jeta à l'eau, avec cet air étrange qui ne lui ressemblait pas. Silencieuse, je ne bougeais pas, ne tiquais pas, puis écoutais, douloureusement. Des mots entremêlés, mélange de mensonge et de vérité, il ne pouvait pas s'exprimer, il ne devait pas, sûrement pour sa survie. Ça, je l'avais déjà compris en le voyant exploser, mais je n'étais pas plus éclairée sur les causes de tous ces maux, nos maux... Son regard changea alors, un court instant, pour me transpercer le coeur, pour nouer ma gorge comme jamais... Merde... C'était lui... Ça avait toujours été lui...

"Je vois..." lançai-je alors d'une voix lointaine, le regard perdu dans le vide.  

Par où commencer ? Retrouver ses esprits d'abord, puis....un signe, ma main passée trois fois au niveau de ma gorge, comme pour faire comprendre que mes paroles allaient être le contraire de mes pensées, puis je m'avançai un peu, relâchant mes bras, pour commencer à parler d'une voix assurée après avoir planté mon regard dans le sien.

"J'ai bien cru au départ que tu étais toujours de notre côté, mais finalement, je crois que j'ai enfin compris que tu n'étais qu'un traître."
*j'ai bien cru au départ que tu étais un traître, mais finalement je crois que j'ai enfin compris que tu n'en étais pas un.*
" Le Capitaine m'avait prévenue, son amnésie après l'attaque s'est vite dissipée."
*Le Capitaine n'a pas réussi me prévenir, son amnésie après l'attaque est restée*

Les mots sortaient naturellement, à croire qu'il était plus simple de passer par la double interprétation afin de se confier sans avoir l'impression d'être au bord du gouffre... Pourtant...

"Je suis au courant de tout, mes pensées sont claires... "
*Je ne suis au courant de rien, mes pensées sont floues*

Tout cela était trop dur... Nouveau signe, pour mettre fin à la parenthèse, une main passée trois fois sur ma bouche cette fois.  Nouveau soupir, je restai là, à quelques centimètres du prisonnier malgré la séparation.

" Étant donné ta trahison, je pense qu'une exécution à bord du Navire serait une chose qui pourrait être acceptée." lançai-je d'un air sérieux en espérant qu'il comprendrait là où je voulais en venir. "Sauf si bien sûr, tu préfères croupir ici pour réfléchir."

Ma voix avait flanché sur les derniers mots, et mon corps s'était mis à trembler légèrement... Pourquoi fallait-il que ça soit compliqué à chaque fois ? Attrapant les barreaux avec lenteur, je baissai la tête, fermai les yeux, puis lâchai une dernière salve de paroles chuchotées, la mâchoire serrée, comme si la prononciation me causait le plus grand mal du monde...

"Pourquoi... es-tu en même temps le fléau de mon existence, et l'objet de tous mes désirs, Shao Jin..."

Finalement, ça allait être plus compliqué que prévu.

Elle a compris, d’un seul coup d’oeil et elle ne m’en veut pas. Elle joue, de la même manière qu’on l’aurait fait avant. Comme si c’était naturel, comme si ce nous pouvait exister encore. J’ai un sursaut d’espoir, un sursaut de joie. J’ai envie de pleurer, de courir, de sauter, de danser. Evidemment, je ne fais rien de tout cela, je reste immobile, calme. Seuls mes yeux me trahissent, mais j’ose espérer que, dans la pénombre, les potentiels espions ne seront pas capable de les repérer. Je m’adosse et soupir, comme si ces paroles ne me faisaient rien.

En réalité, elles me saoulagent avec tellement de force que je manque de verser de nouvelles larmes. Elle a compris et elle l’accepte. Qui suis-je pour mériter tant de reconnaissance ? Elle devrait me cracher dessus, même si mes raisons sont bonnes. Elle devrait me haïr, même si je l’aime tellement fort que mon coeur explose. Et je devrais l’accepter, parce que j’ai ruiné une partie de sa vie. Egoïstement, pour sauver mon frère. Et pour tenter d’éloigner la nation du feu, mais ça, je sais que ça a été un échec.

« On se fiche de tes pensées »  Mon regard est suppliant, bien sûr que je ne m’en fiche pas ! « Ce qui compte ce sont les actions. Or, tu n’as rien à faire ici. »  C’est moi qui n’ait rien à faire ici. S’il te plait. Sauve-moi. « Si tu penses que tu en sais plus que moi… »  soupirai-je en traçant ce même signe sur ma poitrine. Moi non plus, je ne sais pas grand chose Ahloy. Tu mérites de savoir tout ce que je sais, mais j’ai tant d’incertitude, tant de doutes, tant de secrets qui me font cachés à moi-même. Personne, là-haut, ne me fait confiance. Et toi, tu es là.

Je pose ma tête contre le mur, pour refuse de me rapproche plus d’elle. J’en meurs d’envie, mais nous jouons un rôle et je ne peux pas mettre un pas de côté. J’ai trop peur pour ma vie. L’air sérieux me donne envie d’espérer, mais je crains de m’être égarée. « Une exécution à la vue de tous ? »  j’insiste, narquois, l’air de la tester, mais en réalité je lui demande s’ils sont tous en vie. Et s’ils pourraient m’accepter, une seconde fois. Je n’y crois pas, mais j’ai besoin d’être rassuré.

Mes espoirs de sortir d’ici s’amenuisent de plus en plus, alors je cherche la moindre lueur d’espoir. C’est là que ces mots me parviennent, brutaux, violent et si doux. Ma lèvre tremble et je serre les poings pour déloger la douleur. Je voudrais gouter ses lèvres, une fois de plus. Ce n’est jamais assez. J’y ai eu le droit, dans la ruelle, je pensais que ça suffirait, mais non. J’ai peur, j’en veux plus.

Je me redresse. « Parce que tu penses que tu étais facile à vivre ? » L'impétueuse, la fougueuse, la fonceuse Ahloy. Oh, non, tu n'es pas facile à vivre, mais je vivrai cent vies pour une seconde de plus passée avec toi s'il te fallait. Je m'approche des barreaux et pose mes mains bien trop proches des tiennes, je pose mon visage à ta hauteur. « Sauve-moi. » murmurai-je perdu dans son souffle, dans la pureté des ses yeux. « Et tue-moi ensuite, mais ne les laisse pas faire, eux. » J'accepterai tout venant d'elle, j'en prends enfin conscience.

Le coeur blessé, les larmes me brouillant la vue, ça faisait mal, bordel, si mal, de le voir dans cette situation, de nous voir dans cette situation. Incapables de parler, bridés par le passé, la pression, la vérité, les mensonges... Pourtant je devais rester forte. Je devais lutter. Alors je finis par déglutir avec difficulté, ravalant mon sanglot naissant pour relever enfin la tête et fixer celui qui se trouvait un peu plus loin de moi à présent.

Les mots résonnaient encore, plein de faussetés, la traduction était claire, faisant accélérer mon souffle. A nouveau, je fermai les yeux, sans lâcher prise, sans reculer... Une exécution, à la vue de tous... J'acquiesçais de façon nette. . Oui, ou presque, car depuis, le Capitaine avait rendu l'âme, et Meixing était morte...

* Qu'est ce qui ne va pas...*

Sa situation était critique, j'essayais de réfléchir, de me souvenir de détails, de cette soirée, cette bataille... Mais tout était brouillé, déformé par des années de haine, pour ne pas avoir de l'espoir, pour pouvoir faire le deuil. Chose que je n'avais jamais faite d'ailleurs. Pourtant, il devait y avoir des indices... Mais j'étais incapable de les voir... Et le fait de l'entendre me dire certaines choses n'arrangeait pas la situation. Un petit rire sortit alors de ma bouche alors que je restais dans ma position. Non je n'étais pas facile à vivre, et cette phrase, je l'avais déjà entendu avant. Un nouveau saut dans le passé qui eut le don de me faire tourner la tête. Encore une fois...

Alors contre tout attente, et avant même que je puisse dire oui faire quelque chose, Jin s'approcha pour m'imiter, posant ses mains à proximité des miennes. Un rapprochement imprévu, déroutant, ma tête se releva par réflexe, constatant alors que nous étions face à face, à quelques centimètres l'un de l'autre. Tremblante, figée, je l'écoutai alors me chuchoter des mots, les siens, comme j'avais pu le faire cinq minutes avant.

J'en eus le souffle coupé, le coeur meurtri... Mes lèvres se pincèrent, mon visage se crispa de douleur, mes yeux se fermèrent pour laisser glisser quelques larmes silencieuse mais emplies de sentiments. Lentement, je posai mes mains sur les siennes, pour m'accrocher, à lui, à nous, puis baissai la tête pour aller à la rencontre de la sienne. Le souffle court et bruyant, je ne trouvais plus mes mots, je luttai, pour ne pas craquer, pour ne pas sombrer...

"Si... tu meurs... je... n'suis... plus rien..." chuchotai-je avec douleur, mes lèvres si proches des siennes. "Je... n'pourrais pas... je... " Nouvelle pause, nouvelles larmes, nouvelle inspiration. "Il faut... que tu sortes d'ici...c'est d'ma faute... tout ça... " confessai-je dans un sanglot silencieux.

Si seulement, je n'avais pas essayé de le suivre, si seulement nous n'étions pas ici, dans cette prison, si seulement... Ne pas parler ouvertement, agir en gardant nos distances, jouer encore et toujours des rôles. J'étais fatiguée, et bien trop éprouvée pour reculer à mon tour, ce serait à lui de le faire.  Moi... je n'en avais plus la force, plus pour l'instant...  Car il était hors de question de le perdre... Pas maintenant. Plus jamais.

Les larmes coulent le long de ses joues et je m’en veux. C’est de ma faute, je le sais, mais j’en ai besoin, égoïstement, pour sortir. Pourtant, cette fois-ci, je ne lui cache pas mes véritables desseins, j’ai bien trop peur de la mort. Elle est tangible cette idée, au-dessus de moi, prête à me rompre le cou pour me donner n pâture. Oh quel exemple ce serait. Dommage pour eux que je n’ai pas mon uniforme sur moi, et je ne leur donnerai pas ce qu’ils veulent, ils n’auront pas ma maîtrise du feu.

Ses doigts chaud se posent sur les miens. Le contact est brûlant électrique. Et ses mots sont une vague de bonheur, m’encerclant d’amour. Elle va rester et me faire évader. C’était mon espoir le plus fou, que je croyais impossible. Pourtant… il devient de plus en plus réel. J’ai envie de sourire, de pleurer, de la prendre dans mes bras.

Aussitôt, un autre sentiment vient s’imposer à ma voix : la peur. Pour elle cette fois-ci. Je n’ai jamais voulu qu’elle risque sa vie, c’est pour cette raison que je me suis sacrifié seul, en leur imposant la haine à mon égard. Parce que sa vie vaut bien plus que la mienne. Pff, belles paroles quand je croyais encore à la rédemption de mon peuple. Aujourd’hui, l’angoisse me noue le ventre. Malgré tous mes combats, malgré toutes les fois où j’ai frôlé la mort, je ne suis pas prêt à m’éteindre.

Seulement, je n’ai pas le temps de lui dire le moins mot que j’entends des bruits de pas. Je réagis plus vite que mes pensées et je m’éloigne d’elle. Sa chaleur me manque déjà. Je pose la tête contre le mur et ferme les yeux quand la porte s’ouvre. Un garde entre. Comment allons-nous sortir ? Est-ce même simplement faisable ? Ne risque-t-elle pas d’être emprisonnée à son tour ?

Je dois avoir confiance en elle, Ahloy est bien plus douée que moi niveau stratégie et discrétion. Je ne suis doué qu’à me battre. Et cela ferait trop de bruit. « Perdu, ils vont me pendre avant que ta foutu bande puisse m’exécuter » lançai-je mi-colérique, mi-blagueur. Je sais que je ne devrais pas avoir l’air désespéré mais je ne peux pas m’en empêcher. « Par contre ne vous attendez à aucune coopération de ma part. » lançai-je d'un air mauvais et sombre au garde. Avec un peu d'espoir, ils me remettront à Ahloy et tout sera plus simplement évité !

J'aurais aimé que le temps soit figé, à cet instant, à ce moment précis. Trop de faiblesse, de coeur ouvert et de blessures, tant de fatigue et de lassitude face à un combat qui n'avait jamais eu lieu d'être. Ce contact, cette chaleur familière, ce souffle que je ne connaissais que trop bien... Mon esprit s'était perdu, je n'avais plus qu'une seule envie. Fuir. Loin. D'ici, de ce Royaume, de ce monde.

Des pas brisèrent alors ma bulle, ou plutôt, me firent redescendre, ou presque. Par réflexe, Jin avait eu le temps de s'éloigner, rejoignant le mur pour faire comme si rien ne s'était passé. Mais moi, j'étais là, à tenir ses fichus barreaux, le visage crispé, les larmes perlant au coin de mes yeux fatigués.  

Jouer un rôle, encore. Faire bonne figure. Encore... La scène commença, sur le ton de la provocation, blaguant face à cette mort imminente qui allait m'échapper. Il fallait que je reprenne mes esprit. Pour moi. Pour lui. Pour nous.

"Non." grognai-je en restant dans ma position, laissant la colère m'envahir. "Il y est. Hors de question. Que cet homme..."  
*meure...*
"M'échappe !" lançai-je à la tierce personne qui nous avait rejoint.  

Les larmes coulaient toujours, mais mon faciès exprimait bien toute autre chose à présent. S'il voulait une Maître de l'eau enragée, alors il allait être servi.  

"Cet homme" repris-je en me reculant pour le pointer vulgairement du doigt. "Cet homme a mis à feu et à sang mon navire ! J'essayai de l'entourlouper pour le conduire à équipage pour une mise à mort ! Je réclame justice !" crachai-je au visage du garde avec une rage non dissimulée.

Est-ce que cela allait marcher ? Est-ce que ça allait nous faire gagner du temps ?  Alors que ma cible tentait de me calmer à l'aide d'explications basiques, je tournais, avançais, reculais comme incapable de me contenir, de me gérer. Un instant de répit, un regard vers le prisonnier, et ma main tourna dans le vide. Maîtrise des larmes par la maître de l'eau, un filet alla chercher les clefs tant convoitées en un geste précis, pour les placer dans une de mes poches.

"Écoutez, je vais voir ce que je peux faire. Mais calmez-vous." trancha le garde avant de faire demi-tour.  

Je fis mine d'obéir, de faire taire cette fausse colère jusqu'à ce que cette silhouette disparaisse au bout du couloir. Une fois libérée de mon rôle, j'expirai, bruyamment, puis reculai pour aller m'adosser au mur qui faisait face à la cellule de l'homme dont le sort occupait toutes mes pensées.

A bout de souffle, et assurée que personne d'autre que Jin ne verrait mon geste, je fis danser ma main dans les airs, pour finalement sortir la clé de ma manche, telle une magicienne. Incapable de dire un mot, bien trop éprouvée par ces vagues d'émotions, je restai là, immobile, à le fixer...

À oser rêver de cette fameuse liberté.

Les larmes, ses cris, sa colère, tout est réel chez elle. Et pour une fois, j'ai de l'espoir qu'elle ne soit pas uniquement dirigé contre moi, mais pour moi. J'essaie d'agir comme un homme fier, qui sait ce qu'il fait, mais je suis terrifié. Et ses mots violents me rappellent trop de choses, tout ce que j'ai détruit. Ce navire, si beau, doit flotter encore, mais la confiance de l'équipe, ça...

Je baisse juste la tête, pour qu'on ne puisse pas lire la peine sur mon visage, j'aurai du sourire tel un dément, mais c'était trop dur pour moi. Ce double-jeu commence à me peser. Heureusement pour moi, le soldat du Royaume de la Terre n'a d'yeux que pour Ahloy. Il faut dire qu'elle prend tout l'espace avec la puissance de sa rage, si j'étais lui, je me ferai aussi tout petit.

Il essaie de calmer le jeu, mais tout ce que je vois, c'est qu'il file la queue entre les jambes. Je ne peux m'empêcher de sourire à pleine dents. « Je dois reconnaître que ta colère était grandiose, tu as même réussi à me faire peur. » J'ai laissé tomber les doubles-sens, les mots cachés, mais je me suis dit que cette phrase en valait la peine. Peut-on me reprocher d'être terrifié ?

C'est là que j'aperçois la clef entre ses mains. Je retiens le cri de surprise qui manque de jaillir de ma gorge et me content d'hurler en silence. J'ai l'air débile, sûrement. « Tu n'as besoin de moi en rien, tu es capable de tout faire seule, comme toujours. » J'ai murmuré les derniers mots en levant les yeux au ciel, mais en réalité, je suis impressionné par ses qualités. Quand ai-je cessé de l'être ? Il y a trop longtemps que je ne l'ai pas vues.

Je tends la main pour récupérer la clef, puisqu'elle ne fait pas le moindre signe d'ouvrir ma cage, mais je comprends qu'elle attend encore un peu. « Dois-je mérité l'honneur de ? » Je ne termine pas ma phrase, les espions ont qu'à s'en aller, seule Ahloy compte à partir de maintenant. « Tes désirs sont mieux, que veux-tu en échange ? » La possibilité d'une sortie anticipée vers la vie, me fait revoir tout de manière complètement différente. Je suis prêt à négocier et à me plier en quatre pour elle ! Tout plutôt que moisir ici.

L'hésitation. Qu'est-ce qu'elle venait faire ici, après nos échanges ? Je n'en savais rien. Et pourtant, je restais là, la clé dans ma main, à fixer Jin comme jamais, sans bouger, sans ciller. Tout était clair à présent, non ? Sa voix, ces allusions, à ce passé qui avait condamné notre avenir, cette nostalgie qui étreignait nos coeurs à cet instant, pour nous rappeler nos aventures, tous les deux, ensemble, en simple pirate et rien d'autre.

* et... s'il te manipulait... et s'il...*

Autrefois conscience dominante, relayée au rang d'une petite voix, intrusive, semant le doute dans le mon esprit, elle s'était faite entendre, alors que je n'en croyais pas un mot. Ou... pas vraiment ? Mon errance se fit ressentir, et celui qui occupait toutes mes pensées finit par réagir face à mon comportement, avec douceur, bienveillance...

Un soupir ponctua ses mots, je baissai la tête, et m'approchai alors lentement. Je devais la jouer fine, une dernière fois, car les pas résonnèrent à nouveau en écho, témoignant d'une nouvelle présence au loin. La nuit allait tomber, tous allaient succomber au appel du sommeil.

" La vérité contre la clé, et tu aurais pu voir ton avenir changé... Profitez d'une bonne tasse de thé, dans un petit coin reculé reculé à l'Ouest de Ba Sing Se, là où les gamins du quartier s'y amusent en journée. "

Des rimes qui voulaient tout dire, j'étais persuadé qu'il allait me comprendre. Alors, je finis par passer une de mes mains tremblantes à travers les barreaux, pour tendre le petit bout de métal tant convoité, puis le relâchai, sans quitter Jin des yeux. sûre et certaine qu'il le rattraperait, par réflexe...  

Sans en être assurée, je lui lançai un dernier regard, attristé, perdu...

"Ne me fais pas regretter ce geste...Shao Jin..."

Derniers mots susurrés avant de me retourner, prête à rejoindre l'extérieur, l'esprit meurtri par l'incertitude, le coeur lourd...

Ce coeur qui ne supporterait pas d'être brisé à nouveau. Pas cette fois.

Le ton de sa voix me fait plonger le regard dans la pureté de ses yeux. Ils sont puissants, mais j’y ressens comme un doute qui frétille à l’intérieur. Elle n’a pas totalement confiance, heureusement, sinon ce ne serait pas la Ahloy que je connais, parce qu’elle ne plonge pas sans réfléchir. Je songe à nos débuts sur le bateau, quand elle a mis 2 ans avant de m’adresser la parole autrement qu’en grognement, puis un an encore avant d’accepter de me sourire. Je l’ai aimé bien trop rapidement pour mon pauvre coeur, mais j’ai attendu qu’elle soit prête. Aujourd’hui, je comprends que je suis de nouveau prêt à attendre le temps qu’il lui faudra.

J’attrape la clin et incline la tête, les rimes me rappelle nos premiers rendez-vous, sur le bateau où tout le monde est serré, il nous fallait communiquer de façon particulière, nous avions déjà développé notre propre langage.

« Jamais » soufflai-je en sa direction alors qu’elle se retourne déjà. Elle ne regrettera pas de m’avoir fait sortir, mais je ne peux pas courir tout de suite dans ses bras non plus. Il faut que je récupère l’objet de ma venue ici. Si j’arrive à sortir, je pourrais le faire avec discrétion.

La porte se referme sur elle avant de se rouvrir sur le garde. Il m’inspecte des pieds à la tête et je me fais tout petit dans un coin de la cellule. Je joue le jeu qu’il veut que je joue. Je suis le soldat battu et non celui bravache. Il me tend une assiette et soudain je pense au gamin, d’il y a bien longtemps. Ce gamin que j’ai martyrisé pour rien, je me demande ce qu’il est devenu, qu’est-ce qu’il avait raison déjà à l’époque et j’étais bien trop sourd pour le comprendre.

Je mange rapidement mon pain et ma soupe tiède et lui rend le tout puis je m’allonge. Il vaut mieux dormir tout de suite pour être en forme pour la longue nuit qui m’attend. En temps que soldat, j’ai appris à entrecouper mon sommeil et à dormir n’importe où. C’est pourquoi, même au fond de ma cellule, sans fenêtre, je suis certain de me réveiller autour de minuit. J’ouvre les yeux délicatement et sans bruit, fait tourner la clef dans la serrure.

Mes pas sont silencieux et je commence l’ascension des escaliers. Au détour d’un couloir, je remarque un soldat du royaume de la terre, de dos. Il marche dans l’autre sens, je prends un risque, mais j’ai besoin de son uniforme. Je l’attaque, en le regrettant d’avance. J’échange nos tenues une fois qu’il est au sol puis je le cache dans l’une des cellules vides avant de l’attacher au fond et de le bâillonner. J’espère qu’il restera assommé longtemps et qu’il ne donnera pas l’alarme trop vite. Puis je lui vole son trousseau et positionne mon casque bien enfoncé sur ma tête, je suis irreconnaissable si ce n’est ma manière de me battre. Je vais éviter d’avoir à le faire.

Ma tenue m’ouvre toute les portes, même si, de toute manière, j’ai en main toutes les clefs qu’il me faut. Et je m’échappe rapidement de la prison. Je suis bien loin du lieu de rendez-vous, mais à côté de mon objectif. Je m’infiltre donc dans la salle des gardes et je remonte jusqu’à celle des cartes. J’écoute plusieurs conversations pour prendre leur manière de parler, je reste un peu à côté de certains, me mêlant à leur exercices nocturnes, même s’ils sont bien moins nombreux que dans ma nation. Une fois mon objectif atteint, je vole la carte qui m’intéresse. Alors que j’allais partir, la porte s’ouvre et je me cache dans un recoin.

Mon coeur bat à tout rompre, mais le garde qui entre, ne fait que la même chose que moi. D’un air coupable, il regarde autour de lui et attrape une carte qu’il roule sous sa chemise. Et je me demande un instant si ce n’est pas un espion de la nation du feu, quelqu’un qu’on a envoyé car on n’a pas confiance en moi. Ma colère me brûle, mais je reste silencieux avant de sortir à mon tour après un temps raisonnablement long.

Une fois hors du bâtiment des soldats je respire mieux, mais je ne sais toujours pas quoi faire. Dois-je donner cette carte et ainsi trahir Ahloy et le royaume de la terre ? S’ils ont d’autres espions qui ont déjà connaissance de ce que j’apporte, cela ne sert à rien. Alors que je m’apitoie sur mon sort en regardant les étoiles, je me rends compte qu’elle m’attend.

Je cours, je vole jusqu’au lieu de rendez-vous. L’esprit plus léger car je n’imagine rien de la conversation peut être pénible qui m’attend, je n’imagine qu’elle. Ahloy. Ce nom fait battre mon coeur et j’accélère ma course.

En passant devant une maison, j’échange ma tenue de soldat contre celle d’un simple habitant, sans le moindre regret. Une fois arrivé devant le salon de thé.

« Pardon du retard » soufflai-je dans le noir incapable de la voir « mais je suis venu dès que j’ai pu. » Ce n’est pas un mensonge, si ?

L'attente. Si longue. La plus longue de toute ma vie, alors que je me tenais là, dans un coin du salon de thé plongé dans la pénombre. J'avais eu l'autorisation de ma bienfaitrice, après lui avoir parlé de Jin, sans aucun filtre, en étant la plus sincère possible. Elle aurait pu me balancer, m'insulter, mais non, elle avait compris. Réellement. Et afin de nous aider à fuir, elle nous avait donné un contact... Celui d'une fille de l'air, une flûtiste qui voyageait à dos de Bison Volant... J'avais eu du mal à y croire, me demandant sincèrement comment cette femme pouvait être si... au courant de tout ce qu'il se passait en ville. Un mystère que ne serait pas résolu pour le moment. Avant tout, je devais prendre ce qu'elle me donnait, sans réfléchir, tout en promettant de revenir payer ma dette plus tard.

Alors, j'avais rassemblé des affaires, typiques de ce Royaume, destinés à un couple en départ pour un voyage qui pouvait s'apparenter à... une lune de miel ? Quel paradoxe, j'aurais préféré trouver autre chose, mais il avait fallu que ce soit la seule idée plausible pour éviter de trop attirer l'attention. Ainsi, j'avais déjà revêtu un hanfu au couleur de cette Nation à qui je devais beaucoup, et avait noué mes cheveux tout juste assez longs pour un chignon grâce à une long épingle... sans savoir si au final, l'homme que j'attendais allait me rejoindre.

Il ne m'avait rien promis, nous n'avions pas encore eu l'occasion de se parler, franchement, de vive voix... Et si je m'étais perdue à nouveau ? Et si au final, il avait toujours été du côté de sa Nation d'origine ?

** Arrête Ahloy, punaise, arrête... **

Face à la solitude, je me sentais bien faible. Trop de pensées, trop de peurs, trop de craintes... même si tout me laissait croire que je ne m'étais pas trompée en misant sur son évasion. Les émotions ne pouvaient être jouées... Sauf si bien sûr, on était formé pour le faire...

Fermant les yeux, les poings serrés, je tentais de faire taire ma conscience au moment où la porte s'ouvrit. Par réflexe, je me collai dans mon coin, hors champ de vision, pour observer...

Pour l'observer lui, avant d'entendre sa voix. Oh... cette voix.

"J'suis là." laissai-je échapper en chuchotant avant de sortir de ma cachette.  

Quelle... étrange sensation lorsque mon regard se perdit dans le sien... J'avais l'impression de faire un saut dans le passé, ce passé que j'avais tenté d'oublier, ce passé qui m'avait tant adoucie... Pourtant, je ne savais pas quoi faire, et je restais là, comme une gamine apeurée par ses sentiments, comme lors de ce soir, où pour la première fois, mes lèvres rencontrées les siennes.

"J'ai... des affaires, pour toi, et un plan... mais... on a une heure, pour parler." tentai-je maladroitement en m'avançant de quelques pas.

Jamais de ma vie, je n'aurais cru à de telles retrouvailles, ou plutôt, à de vraies retrouvailles. C'était peut-être même pour ça que je restais un peu à l'écart, à croire que tout ça n'était pas vraiment réel, car ça faisait des années, qu'il ne m'était rien arrivé de si beau.

Elle sort de sa cachette, telle une étoile au milieu du ciel noir. Sa peau brille sous la lune et je reste, un instant ébloui. C’est trop beau. Je n’ai pas le droit. Je baisse la tête, incapable de savourer ce bonheur qui me tend les bras. Elle est là, pour moi, alors que je ne le mérite pas. Je n’ai fait que la tromper, la trahir, lui mentir. Et même si je pensais changer, même si je pensais uniquement la protéger, je le fais encore. C’est devenu une seconde nature et mon coeur se brise, doucement.

Pourtant elle me propose des affaires, un plan pour quitter la ville et du temps avec elle. Bien plus que je ne pouvais en rêver. Bien trop même. Voilà, elle recommence à être la Ahloy généreuse que je ne mérite pas. Je serre les poings pour me contrôler et éviter de verser des larmes. Faible, bien trop faible me dirais mon père en ricanant. Seulement cette fois-ci, je suis d’accord avec lui.

Je m’assois sur un rebord pour tenter de remettre mes idées en place. Par où commencer ? Par le début, évidemment. « Je voulais m’excuser pour tout ce que je t’ai fait subir, j’ai mes raisons et je t’assure que mon unique but était de te protéger. » Je vais partir dans une tirade, une fois que les mots sont lancés, je ne pourrais plus m’arrêter. « Je voulais que tu me haïsse, j’ai demandé au capitaine de te cacher ce que j’avais fait, parce que je ne voulais pas que tu viennes me sauver. » Je ferme les yeux, je ne suis pas prêt à voir la lueur des siens, la compréhension qu’elle a tant attendu et dont j’ai tant renâclé à lui offrir. « Ce n’est pas une question de fierté mal placée, c’était parce que je ne le méritais pas et que j’avais autre chose à faire. » L’instant décisif. Dois-je parler de Cheng ? C’est son histoire, ce n’est pas à moi de lui dire, mais sans parler de lui, mon explication ne tient pas debout.

Je me triture les mains, soupire, hésite. Je ne sais pas comment aborder la chose, mais elle mérite de tout connaître. Pourtant, j’attends qu’elle réagisse, qu’elle me pousse à continue ou me force à arrêter. J’ai peur de son jugement, mais hâte de le connaître. Alors je relève les yeux, vers elle. « Je devais aider quelqu’un de la nation du feu. Je devais y retourner et leur faire croire que j’avais été votre prisonnier. C’était la seule manière de retourner dans leur bonnes grâce et de vous protéger à la fois. » Encore un demi-mensonge, pourquoi suis-je incapable de prononcer son nom ou de tout dévoiler ? Trop de murs se sont installés entre nos vies, et je vais devoir prendre le temps de les abattre, un à un, car je ne la laisserai pas repartir seule. C’est terminé. Je la veux à mes côtés. Puis je songe à Cheng, elle va devoir repartir seule, nous ne pouvons pas rester ensemble et tout lâcher. Et les larmes que je retenais coulent enfin. Amères traitresses, je me sens si seul. Je tends la main, vers elle, pour qu'elle la serre, qu'elle la prenne, qu'elle m'envoie sa force, son courage, sa rage et tout ce qui me fait défaut.

Quelle ambiance bizarre. Je n'aimais pas vraiment ça. Je ne contrôlais plus rien pour le coup, je devais attendre la vérité, sagement, en espérant sincèrement pouvoir y avoir droit après toutes ces années à vivre dans le mensonge. Silencieuse, j'observais alors cet homme, qui n'avait plus rien à voir avec celui qui m'avait craché des horreurs à la figure ce fameux soir de bataille... Il réfléchissait...

Mais cela dura seulement quelques secondes.

Au moment où il prit son inspiration pour parler, je sentis mes entrailles se nouer. Est-ce que c'était bien ce que je voulais ? De toute manière, la marche arrière était impossible. Le saut dans le vide était imminent. Et il fut... aussi atroce que plaisant.

Il avait menti. Pour moi. Pour me protéger. Le Capitaine avait compris, il avait su... Mais sa mémoire lui avait fait défaut après l'attaque. Un signe du destin, sans doute, pour me laisser dans l'ignorance. Je soupirai alors, blasée, blessée d'avoir été si couvée, mais en même temps... compréhensive... D'autant plus qu'il disait avoir fait ça pour une bonne raison.

Une raison qui concernait une personne bien vivante qui lui causait bien des tourments... J'avais bien noté sa gestuelle d'angoissé, bien connue par le passé, car il avait été ma moitié pendant quelques petites années après tout... Je percevais son mal-être, ses émotions... Mon coeur saignait et battait au rythme du sien au moment où j'attrapai sa main tendue vers moi. Ses larmes étaient si pures... Si sincères... J'avais envie de le prendre dans mes bras, pour le rassurer, pour lui dire que tout allait bien se passer... Mais ce n'était pas le moment.

Alors, je me contentai de serrer sa main avec affection, avant de m'exprimer avec la douceur qui avait toujours su être là face à lui.

"Hé... ça va aller... t'es pas tout seul Jin..."  commençai-je en essayant de capter son regard si tourmenté. " J'peux pas t'en vouloir, même si j'ai envie hein... Mais j'peux pas, parce que... j'aurais... sans doute... fait pareil si..."  

Puis... Ce fut une évidence. J'avais imaginé quelle situation m'aurait poussé à agir de la sorte, et la seule qui m'était venue en tête impliquait... Atiq.

"... C'est quelqu'un de ta famille c'est ça ? " repris-je avec sérieux. "Ils... l'ont pris en otage ? Ils... t'ont menacé ?"

J'essayais de contenir mes questions, mais... c'était bien compliqué. La colère grandissait pour cette Nation du Feu qui utilisait tous les moyens à sa disposition pour faire payer ceux qui avaient osé la fuir. Je les avais vus faire avec Taiyo, et voilà que maintenant, j'apprenais que ma moitié, l'amour de ma vie passée tant haï mais retrouvé, avait été sous doute pris au piège d'une façon toute aussi ignoble...  

Fermant alors les yeux pour laisser rouler quelques larmes de rage et de tristesse à la fois sur mes joues, je baissai la tête, abattue.

"Désolée... J'essaie juste d'comprendre..."

Je doutais pouvoir rejoindre les murs de Ba Sing Se pour fuir... Nous devions vraiment discuter avant tout, même si cela devait prendre des jours... Je m'en fichais.

Au moment où j’en ai le plus besoin, elle prend ma main et plus rien n’a d’importance. Bon sang, pourquoi est-elle encore là ? La larme que je retenais se met à couler. Je peux lâcher prise à ses côtés, parce que je sais qu’elle comprend. Si je n’ai pas tout dévoilé, j’en ai dis suffisamment pour pouvoir apaiser - légèrement - le poids que je porte sur mes épaules. Je me sens mieux, plus serein, parce que je suis compris. Elle me pardonne. Soudain, les larmes se font plus épaisses et je serre ses doigts. Elle n’a pas prononcé les mots mais c’est tout comme, si elle peut comprendre et l’accepter, c’est suffisant.

« Merci » chuchotai-je en réponse à ses mots. « Je ne pensais jamais pouvoir te dire cela, je ne pensais pas que tu puisses l’accepter, je n’en mérite pas tant. » Je ne peux pas fuir son regard, tout mon corps, tout mon être est attiré par elle. Comme un aimant et mes yeux plongent dans les siens. Elle est si belle sous cette lumière. J’inspire doucement pour calmer mes tremblement et me permet un sourire. Un léger sourire, mais qui m’enlève encore du poids.

« Oui, tu as deviné juste » commençai-je quand elle parle de la famille « mais c’est encore plus compliqué. » je détourne les yeux incapable de soutenir son regard « je ne sais pas si je peux en parler, parce que je ne comprends rien moi non plus » avouai-je en me mordant la lèvre. Comment expliquer ce qui m’est obscur ? « Je ne sais pas ce qu’il a, mais ce n'est plus lui. » finis-je par avouer en baissant les yeux. « Je t’en ai parler avant, je t’avais dit que mon frère était mort, mais en fait, il ne l’est pas et il ne ressemble plus à l’homme que j’ai connu. » Les yeux humides, je peine à dire ces mots. A admettre devant elle que je n’ai pas progressé en cinq ans, que je suis toujours au point de départ, que Cheng me reste inconnu alors qu’il était celui qui m’a élevé et appris tant de choses.

Je me pose la tête entre les mains et me laisse aller à la tritesse. « Je suis perdu Ahloy, je ne peux l’abandonner, mais je ne peux t’abandonner non plus. » Je ne la regarde toujours pas, sentant mon coeur se briser. « Il y a cinq ans, j’ai fait un choix et ce choix c’était lui. » avouai-je et la douleur reste la même. « Aujourd’hui je ne sais plus, je suis inutile, il ne retrouve pas la mémoire et toi, je t’ai tellement blessée. » L’émotion gagne mes mots et je me sens mal. Elle a le droit de m’en vouloir, mais j’ai besoin de sa force, là tout de suite. J’ai besoin de sa confiance, de son accord. « Je n’ai pas eu le temps de t’en parler parce qu’il me surveillait, je n’ai pas pu les mettre sur ta piste alors j’ai agi comme je l’ai fait, mais j’aurai voulu que tu saches depuis le début. » Ecrire des lettres me semblait trop risqué, mais j’aurai dû m’expliquer. Dès le début. C’est de ma faute, entièrement.  

Quelle vision horrible. Je ne supportais pas de le voir ainsi, je préférais quand il arborait le masque du parfait soldat de la Nation du Feu, ça ne faisait aucun doute. Il était mal, si mal, et je ne pouvais que compatir, qu'absorber sa douleur car nous étions liés, nous l'avions toujours été...  

Malheureusement, je ne pouvais qu'écouter, les dents serrées, les larmes aux yeux, en étant là pour lui, pour être son pilier. Il fallait dire que le fardeau qu'il portait sur les épaules depuis tant d'années était lourd. Très lourd. Trop lourd. Je ne comprenais rien non plus, ou plutôt, je n'imaginais pas un Maître capable d'ôter la mémoire de quelqu'un... Pourtant, il y avait bien une chose qui pouvait expliquer ça... Si je prenais notamment l'exemple de notre ancien Capitaine, qui, n'avait jamais réussi à se souvenir de ce qu'il s'était passé pendant la bataille...

Tout ça était.. trop compliqué et aussi... Trop dangereux.

"On ne bouge plus d'ici." lançai-je alors en allant prendre délicatement les mains de Jin. " Tout ce que tu viens de me dire... C'est trop dangereux, pas pour moi, non. Pour toi."Un court instant, je l'imaginai amnésique, haineux sincèrement, prêt à tout pour me tuer... Et ça me fit frissonner d'horreur. " Hors de question qu'il t'arrive la même chose, de te perdre, encore, et... tu n'es pas en état de retrouver là bas, pas cette nuit."  

Jouer la comédie était une chose, mais après toutes ces émotions, c'était pas vraiment le moment. Tant pis pour la fuite à Bison Volant... Il fallait établir un plan, un vrai. Même si ça impliquait une nouvelle séparation. Lâchant alors ses mains pour les passés dans mes cheveux afin d'ôter ce chignon bien trop serré, je soupirai, bruyamment. Bordel...

"Un choc peut tout faire oublier, l'ancien Capitaine en a été la preuve vivante, mais il n'a pas vécu assez longtemps pour la r'trouver..." commençai-je d'une voix lointaine, avant de reprendre en posant mes yeux sur l'homme que j'aimais. "Tu ne peux pas y arriver tout seul... Tu ne peux pas continuer à t'en vouloir pour moi comme ça... Maintenant que j'sais tout... J't'en veux pas, et même si j'voudrais, j'pourrais pas."

Ma voix avait fini par trembler, parce que je ne me voyais plus vivre sans lui, parce que je voulais l'aider à porter son fardeau... J'en étais capable, je pouvais chercher là où il ne pouvait pas. Alors, à nouveau, j'allai trouver sa main avec douceur, pour le rassurer, pour me rassurer.

" Il faut.. que tu continues, à te battre... Je peux essayer d'enquêter de mon côté... Je suis libre, non surveillée, et... tu sais que nous avons des contacts dans tout Ya Tai..." expliquai-je avec la ferme intention de répliquer s'il souhaitait me mettre hors jeu une deuxième fois. "Je ne te laisserai pas mener cette bataille seul, Jin... tu le sais."  

Même si je devais en souffrir, je m'en fichais. J'avais déjà bien assez souffert comme ça.

Ma main dans la sienne est à sa place. Je suis entier avec elle à mes côtés et je respire mieux. Mais j'évite de songer à la suite, à ce qu'il va se passer, à comment on peut s'en sortir, car je ne vois aucune solution. Dans aucun monde nous ne pouvons être heureux ensemble, tant que mon frère est ce qu'il est. Et ses mots sont d'un réconfort ! Elle reste. Elle est là. Pour de vrai.

Puis je me rappelle tout ce que je ne voulais pas : ça. Justement. Il ne faut pas qu'elle soit là, il ne faut pas qu'elle sacrifie ce qu'elle est, ce qu'elle aime et ce qu'elle fait (son bateau) pour moi. C'est mal. Or, elle ne peut faire les deux. Elle doit me laisser partir, mais je n'ai pas le courage de lui demander. Mon coeur tambourine contre ma poitrine. Je soupire, me triture le cerveau, j'ai envie de pleurer, mais je dois le faire. « J'étais certain que tu dirais cela, c'est pour ça que je ne t'ai pas laissé le choix la première fois. » Parce qu'elle est bonne, elle est juste, parce qu'elle veut le bien. Je ne mérite pas son attention, je le sais. « Merci » soufflai-je tout de même quand elle dit qu'elle ne m'en veut pas, même si elle le voulait. C'est presque un pardon. J'ai envie de poser mes lèvres sur son front, avec douceur, d'abord, parce que je ne suis pas certain que son coeur brûle de me voir l'embrasser, alors je me retiens, mais j'en crève d'envie.

« Je vais continuer à me battre, mais Ahloy, je peux pas te demander ça. » Je lève ma main libre entre nous pour lui demander d'attendre avant de parler, de contester, de refuser. Je sais bien qu'elle va le faire, juste, elle doit attendre. « Je dois retourner là-bas, pas ce soir, en effet, mais je le dois. Je dois gagner leur confiance, je dois arrêter ce que je peux arrêter. Sauver mon frère, c'est sûr, mais... ne puis-je pas faire plus ? »  Elle doit comprendre que je parle de la guerre, de risquer ma vie pour que toutes les autres soient libres. Car, si j'arrive pas bouger les choses de l'intérieur, peut être que le reste du monde aura une chance. Ce n'est pas un sacrifice pour me mousser ou me rendre important, mais maintenant que je suis pardonné, j'ai le coeur prêt à l'ouvrage. Elle mérite une vie belle et heureuse, mais je ne peux lui offrir. « Et toi, sans le capitaine, j'imagine que tu commandes. Tu ne peux pas laisser le Cursed Lotus, tu le sais. » Je pose ma main sur sa joue, pour la caresser, légèrement. Mon coeur se brise et une larme coule sur ma propre joue. « Ahloy, je ne vivais que pour toi, mais je crois que je dois agir pour de vrai maintenant. Le monde va mal, nous devons tous faire ce qui est en notre pouvoir. » Un frisson de terreur me parcourt, je sais la vie qui m'attend là-bas si je suis découvert, mias je dois tenter, tout tenter.

Nous ne repartirions pas ensemble, je le savais au plus profond de mon être, et étrangement, je l'acceptais, même si ça me faisait mal. Je comprenais ses mots, son combat, son fardeau... J'avais conscience qu'il ne serait jamais en paix tant que le mystère de son frère ne serait pas élucidé... C'était dangereux, ça ne me plaisait pas de le laisser à nouveau seul avec ses démons au coeur d'une Nation qui n'aurait aucune pitié à son égard en cas de découverte de ses véritables intentions... Mais que pouvais-je faire d'autre ?

Posant alors ma main sur sa joue pour en essuyer une larme d'un revers de pouce, je souris, tristement...

"N'dis pas que tu vivais pour moi... On était juste dans notre bulle... Sans doute trop naïfs face à un monde comme le notre non ? Mais.. J'comprends... Et sache que... tu n'es pas seul Jin... Tu ne l'as jamais été..."

Je l'avais tant haï, pourtant, l'ancienne Ahloy, elle, avait toujours cru en son innocence, même si j'avais fait en sorte de la faire taire définitivement.

"Il vaudrait mieux que tu partes demain alors... Ce serait trop dangereux cette nuit, t'as pas l'esprit clair... "

Retourner dans l'arène en étant si à découvert signerait son arrêt de mort, je n'étais pas idiote. Il était donc hors de question de sortir de ce fichu salon de thé. De plus, il y avait des couchages au niveau de l'arrière boutique, une installation ingénieuse, et étrange, faite par la propriétaire qui m'avait tant aidée ces dernières semaines.

"Tu peux te reposer ici, ça ne craint pas... Et tu repartiras... ça... te va ?" lui demandai-je alors en gardant sa main dans la mienne.

Je ne comptais pas rester, même si ça me faisait mal de l'avouer... Toutefois, plus nous resterions ensemble et plus la séparation allait être compliquée, surtout après cette discussion qui venait d'éclairer toutes les zones d'ombres qui l'avaient entouré. Alors, je ravalai ma salive, difficilement, puis tentai de chasser les larmes qui venaient me brouiller la vue, en rompant douloureusement le contact.

"Je vais.. te laisser, c'est mieux..." commençai-je d'une voix tremblante. " Merci, pour avoir été franc, et pour cette vérité... Je..."

C'était dur, trop dur... Alors ma voix s'évanouit, simplement, alors que mon regard larmoyant débordait de paroles silencieuses. Je devais partir, c'était comme ça. Mais avant de disparaître par la porte de derrière, je voulais graver en ma mémoire, le nouveau visage de l'homme qui faisait battre mon coeur comme jamais.

Nos larmes nous rendent plus réels, plus vrais. Pourtant, ça rend tout plus compliqué, car maintenant il n'y a plus de barrières entre nous, plus la moindre possibilité de se réfugier derrière des murs hautement protégés que nous avions construits, chacun de notre côtés, pendant des années. Malgré tout ça, nous allons devoir nous séparer, chacun de notre côté. Même si, jusqu'à la fin, je voulais faire l'autruche et je ne pas le voir en face, maintenant je n'ai plus le choix. Et je ne peux pas la voir partir, je refuse. Mon coeur se brisera une fois de plus car je ne suis pas certain de la revoir.

Et si je meurs en tentant le diable ? Et si elle meurt en régnant sur les mers ? Et si l'un de nous se fait emprisonner sans que l'autre le sache ? Va-t-elle parler de moi aux autres pirates, vont-ils me pardonner ?  Et s'il m'arrivait quelque chose, qui la préviendra ? Pourtant, je dois y aller. Elle le sait comme je le sais.

« Merci Ahloy, pour tout. » J'ai envie de continuer de lui parler, d'amour, de confiance, mais j'ai peur que ce soit de trop. Elle lit tout cela dans mes yeux en réalité. « Je n'aurai pas pu continuer sans toi, je suis heureux de te savoir en bonne santé et bien entourée. » C'est sincère. La savoir en vie et prête pour la suite m'aide considérablement. Et quoiqu'elle en dise, c'est pour elle que je le fais. Je n'ai jamais adopté les causes plus justes, il n'y a qu'elle.

Mais quand elle fait signe de partir, je ne peux pas la laisser faire. Je le refuse. Je tends la main. « Reste » la suppliai-je. Mon regard fixe le sien. « Juste pour dormir, s'il te plaît. Ne pars pas tout de suite. »

Elle va s'enfuir pendant la nuit, j'en ai conscience, mais pas tout de suite. Que nous restons ensemble, comme si ... je soupire. Comme avant, bien sûr, mais plus rien ne sera comme avant. Je n'ai pas le droit de lui demander ça, ce n'est pas juste, mais j'en ai besoin.

Un besoin viscéral, même si je comprendrais qu'elle refuse.

Je me voyais déjà loin, dans les rues, à errer, à réfléchir, à retenir mes larmes... Parce que c'était comme ça, parce que nous ne pouvions pas être ensemble, pas dans l'immédiat. Bordel, ça me faisait mal, tellement mal, que lorsque je l'entendis me demander de rester, la main tendue vers moi, je ne pus m'empêcher de serrer les dents, en laissant les larmes couler sur mes joues. Ce n'était pas possible... La douleur serait proportionnelle au temps passé tous les deux, je le savais...

"Jin..."

Ma tête faisait non, alors que mon coeur hurlait un oui immense dans mon esprit. Partagée, ne sachant pas si c'était bien raisonnable de saisir cette chance incroyable d'être enfin réunis, je restai là, à lutter contre les sanglots imminents et douloureux.

"Ce sera pire... si... on ne se sépare pas... je..."

J'étais faible, si faible... Est-ce que j'allais être capable de surmonter une nouvelle séparation, sans avoir connu à nouveau la chaleur de ses bras ou encore la douceur d'un simple baiser ? Et puis, je percevais sa douleur, la même que la mienne, face à cette nouvelle croisée des chemins... Je ne pouvais pas partir, non... C'était au dessus de mes forces.

Alors contre toute attente, j'attrapai sa main, puis, me jetai dans ses bras pour y pleurer de toute mon âme.

"J'suis désolée , j'peux pas partir... j'suis désolée."

Ce constat, cette bouffée d'air frais alors que mes sanglots m'étranglaient... Je m'agrippai, à ses épaules, la tête enfouie sur son torse, par peur de le voir disparaître, par crainte de ne plus jamais le revoir sans avoir retrouver ce semblant de bonheur qui me rappelait l'homme qu'il avait toujours été... Mon amant, mon fiancé, ma moitié...  

Peu m'importait le temps, je ne voulais plus bouger... Rester là, à ses côtés, à retrouver cette énergie qui s'était éteinte lors de cet affrontement sanglant qui m'avait brisé le coeur, à rêver, à ne plus penser à cette triste réalité qui allait nous pousser à faire route chacun de son côté... Il n'y avait plus de Ya Tai, ni de Nations, ou encore de guerre... Il n'y avait plus de frère, des navires, de souvenirs douloureux et de plans suicidaires... Nous étions que tous les deux... Enfin...

Après toutes ces années...

Je ne sais pas combien de temps nous restons dans les bras l’un de l’autre. Sa tête contre mon torse, enfin revenue à sa juste place, ses larmes qui mouillent ma tunique, ses mains qui serrent les miennes, mes larmes qui mouillent ses cheveux, me font un bien fou. Peu à peu, nos coeurs battent à l’unisson, de façon plus raisonnable. Nous retrouvons ce que nous étions, un roc l’un pour l’autre, un havre, un abri contre la tempête. Ensemble, nous étions capable de tout, mais il n’est plus question de guerre ou de monde extérieur, juste de nous. Et de notre place dans cette bulle qui nous coupe du monde.

Les secondes se transforment en minutes, puis en heure. Je pourrais rester assis là en la tenant dans mes bras encore longtemps, mais j’ai envie de confort. « Allez viens. » Et, comme si notre histoire n’était rien d’autre qu’une histoire d’amour, je la prends dans mes bras et la porte comme une jeune mariée version lit nuptial. Evidemment, ce ne sera pas ça ce soir, ou peut être si, mais je n’imposerais rien. J’en rêve, de la sentir à nouveau sur moi, de partager sa sueur, sa chaleur, mais je ne souffle rien. Je la porte juste pour atteindre le lit. Je me débarrasse de mes chaussures puis je la jette sur le lit, avec un léger éclat de rire. Pour combattre ces larmes, pour nous faire croire que la vie nous attend et que ce n’est rien d’autre qu’une soirée comme les autres. Je m’allonge à côté d’elle et l’embrasse doucement sur le front.

J’ai peur que, si je m’empare de ses lèvres, elle lise le feu qui se répand en moi, alors je passe un bras sous sa tête pour qu’elle puisse se poser contre mon torse et être à l’abri de mes baisers. « Merci d’être restée Ahloy. » Ce prénom qui veut dire mon amour, ma fiancée, ma tante aimée, ma bien aimée, ce prénom qui illumine ma vie, qui vit au-delà de moi et que j’aime tant. « J’ai pas envie de revenir à la réalité, tu peux me parler du navire ? D’eux ? » Juste pour faire comme si de rien n’était et qu’ils savourent cette soirée, cette nuit, ensemble, à deux. Qu’ils se perdent dans les souvenirs et dans ceux auxquels il est totalement étrangers, mais qu’il souhaite connaître. Cet équipage qu’il a tant aimé et qui doit le haïr. Mais, pour une nuit, il veut faire comme s’il n’était jamais parti.

Le monde si cruel était devenu d'une douceur étrangère. Le contact, si longtemps repoussé par crainte de l'effondrement, perdura, comme si le sablier du temps avait décidé de se figer, pour nous laisser nous etrouver enfin. Alors, je me laissai porter, comme une mariée, ce qui m'arracha un rire entre deux reniflements bruyants, un rire qui n'était plus sorti de ma bouche depuis des années.  Et celui-ci redoubla d'intensité lorsque je fus balancée comme un vieux sac à patates sur le lit. J'avais l'impression de rajeunir, d'oublier mes soucis, mon fardeau, tout...

Alors je finis à nouveau dans ses bras, la tête sur son torse, comme nous avions eu toujours eu l'habitude de faire lors de nos longues discussions nocturnes... Un court instant, je fermai les yeux, pour écouter son coeur battre au rythme du mien, un sourire idiot sur les lèvres... J'avais l'impression de rêver... Tout simplement.  

Puis, une question finit par franchir les lèvres de Jin, à propos du navire, cette famille qu'il avait du laisser derrière lui à cause de tout ça... Le Cursed Lotus... Ce navire que j'avais laissé pour ma convalescence, ce bateau qui était ma maison et qui se trouvait entre les mains de mon bras droit...  

"Tous les autres vont bien, enfin... Le Capitaine est mort peu de temps après ton départ finalement..." soupirai-je avant de reprendre rapidement en levant la tête vers mon amant. "Tu sais, sa maladie à la con, avec son âge et son vécu, rien à voir avec... ce soir-là..." Non il avait déjà eu des soucis bien avant, Jin devait s'en souvenir... "Tibuo est toujours là, fidèle au poste, il y a eu des nouvelles recrues aussi... J'espère juste que personne ne s'est entretué car ça fait depuis..." Trop de temps. "la mort de Meixing... j'ai cru que j'étais morte aussi..."

Ma voix s'étrangla, me rappelant alors la douleur de cette blessure horrible qui m'avait privée de ma voix pendant quelques jours. J'avais perdu une soeur... une amie... Mais ce n'était pas le moment sombrer, j'avais réussi à me relever, et je ne voulais en aucun cas plonger l'homme que j'aimais dans un état de tristesse profonde. Il était temps de partir sur une note plus joyeuse.

" Enfin... j'ai une personne sur qui compter, une personne qui m'a sauvée la vie il y a des années, tu sais, le gamin dont je t'avais parlé ? On l'a... ramené littéralement à la vie en retour... J'lui fais amplement confiance, même s'il se chamaille de temps en temps avec sa... copine de chamaillerie ? Ahahah ! Ils sont rigolos, enfin, moi ça m'fait rire, et... je veille sur ce p'tit monde..."

Ils étaient tous ma famille, à tel point que parfois, j'avais l'impression d'être une mère avec une ribambelle de gamins à surveiller...

"Tu m'as manquée t'sais..." avouai-je alors en enfouissant ma tête dans son épaule pour aller y ressuyer de nouvelles larmes et en allant chercher sa main libre pour l'enfermer dans une des miennes.

Beaucoup d'événements s'étaient enchaînés, tellement vite que j'en avais la tête qui tournait... Mais je ne voulais en aucun cas que cette nuit passe trop rapidement... Je voulais en savourer chaque moment, pour la graver à jamais dans mon esprit.

Les mots coulent, avec émotions, avec passion. Ahloy est vraiment la maman de ce vaisseau, ça se sent quand elle en parle. Je reconnais les noms, j’apprends avec tristesse la mort de deux personnes que j’estimais, mais Ahloy est bien trop bonne de me rassurer, ce n’est pas ma faute. Evidemment, je m’en sens coupable malgré tout. « Je me souviens de ce gamin et… à mon retour ici, je crois que j’ai découvert quelque chose. Un souvenir enfoui, diffus, pas vraiment concret, mais ça pourrait coller. » Ce souvenir me fait honte, mais je ne veux plus rien lui cacher, jamais. Puis elle se doute bien de qui j’étais. Elle m’a vue et soupçonnée, directement à mon arrivée. « Je crois que j’avais eu affaire à lui, quand il vous avait libéré. » Je n’étais qu’un jeune soldat, con et arrogant, persuadé d’avoir raison. « Je m’étais moqué de lui, mais quelle tête à claque, si tu savais ! » Je rigole doucement. Sur le coup, je n’avais pas ri, il m’avait fait sortir de mes gongs. « Il était si doué, ses regards, ses mots, il m’avait rendu misérable. J’avais seize ans, lui pas plus de douze… Et il m’avait déjà vaincu. » Je cache un petit rire. « Je l’avais détesté, évidemment, je l’avais menacé, mais aujourd’hui, je le comprends. Il avait raison, et j’avais tort. C’est pour ça que ça me touchait autant. Personne n’aime admettre qu’il a tort. » Je ferme les yeux et je revois son visage. Je me souviens pas de son nom, je doute même qu’il en avait un. C’était un prisonnier, un gamin infernal, personne ne l’appelait autrement. Le pauvre. Tellement de chose allaient mal dans ma nation, dès le début, j’avais tout sous les yeux et … j’ai préféré les fermer.

Heureusement, ils ont fini par s’ouvrir, grâce à Cheng, grâce au Capitaine, grâce à Ahloy.

Je serre ses doigts autant qu’elle serre les miens. Nous avons besoin de cette nuit, l’un autant que l’autre. Je respire mieux à ses côtés, plus intensément, plus profondément. Je souris aussi. Bien plus que je n’ai souri en quatre ans. « Je n’ai pensé qu’à toi pendant ces quatre années. Je ne sais pas si tu as eu conscience de ma joie lors de cette soirée masquée à Hikyo, c’était si bon de te revoir. Même si tu me méprisais et haïssait, tu étais en vie. » On en a jamais reparlé, c’est normal, mais n’est-ce pas la soirée parfaite pour ça ? Je la revois avec ses pâtisseries, avec ses mots violents. Et bon sang, les miens l’étaient encore plus. C’était faux, bien sûr, j’espère qu’elle comprend maintenant.


D’un geste doux, je caresse sa joue de mon pouce. J’essuie ses larmes s’il y en a. Je la serre contre moi. « Je t’aime Ahloy » soufflai-je. Ces mots n’ont jamais cessé de battre dans mon coeur, n’ont jamais cessé d’être vivant et présent. Et je crains que si je ne le dise pas aujourd’hui, ce soit trop tard. Elle sait, bien sûr, elle le sait.

Mon coeur déborde, bondit, jaillit. Je l’aime. Evidemment que je l’aime.  

Je n'avais jamais cru au destin. C'était de la connerie. Pure et dure. Et pourtant, lorsque j'entendis le récit de Jin, je compris qu'il s'agissait de Taiyo, et j'en restai... sans voix. Celui que je considérais comme un frère avait participé à changer l'homme que j'avais sous le yeux... Il avait été le déclic, après m'avoir sauvée... C'était fou, complètement dingue même. Comme quoi, il existait sûrement une force supérieure, des destins liés, des âmes soeurs... A cet instant, toute ma mentalité fut remise en question. Le hasard n'avait pas sa place dans ma vie, à croire que tout avait été méticuleusement programmé.

Mais je n'eus pas vraiment le temps de mentionner mon nouveau bras droit, ou encore mes pensées... Car l'homme que j'aimais me chamboula à nouveau.

Sans voix, je l'écoutais, le coeur battant, réfrénant l'envie de poser mes lèvres sur les siennes, par crainte, par peur de me réveiller de ce doux rêve... Mais non, ce n'était pas un vieux songe. Tout était bien réel. Et sa déclaration vint me tirer des larmes, de bonheur... bordel... de bonheur.

Alors sans hésiter, je me relevai, pour aller poser mes mains le long de son visage, pour l'observer, lui qui venait d'essuyer les perles salées de mes joues...

"Je t'aime aussi, Shao Jin."

Déclaration profonde, intense, suivie par un baiser, enfin, après toutes ces années, après toutes ces péripéties douloureuses. Je me laissai entraîner, par ce sentiment si beau qu'était l'amour, parce qu'à présent, c'est tout ce qui comptait...

La nuit était à nous.. Et rien qu'à nous à présent.