Les deux premières années de mon retour à la capitale, je n’ai pas eu la moindre liberté. Constamment surveillé par mon père ou un autre soldat, je ne pouvais même pas aller pisser sans être observé. Puis, petit à petit, mon père a relâché la bride. Oh, si peu que je la sentais autour de mon cou. Son regard jugeur me faisait froid dans le dos et l’air de suspicion m’empêchait de respirer, mais j’ai tenu bon. Uniquement pour mon frère, je l’avoue sans la moindre honte. Je n’ai plus aucune envie d’être ce soldat cruel de la nation du feu qui ne cherche qu’à assoir son emprise sur le monde, oh non. Seulement, pour tenter de comprendre ce que mon frère a subit, je dois y aller doucement et avec prudence.

Alors, lorsqu’au bout de seulement trois ans de plus mon père m’a fournit un aller retour pour le royaume de la Terre sous le couvert d’une mission d’infiltration, je n’y ai pas cru mes yeux. Ni mes oreilles d’ailleurs. Etait-ce un cadeau ou l’ultime épreuve ? Je jubilais d’impatience de pouvoir montrer que j’étais digne de confiance. Afin de pouvoir mieux lui enfoncer un poignard dans le dos, comme il le mérite. Je soupire encore à cette idée, je serais totalement incapable de tuer mon paternel, c’est une évidence.

D’un geste habile, je refais ma queue de guerrier et réajuste mon uniforme. Je suis heureux de quitter le rouge éclatant de l’armée pour une couleur plus neutre, mais j’avoue que les vêtements du royaume de la Terre sont moins confortable que ceux que j’ai l’habitude de porter. Enfin, ils sont sûrement juste différent, je m’y habituerai. Et je monte sur la proue du navire. J’admire l’horizon, les vagues, le roulis de l’eau contre le bois du navire et je souris. Un vrai sourire sincère et profond. Ce n’est pas le magnifique bâtiment sur lequel j’avais l’habitude de voyager avec les pirates, mais c’est ce qui s’en reproche le plus depuis six ans. Presque sept. Je remplis mon coeur des bons souvenirs plutôt que de ma trahison pour tenter de rester optimiste.

« Hey bien, c’est un soldat heureux de partir en mission suicidaire que je vois là »

Je redresse la tête et me mets en position pour faire face à mon supérieur. Que puis-je faire de plus ? Acquiescer, sûrement, mais certainement pas avouer ce que j’ai dans l’esprit.

« Servir ma nation est ma fierté, commandant. » répliquai-je en bon perroquet.

Il se permet un signe de tête, puis s’éloigne de moi, rapidement. Les termes me restent en tête, mission suicidaire, mon père m’envoie-t-il mourir ? Tant pis, j’y suis maintenant, je dois faire de mon mieux pour revenir entier et gagner leur confiance à tous.

Quelques jours plus tard, je descends à bord d’une petite barque pour rejoindre un petit village portuaire de la côte avant de me mettre en route à pied. Je dois entrer dans Ba Sing Se comme un pèlerin fatigué et je le serais sûrement réellement.

Pour entrer à Ba Sing Se, il faut subir de nombreux contrôles et je m’en sors plutôt bien puisqu’il ne me faut qu’une semaine avant d’atteindre les petits wagonnet pour franchir les hautes murailles de la ville. Evidemment, je ne puis accéder aux parties inférieur de la ville, n’ayant pas le statut social supérieur avec mon déguisement de réfugié, mais, c’est déjà mieux que rien.


Fatigué par ces longs jours d’attente, je me réfugie dans un salon de thé pour me reposer. La chaleur évidente qui se dégage de la tasse me réchauffe bien plus que tout le reste et je bois avec un plaisir évident, jusqu’à ce qu’une voix me fasse lever la tête. Je regarde le comptoir, en me demandant si je rêve pas totalement.

Ba Sing Se. Comme une évidence. Capitale du Royaume de la Terre si souvent visitée ces derniers mois, comme pour essayer de me préparer au pire. Une rencontre inattendue pour une amitié importante, une fête du Nouvel An Lunaire mémorable, dans tous les sens du terme, et voilà que j’ai encore là, dans cette ville qui était à l’opposé de mon élément de prédilection, et dans un état des plus déplorables…

Ma mémoire n’était plus vraiment ce qu’elle était depuis la fête… En réalité, je me souvenais de notre retour au bateau après quelques petits jours, puis du parchemin, celui qui allait sceller notre destin à tous. Meixing avait quitté Ba Sing le soir des festivités pour tomber sur un véritable guêpier. Pourquoi ? Comment ? Aucune information, juste un lieu de rendez-vous, comme une ultime provocation. Des directives données à Taiyo, “s’il m’arrive quelque chose, prends ma place, tu peux aussi compter sur Rajni, et aussi Raya.” , puis un départ, si près des côtes de la Terre pour tenter de récupérer celle qui était mon bras droit. Des soldats du Feu ? Si près de leur ennemi ? C’était bizarre, un peu suicidaire… Sous doute un escadron spécifique ? Bref, aucune envie de savoir à ce moment. Je n’avais pensé qu’à elle, à Meixing… Prisonnière dans cette grotte camouflée, entourée par l’ennemi, et des barils de poudre. Ils avaient voulu notre peau… Ce qu’ils avaient… presque eu.  

L’explosion, les hurlements, cette fureur incontrôlée, le goût du sang, l’odeur pénible de la poudre enflammé, une douleur insoutenable sur mon flanc gauche, puis, le coup de trop, au niveau de ma gorge, ouverture fine à la beauté mortelle avant de sombrer, le goût du liquide précieux dans la bouche, prête à rejoindre le monde des esprits… Puis des formes, étrangères, nouvelles, étaient intervenues pour nous sauver la mise… Et le néant. Un putain de néant.  

Le réveil à Ba Sing Se avait été… un calvaire. Impossibilité pour moi de parler, j’avais survécu au tranchant qui avait marqué ma gorge, impossibilité de bouger aussi à cause de l’autre blessure, mais aussi impossibilité de réfléchir, car une seule image me hantait.

Meixing était morte. Elle n’avait pas pu survivre… C’était impossible. Je la voyais, encore, et encore, disparaître dans l’explosion, étouffée par l’éboulement… Les larmes coulaient, sans cesse, je n’arrivais plus à garder la tête haute, non, j’étais au sol, à terre, abattue. De toute manière, je n’étais pas en état, et d’ailleurs, je n’arrivais même pas à comprendre comment j’avais pu atterrir à Ba Sing Se.

“On t’a amenée ici…” m’avait-dit cette amie qui portait le prénom de Wang Lin. Elle m’avait déjà tendue la main lors de ma sortie du Monde des Esprits, j’étais restée un moment auprès de cette femme d’une quarantaine d’années aussi douce que mystérieuse. Nous avions beaucoup parlé, mais au final, je m’étais rendue compte que je ne savais pas vraiment qu’elle était son métier. Est-ce que ça avait son importance ? Pas vraiment. De toute manière, plus rien n’avait vraiment d’importance depuis que j’avais su que mon équipage avait réussi à s’en sortir… Ils étaient en vie, je correspondais par rouleau, Taiyo se chargeait de la direction, et moi, je restais là, à attendre de guérir, hantée par les cauchemars…

Je ne savais pas combien de jours s’étaient écoulés depuis mon arrivée en convalescence. En tout ças, je pouvais me lever, envolée le statut d’éclopée, et ma voix était revenue depuis quelques jours, lentement mais sûrement. Pour éviter d’avoir des soucis, Wang Lin m’avait présentée comme étant sa jeune sœur qui avait réussi à survivre à une attaque de la Nation du feu pour expliquer mon état. J’avais alors pris la bienveillance du Royaume de la Terre en pleine figure, un baume pour mon âme perdue… Je n’aimais pas ça, être faible, et pourtant, j’avais fini par me faire à ce bandage autour de mon cou, j’avais réussi à me faire à cette voix que je devais garder douce pour éviter de souffrir, j’avais réussi à m’intégrer… Une vraie victoire… Au moins une…

Ainsi, je marchais telle une âme en peine vers le salon de thé qui commençait à me connaître. Non parce que j’étais soudainement devenue sociable, non, j’allais là-bas pour les bienfaits des breuvages. La gorge, les cauchemars incessants, cette angoisse constante qui me clouait au sol, tout allait bien mieux avec un bon thé entre les mains. Vêtue comme une habitante lambda du quartiers, les cheveux encore une fois devenus plus courts et tressées avec quelques perles encore visibles comme pour renvoyer à cette vie qui n’était plus la mienne depuis la disparition de Meixing, j’avançais dans la boutique, d’un pas léger mais décidé.  

“Ohhh… Comment vas-tu ma grande ?Et Lin ?”

L’éternelle question à laquelle j’avais envie de répondre “non"… Mais finalement, un petit sourire se dessina sur mes lèvres à la vue du vieil homme qui me connaissait bien.

“On fait aller, ça va, ça va.”

Un petit foulard ornait mon cou pour cacher un peu ce bandage que j’avais du mal à assumer, pourtant, je ne pouvais m’empêcher d’y penser en entendant ma voix… Si calme, si douce, à croire qu’elle avait un bond de dix années en arrière. Mais voilà, je n’avais pas le choix, la douleur allait me rappeler à l’ordre à la moindre hausse de ton. Une faiblesse. Encore une.  Comme si le fait d’avoir un faciès fatigué ne suffisait pas.

“Comme d’habitude ?”
“Oui, oui.. Tenez, merci… .” articulai-je lentement en tendant la main.

Les sachets de thé, tout préparés, comme chaque premier jour de la semaine, et voilà que j’étais prête à retrouver l’extérieur pour une marche en solitaire. Je pivotai alors, innocemment, sans me douter un seul instant qu’un nouveau coup me serait porté.

Je l’aurais reconnu entre mille, même sous un autre uniforme. Il avait été mon tout, ma moitié, mon monde, à une époque révolue qui me donnait l’impression d’avoir vécu des centaines de vies entre-temps. Mon souffle se coupa, mes mains laissèrent alors tomber ma commande… Non, je n’étais pas prête pour ça… Et que faisait-il ici d’ailleurs ? Je ne pouvais ni crier, ni agir… J’étais… tétanisée, perdue dans son regard, trop de pensées à l’esprit.

“Hé… ça va va ? Vous voulez vous asseoir ?”

La voix était lointaine du vieil homme qui m'avait servi, un écho qui me rappelait Hikyo… Même situation, même discours… Je voulais que ça s’arrête… Je n’en pouvais plus… Le voir encore, et toujours, était bien trop éprouvant.

Il fallait que ça s'arrête...

Le salon de thé semble accueillant, chaleureux. L’ambiance est douce, plaisante. Et même si je suis rompu de fatigue et que ma mission n’est pas des plus agréables à réaliser, je peux prendre ces quelques instants de pause. La tasse tout juste fumante, je me régale de la chaleur et chasse de mon esprit toutes les pensées parasites, profitant purement et simplement de l’instant.

C’était sans compter le destin, l’univers, ou le chaos peut être. Je n’ai pas cette chance de vivre une vie sans incident, car elle est devant moi. Elle, la femme de ma vie, l’amour de mes nuits, tous mes rêves les plus fous et… mes cauchemars aussi. Parce qu’elle me hait, de tout son corps, de tout son coeur, de toute son âme et parce qu’elle ne me pardonnera jamais. Et ça, quoique je fasse, quoique je dise. A part ma mort, peut être. Et encore, elle pourra enfin me haïr en paix. Je tente de rester impassible, de ne pas faire apparaître la moindre réaction sur mon visage, mais mon coeur bat la chamade et l’envie de courir dans ses bras est si forte. Sauf que je ne peux pas. Ni faire d’esclandre, ni tenter un pardon. C’est trop tôt, beaucoup trop tôt.

Et, si je crois être seul sur cette mission, je ne suis jamais sûr. Mon père n’a pas réellement confiance en moi et je ne suis pas certain du but de cette mission. La seule chose qui m’importe, c’est de la réussir et de leur montrer à tous que je suis le bon soldat qu’ils attendent. Mais cela n’a jamais été aussi dur de mentir qu’en ce moment où j’ai juste envie de courir ramasser la tasse qu’elle vient de lâcher. Ramasser les morceaux brisés de son coeur et les chérir comme elle le mérite.

Seulement, j’ai vu l’éclat de ses yeux. J’ai vu la panique. Or, Ahloy est forte, fière, douée, intelligente. Elle n’est pas faible, elle ne panique pas, elle ne perd pas le contrôle. Je comprends à cet instant tout le mal que je lui ai fait. Parce que, si me voir la met dans une telle situation. Je détourne le regard, je ne peux pas l’avoir sous mes yeux. Je ne peux pas. Mon poing se serre et chauffe. Je sens la rage, la colère, la haine envers moi-même monter. Envers ma nation aussi. Envers la guerre et le monde entier. Quand je soupire, mon souffle est chaud, brûlant même. Je me lève brutalement, pour m’enfuir d’ici avant qu’il ne soit trop tard, avant que je ne commette l’irréparable.

« Monsieur ? »

La même voix inquiète qui avait interpelé Ahloy s’adresse à moi, maintenant. Que vais-je pouvoir dire ?

Je laisse un semblant de sourire s’inscrire sur mon visage

« Oui ? 
- Il faut payer avant de partir. »

J’écarquille les yeux, stupéfait de ma propre idiotie, stupéfait de ne point y avoir songé. Et maintenant, je vais devoir passer devant toute la salle. Et cela ne pourrait être qu’un détail inintéressant, mais je vais devoir passer devant elle. Ahloy, brisé par ma faute. J’espère me tromper, j’espère me dire qu’elle a vécu quelque chose d’affreux.. Non, en réalité, je n’espère pas cela non plus. Je veux juste qu’elle redevienne l’amante qu’elle était, la jeune femme extraordinaire, plein de vie, souriante, forte, captivante.

Quand je passe à côté d’elle je ne peux m’empêcher de la regarder. Et de voir tout ce qui me manque, de sentir son odeur, maritime, salée, pleine de vie.

Impossible de ne pas réagir, impossible de passer sans rien dire. J’ai voulu fuir et la réalité m’a rattrapé bien trop vite. Je m’arrête face à elle.

« Vous ne vous êtes pas brûlé ? » demandai-je maladroitement.


Si tout était différent, je suis certain que j’aurai eu droit à un jeu de mot ou une blague sur le fait que je suis un pyromancien, mais nous ne sommes que deux ancien amants brisés par la vie.

Je sors quelques pièces et les tends au propriétaire du salon de thé.

« Mon thé et un autre pour la jeune femme. » lançai-je en évitant de la regarder. Après tout, c'est de ma faute si le premier s’est renversé. « Et si elle ne veut pas de mon argent, gardez-le pour remplacer la tasse brisé. »

Parce que je suis certain qu'elle ne l'acceptera pas, qu'elle n'acceptera plus jamais rien venant de moi. Et, si j'étais honnête, je reconnaîtrais que dans le cas inverse, j'agirai tout comme elle.

Maintenant, il ne me reste plus qu’à décider quoi faire. Fuir et quitter la ville à tout jamais, abandonner la mission et rentrer la queue entre les jambes. Assumer ma mission, mais l’ignorer, changement de déguisement, me couper les cheveux ou mettre une perruque, tout mais ne plus être perturbé par elle. Ou, le pire et le plus tentant, l’attendre au dehors pour tenter de lui parler. Même une engueulade me plairait, tout sauf ce silence. Passer quelques secondes avec elle, juste pour me rappeler combien la vie était parfaite avant que la nation du feu - nation tant haïe - me reprenne tout.

Evidemment, je n’hésite pas longtemps. Je n’ai jamais été raisonnable. Ni totalement lâche.

« Au revoir et bonne journée. » m’exclamai-je d’une voix rauque et mal habile.

Seulement, mes pas n’arrivent pas à me guider vers l’extérieur, je n’arrive pas à lâcher du regard cette tasse brisé, éparpillée sur le sol. D’ailleurs, j’ai l’impression que les morceaux forment quelque chose, est-ce un message ? ou un présage ? ou encore une menace ? Je détache soudain les yeux pour partir, car je fabule, j’invente et j’espère. Et c’est dangereux. Pour moi, comme pour elle. Je le sais, j’aurai du mettre à frein total à mon amour pour elle, rien de bon ne peut plus nous arriver. Mon frère n’est pas sauvé, le bateau est constamment surveillé et en danger, elle me hait. Tout nous sépare, la vie, nos nations, le monde. Et je dois cesser d’être heureux en la voyant, car elle mérite de passer à autre chose et de pouvoir me haïr en paix. Soudain, je me demande si elle a quelqu’un dans sa vie et cette remarque me confirme que je ne suis pas prêt à passer à autre chose.

Il avait détourné le regard. Une première. Qu’est-ce que ça voulait dire ? Perdue, ne sachant pas trop quoi penser ou encore comment réagir, je restais là, tel un fantôme, à attendre que le monde s’agite autour de moi sans bouger d’un pouce. Les mots entraient par une oreille et ressortaient par l’autre alors que je fixais intensément le vide… Je devais me calmer, sinon je n’allais pas tenir, je le sentais, je n’étais pas au meilleur de ma forme. Mais je n’y arrivais pas. Pour la simple et bonne raison que je ne comprenais rien à ce qui se passait.

Que faisait-il ici, à Ba Sing Se, vêtu comme tout le monde, alors qu’il était du côté de sa saloperie de Nation ? Pourquoi s’inquiétait-il d’une brûlure alors qu’il avait fait mine de ne pas me reconnaître quelques secondes plus tôt ?

À une époque, j’aurais pu penser qu’il avait décidé de revenir en arrière, de se faire pardonner… Mais toutes ces bêtises n’avaient plus de place dans mon esprit malade et mon cœur brisé. Seuls les mots, toujours les mêmes, résonnaient macabrement… Comme pour me rappeler que j’avais tout perdu. Les petites attentions n’y changeraient rien… Il m’avait menti, et devait continuer de le faire, par réflexe.

**Il ment... il ment... **

Tremblante, j’observais la scène, silencieuse, j’essayais de garder mon calme… Un dernier regard sur cette tasse brisée, puis un départ, rapide, trop rapide…

“Hé… Vous êtes bien pâle, vous êtes sûre que ça va ?”
“ Non… ça… n’va… pas…”

Je m’étais retenue de crier mais la douleur s’était imposée, sans doute à cause des sanglots refoulés qui n'arrangeaient pas mon état. Les nerfs à vif, j’avais l’impression d’être au bord de l’explosion… mais dans l’incapacité la plus totale de relâcher la pression pour réussir à respirer convenablement.

“Ce type… n’est pas…”

Mon sang ne fit qu’un tour alors que je cherchais un mot pour qualifier Jin. Un nouvel accoutrement, une nouvelle infiltration… Il devait sans doute avoir la même mission… Celle de se faire passer pour un autre pour pouvoir trahir… Encore.  

“Non… Je…”
“Hé… Asseyez-vous, vous-”
“Je… reviens.”

Le pas rapide mais contrôlé, je sortis alors du salon de thé sans dire un mot de plus. Parler était une perte de temps en plus d’être compliqué, je devais aller à l’essentiel, et repérer l’intrus avant qu’il ne soit trop tard.

** Il est là cette enflure… **

Faible mais déterminée, je pris une petite rue parallèle à la rue principale, afin de pouvoir lui tomber dessus au prochain virage en restant camouflée. Il n’était pas question de faire de vague, ni d’attirer l’attention. Oh que non. Je voulais me charger de lui seule. Et la petite ruelle que j'avais en tête ferait bien l'affaire.

Ainsi, une fois à l’intersection, et lorsqu’il arriva enfin à ma hauteur, je lui attrapais le bras avec les forces qu’il me restait, puis le plaquais sur le mur d’une vieille bâtisse afin d’attraper le col de son “déguisement”.

“ Pourquoi. T’es. Là.” grognai-je de façon étrange en tremblant des pieds à la tête.

Parler sans crier, un exercice bien trop compliqué. Je sentais ma gorge s’embraser, me lancer, à croire qu’on venait de nouveau me porter un coup fatal. Mais au final, ce n’était rien, rien du tout par rapport à cette douleur qui me transperçait la poitrine. La perte de Meixing avait fait voler en éclats mes dernières barrières psychologiques. Je n’étais plus une femme forte prête à tenir tête à son traitre de fiancé, non, j’étais paumée, à vif, complètement dépassée et… faible. Tellement faible qu’il allait sans doute pouvoir me maîtriser en une seconde. Je n’étais pas en état pour un combat aussi éprouvant. De toute manière, je ne l’avais jamais été.  

Alors contre toute attente, je le relâchai, puis reculai de quelques pas pour aller poser mon dos sur le mur d’en face en portant une main à mon cou en toussant un peu, un réflexe dû à la crainte de voir la cicatrice se rouvrir. Bordel, j’étais minable.  

“Dégage.”

Les larmes coulaient lentement, honteusement, sur mon visage crispé par la peine et le dégoût. Détournant le regard pour ne plus le voir, j’attendais qu’il quitte cette fichue ruelle où nous étions seuls et à l’écart. Une fois parti, je comptais bien prévenir les gardes. Le Cursed Lotus avait déjà souffert, il était hors de question de voir Ba Sing Se endommagée à cause de l’homme qui m’avait brisée.

Je voulais rester la seule à souffrir à cause de lui. Personne d’autre ne devait être impliqué là-dedans.

J’ai l’impression de quitter le salon de thé la queue entre les jambes. J’ai l’impression horrible d’être totalement lâche et de la fuir, mais que puis-je faire d’autre ? Ma mission est la seule chose qui devrait compter à cet instant. Ne pas me faire repérer, premier échec. Ne pas rouvrir cette blessure au coeur, deuxième échec. Réussir. Le troisième échec est en cours.

Je ferme les yeux une seconde pour sentir le soleil caresser ma peau et inspirer profondément.   Puis je me remets en marche. Ma destination n’est pas très éloignée, mais je sors une carte pour me repérer. Cette ville est un dédale, j’y suis totalement perdu.

Alors que je m’engage dans une nouvelle rue, un bras m’attrape et me colle contre le mur d’une ruelle. Une main puissante que je reconnais directement, ce qui m’empêche d’agir d’instinct. La main lâche ma peau pour m’attraper par le col. J’aime mieux. J’aimais mieux sentir ses doigts contre mon épiderme qui réagissait à son contact.

“ Pourquoi. T’es. Là.”

Chaque mot, grogné comme si je n’étais qu’un rat. Je sens sa colère, sa rage et sa… fatigue ? Je fronce les sourcils, sans rien répliquer. Aucune explication ne lui suffira jamais et je ne compte pas m’attarder plus de temps qu’il n’en faut.

J’ai déjà pris la résolution de l’éviter le plus possible, de ne pas tenter de la calmer ou la soudoyer, rien ne fonctionnera. Alors, je ne lui parle pas, car je suis incapable de mentir ou de me cacher d’elle. Quelle que soit ma couverture, elle me reconnaîtra toujours. Voilà une bien terrible malédiction.

C’est à cet instant qu’elle me lâche, qu’elle recule, qu’elle tousse, qu’elle pleure. Et en moi tout vacille. J’ai un instant de doute quand elle m’ordonne de partir. Un instant trop long où je suis incapable de choisir. Les possibilités s’ouvrent à moi, je sais qu’elle va me dénoncer, et c’est bien normal, mais si je cours, j’ai le temps de changer de vêtements ou de m’enfoncer plus encore dans la ville. J’ai le temps de porter une perruque ou de trouver un faux métier.

Pourtant, je ne bouge pas. Je perds ce temps. Idiotement.

« Qu’est-il arrivé au bateau ? » demandai-je d’une voix douce. « Qui ? » m’étranglai-je en comprenant que quelqu’un est sûrement blessé, perdu ou pire, tué. Quelqu’un que je connais ? Quelqu’un qui m’en veut et qui ne pourra jamais me pardonner.

J’ai envie de me baisser, de la prendre dans mes bras. J’ai envie de pleurer. J’ai envie d’hurler ma rage au monde entier. J’ai envie d’abandonner, tout, alors que je suis si prêt du but et de m’enfuir avec elle. Mais plutôt que de faire tout cela, je reste debout, immobile, le visage neutre. Aussi neutre que je puisse me forger un masque alors que sa peine me brise le coeur.

« Ahloy, je sais que tu me hais, mais tu dois comprendre que » comment trouver les mots ? J’ai beau avoir inventer mille fois des retrouvailles, préparer mille discours, rien ne me vient. Rien ne s’est jamais passé comme prévu d’ailleurs. « nos intérêts ont divergé, mais tout ce qui était avant, était réel. »

Je m’en veux d dire cela, je sais que ça ne peut pas l’aider à aller de l’avant, mais je veux qu’elle sache combien je l’aimais, pour de vrai. Combien je l’aime encore par contre, doit rester encore un peu secret. Un peu, ou toujours. J’avale ma salive.

« Ma mission ici n’a rien à voir avec toi, je le jure. » Ma parole n’a plus aucun poids pour elle et je le sais bien, mais j’essaie tant que je peux. « Et je comprends ce que tu t’apprêtes à faire, mais » mais quoi ? Je vais la supplier ? Me mettre à genoux pour lui demander du temps ? Le temps je l’aurais eu si je n’étais pas resté sur place.


J’en ai marre de danser entre deux cordes, de devoir mentir à tout le monde, et je ne suis pas sûr de pouvoir continuer. « Ahloy, » ce prénom glisse sur mes lèvres, je les doit détester ça, mais j’en ai tant besoin « il me reste suffisamment d’affection du passé » mensonges, c’est du présent. « pour ne pas pouvoir te laisser comme ça. Laisse moi faire quelque chose, n’importe quoi. » Les accents de détresses que j’entends dans ma voix me font peur. Si elle les entends aussi, je suis fichu. Mais je suis incapable de les cacher, de les retenir. Je suis perdu. Fichu. Foutu. Mais je reste.

Je pensais que la situation en resterait là, sur ma menace, ultime, faite sur un ton qui ne me ressemblait pas. J’avais espéré me retrouver seule, pour craquer, et sombrer dans cette ruelle qui nous coupait du reste de Ba Sing Se. Mais voilà, mes mots n’avaient eu aucun effet. Il était toujours là, en face de moi, silencieux et observateur.

Pourquoi… pourquoi… pourquoi ?!

L’ancienne Ahloy n’aurait pas hésité à se jeter dans la mêlée, portée par la haine et la rancune, armée jusqu’aux dents pour mettre un point final à ce chapitre si compliqué de sa vie. Toutefois, je n’étais plus cette femme, je n’étais plus rien, juste une ombre, une ombre perdue qui s’était vue mourir ce fameux soir. Alors, lorsque l’homme que j’avais tant aimé se mit à me questionner, je restai figée d’horreur.

Les larmes montèrent immédiatement, brûlantes… Il avait compris, même après toutes ces années, il avait compris qu’il s’était passé quelque chose et qu’un membre de l’équipage n’était plus… Je ne tenais plus, j’avais envie de m'effondrer, de craquer dans ses bras malgré tout, de retrouver cette chaleur réconfortante rien que pour quelques secondes…

** Non… NON… NON !!!! **

C’était un leurre. Un menteur. Tout ça était faux, encore. Comme toujours. Putain..

Je n’arrivais plus à penser, ou bien à réfléchir… Perdue, j’étais… perdue, tout me paraissait irréel. Et ses paroles, oh… ses paroles, elles ne venaient pas arranger mon état. C’était quoi cette histoire d’intérêt… et de sincérité, et… et… d’affection ?

** Il sait que je vais le vendre, il tente de me duper… **

Il parlait trop, changeait trop dans son ton de voix, je le connaissais par cœur, même après toutes ces années. C’en était trop.

“Ton… reste… d’affection ? Tais… Toi… Juste…” articulai-je les dents serrés en laissant les larmes couler sur mes joues.

Les mains posées contre mes oreilles pour ne plus l’entendre, je me laissai alors glisser le long du mur pour finir les fesses sur le sol. L’impossibilité d’hurler n’était que douleur, entendre les mots de Jin venait de m’achever. Je n’avais plus d’énergie, pour me battre, pour lutter…  

“Ils… nous… ont… piégés… Ils m’ont… transpercé… Ils m’ont… tranché… la gorge… Ils… ont… Ils ont… Meixing… ils…”

“Ils”, et pas vous. Pourquoi je n’avais pas dit “vous”... ? Tout était confus… J’avais l’impression d’être à la place de Taiyo le soir de son sauvetage… Je l’entendais me redire cette phrase qui faisait à présent écho dans mon esprit… “On m’a tué… J’suis mort”  C’était ça… J’étais morte… Les émotions étaient bien trop insupportables, tout comme les douleurs physiques et psychologiques…  J’étais perdue… ailleurs… L’envie d’appeler à l’aide était forte mais au lieu de ça, je lui avais répondu, comme s’il était toujours mon allié, ma moitié, celui à qui j’avais confié ma vie à tort. La belle erreur.

“Va.. t’en… Va… t’en… ”

Plus de colère, plus de rage, je le suppliai de partir alors que je me mettais en boule pour ne plus l’entendre. Trop de souvenirs m’envahissaient, trop de remords, de regrets et de rancoeur… J’avais envie de pleurer, encore, et encore, pour ne plus avoir d’énergie, et pour ne plus rien ressentir… Pour sombrer et oublier… Tout oublier.

Dans cette ruelle sombre et perdue du labyrinthe qu’est la ville de Ba Sing Se, je me retrouve sans  savoir quoi faire. Je sais ce dont j’ai envie - elle -, ce dont j’ai besoin - réussir ma mission -, mais je n’arrive ni à choisir, ni à m’éloigner. Je la regarde, recroquevillée, mal en point, l’un des pires états dans lequel je ne l’ai jamais vue. Et je me sens coupable. Même s’il faut que je cesse de me classer en si haute estime, je ne suis rien dans sa vie. Plus rien qu’une tache gênante.

Ses larmes me touchent en plein coeur, ses mots me blessent alors que je devrais y être préparé.

« Je me tais. » promis-je bien idiotement.

« Je suis incapable de me taire Ahloy, tu le sais bien. » ai-je envie de hurler dans le silence. Elle me connaît par coeur, elle devrait comprendre, elle aurait dû savoir que je ne l’avais pas réellement trahie comme je l’annonçais, cette nuit-là sur le bateau. Oh, bien sûr, j’ai trahi quelque chose de fort que nous vivions, mais pas de la manière dont je l’ai annoncé. Elle aurait dû savoir que le seul mal que j’étais capable de lui faire, c’était pour la protéger. M’estimait-elle donc si peu ? La vieille blessure se rouvre dans mon myocarde et je tente d’y faire face. Je n’ai jamais mérité son amour, mais ce n’est pas le moment d’y songer, ce n’est pas le moment de m’écrouler.


Et soudain, elle parle. Ces mots, coupés, hachés, qui ont bien du mal à quitter ses lèvres. Ou sa gorge plutôt, comme je le comprends après.

Un instinct, que je ne me pardonnerai pas, m’enjoins d’avancer vers elle pour vérifier que tout va bien. Que sa gorge ne saigne pas. Idiot. C’est du passé et elle sait le soigner. Et puis, de toute manière, que puis-je faire sinon la brûler ?

Je recule, j’espère qu’elle n’a pas vu mon geste désespéré. Ma tentative vaine de la protéger. Contre qui ? Contre les miens.

Soudain, ses mots font sens. Elle a dit « ils » et non « vous ». Elle ne me range pas tout à fait dans la catégorie des vils maîtres du feu. Et je ne devrais certainement pas m’en réjouir, mais je ne peux m’en empêcher. Il reste un espoir.

« Meixing »

Le nom me brûle les lèvres, m’arrache des larmes et me fait serrer les poings. Jamais cela n’aurait dû être possible, ils n’auraient pas dû pouvoir leur faire du mal… Et puis, j’aurai dû être au courant, mais ils ne m’ont pas assigné à la capture du navire. Pourtant, j’y ai montré de l’entrain, je voulais être responsable, pour toujours les mener sur des mauvaises pistes. Ils n’ont pas eu confiance, jamais. Et je ne sais rien de ce qu’il s’y passe. J’apprends sa capture à l’instant et je me promets de retrouver sa trace. D’essayer de sauver sa vie, ou de l’adoucir, si une prison l’enferme quelque part sur l’île de notre nation.

Je me retourne pour essuyer mes larmes. Si j’ai pu les laisser s’étendre sur mes joues, c’est uniquement parce que nous sommes seuls dans cette ruelle et parce qu’elle est renfermée sur elle-même. Elle n’a pas dû me voir. Pitié, qu’elle n’ait pas vu.

« Je n’arrive pas Ahloy. »

Ce nom encore, qui coule sur mes lèvres. Ce nom qui jaillit de ma bouche, que, pour une fois, je peux prononcer, entendre et admirer. Pour une fois qu’il a le sens qu’il mérite. Ce nom, si beau. Ce nom qui est le sien.

« Je n’arrive pas à te laisser comme ça, parce que tu n’as pas le droit d’abandonner. Tu n’as pas le droit de la laisser perdue et seule. Relève toi. Bats-toi. Tu vaux mieux que ça. »

Ma colère, qui est dirigée contre le monde entier, s’abat sur elle. Injustement. Mais peut être que mes mots l’aideront à me haïr de nouveau et avoir envie de se battre. Elle ne devrait pas se laisser tomber. Je ne sais rien de ce qu’elle a vécu, mais elle ne sait rien non plus de ce que je vis. Elle imagine, injustement ma vie, j’ai bien le droit de lui montrer ce que je ressens non ?

« Relève toi, soldat, il reste encore un combat, et tu dois gagner, oui pour la liberté ! » lançais-je en songeant à cette chanson qui nous parle tant.

Ce monde dépéri et je ne peux rien y faire. Même si je suis infiltré dans le camp où je pourrais avoir du poids, je incapable de trouver les bonnes personnes à convaincre, incapable d’enflammer les foules. Je n’ai pas un talent d’orateur ou même la bonne position. Personne ne vient à moi et… j’ai trop peur pour ma vie.

« Relève toi, et bats toi pour la liberté que tant de monde ne peut obtenir. Le Cursed Lotus, ce bateau pirate, est un symbole, Ahloy, pour tant d’enfants perdus qui rêvent d’un monde meilleur. »

Elle va comprendre, elle va savoir. J'ai été trop franc, trop clair. Je fais complètement parti de ces enfants perdus qui écoutent les histoires sur ce bateau pirate qui sillonne les mers et fait du mal aux soldats de la nation du feu. Je me réjouis de chacune de leur victoire, en secret, comme tant d’autres.

« J’ai choisi mon camp et tu le sais, mais tu ne sais rien de mes raisons. Tu ne comprendras jamais pourquoi ma nation est si importante pour moi. » Mensonges, mensonges. Seul mon frère est important. « Mais aujourd’hui Ahloy, je quitte ce costume pour que tu remettes le tien.» Ces mots m’arrachent le coeur. Elle doit bien sentir combien je l’aime ? Chacune de mes paroles brûle de cet amour impossible. « Ahloy, bats-toi. Tu as la maîtrise de l’eau, tu sais soigner, tu peux soigner tous les maux, pas uniquement ceux qui sont physique. » Mon regard est noir, dur et je le plonge dans ses pupilles parfaites, mais si faibles.

Accroupi dans cette ruelle malodorante, trop proche d’elle pour mon propre bien, mais assez éloigné pour qu’elle ne me puisse me frapper, je souffle encore une fois.

« Je ne partirai pas sans une menace faite d’eau. »

J’ouvre le capuchon de ma gourde. Je veux sentir sa colère, sa haine, son dégoût pour moi. Qu’importe, je veux ressentir quelque chose d’elle.

Plus rien n’avait de sens. Peut-être que tout ça était un sale cauchemar. J’en faisais tellement depuis notre échec, où je voyais mes compagnons tomber comme Meixing, que je ne savais plus très bien ce qui était réel ou non. A croire que la frontière entre la réalité et les songes s’était effacée pour laisser place à l’incompréhension la plus totale. Et les mots de Jin, encore une fois, ne virent pas m’aider… Bien au contraire.

Je n’arrivais pas à comprendre, ou encore à être sûre de ce que je voyais… Les larmes brouillaient ma vue, j’écoutais sans écouter, le prénom de ma sœur de cœur ayant un effet dévastateur à chaque prononciation… Il l’avait connue, j’étais sûre qu’il avait ressenti quelque chose…

Incompréhension. Encore. Toujours. Il finit par prononcer le mien de prénom, dans une phrase qui me poussa à relever la tête.

** C’est quoi… ça… **

Perplexe, je l’écoutai alors, sans dire un mot, sans être sûre de ce qui était en train de se passer. Le temps sembla se figer… Cette ode au Cursed Lotus, ce discours visant à me redonner le courage que j’avais perdu, ce regard, si fier, si… Nation du feu… Complètement sous le choc, je me contentai de l’observer, la bouche entrouverte… Je devais me relever, redevenir cette Captaine que j’avais été, et puis, l’attaquer, comme pour lui témoigner mon aversion…

Le souffle coupé, les yeux plongés dans les siens, je mis quelque secondes à m’en remettre avant de pouvoir m’exprimer…

“Mais… c’est… quoi ton problème en fait ?”  lançai-je sans réfléchir sur un ton à la fois énervé et… inquiet.

Il me faisait peur. Sincèrement… Alors, par réflexe, je me relevai, en me tenant au mur, sans détourner mon regard du sien.

“Tu… joues à quoi ?”

Je ne le reconnaissais plus, alors que j’aurais mis ma main à couper que l’ancien Jin était revenu quelques secondes plus tôt, citant volontairement les paroles d’une chanson issue d’un passé que je pensais révolu. Mon esprit, guidé par mon cœur brisé, devait me jouer des tours… Oui, ça devait être ça...

“Pourquoi… Pourquoi… tu fais ça ?”

J’étais désorientée, en colère, incapable de comprendre ce qu’il se passait. Une partie de ma conscience me dictait qu’il était tout aussi perdu que moi, mais l’autre me susurrait à l’oreille qu’il avait toujours été ainsi, un vil manipulateur qui aimait le Feu plus que tout au monde…

“C’est… la propagande… de ta Nation chérie ? On t’a… lavé le cerveau ?”

Sur la défensive, et sans réfléchir, je fis aller un peu mes mains, afin de transformer les larmes coulées en de fins ongles de glace. Rien de bien fou, mais un pas immense pour une maître de l’eau qui n’avait pas utilisé son don depuis des jours. Pourtant, je n’avais pas envie de lui donner satisfaction en l’attaquant… Je souhaitais seulement être… un peu plus menaçante. Juste au cas où.

“Tu… me rends… folle… Alors… Arrête… Arrête…”

Je devais me faire une raison. Il fallait que tout ça se termine… L’amour, la haine, les souvenirs, les affrontements… Mais j’étais incapable de tourner la page. Trop de questions allaient et venaient dans mon esprit… Pourquoi me dire tout ça ? Pourquoi faire allusion au passé ? Pourquoi être si froid et si dur ? Qu’est ce que l’ancien Capitaine avait voulu me dire sur son compte avant de perdre la mémoire suite à l’attaque le soir de la trahison ? Pourquoi le destin s’amusait-il avec nous de la sorte ? Était-ce le châtiment infligé à des âmes sœurs qui s’étaient séparées ? Si c’était le cas, alors j’aurais aimé tout oublier… Tout oublier pour ne plus avoir à souffrir...

“Mais… c’est… quoi ton problème en fait ?”

Je m'arrête deux secondes et m'enfonce mes ongles dans ma peau, pour ressentir la douleur, l'urgence. Pour fuir, tant qu'il en est encore temps. Je reste droit et ne répond pas. Car en réalité, j'aimerai savoir moi aussi et j'aimerai qu'elle comprenne d'elle-même. Je ne peux pas faire plus.

Seulement, cela a marché ; elle s'est relevée. C'est tout ce qui compte et ce qui importe. Elle se redresse et me regarde. Sa voix est encore rauque et sèche, mais j'imagine que cela prendra du temps pour être soigné. Et je ne peux pas demander la lune.

Je retiens mes mots, le « je ne joue pas » qui devrait lui expliquer et m’aider à rester calme, mais je ne dis rien. J’attends. Parce que je ne dois pas parler trop vite, je dois être le soldat de la nation du feu calme, qui agit quand il le faut.

Quand elle parle de lavage de cerveau, je suis au supplice. Voilà ce qu'elle pourrait comprendre, voilà ce qu'elle pourrait entendre ! Je lui ai parlé de mon frère aîné, mort, car je le croyais. Et si je la mettais sur la voix ? Pour commencer un petit chemin de rédemption ? Non. Je ne peux pas lui faire ça. Notre histoire est terminée à ses yeux, et cela doit en être ainsi jusqu'à la fin. Elle doit avancer, puisque moi, je ne le peux pas.

« Et qui te dit que ce n'est pas l'inverse ! » grondai-je soudain.

Il me faut être convainquant. Elle est debout. Elle pourrait se battre, je sens bien qu'elle ne le fera pas sans une aide de ma part. Enfin une aide, une attaque, évidemment. L’aide je lui ai déjà donné en la motivant. Et puis il faut qu'elle puisse se protéger en toute circonstance. Première leçon que j'ai apprise, durement enseignée par mon père. Même dans la douleur, même dans la peur, même dans la honte, il faut réagir. Et j’ai besoin qu’elle soit toujours prête, car je ne pourrais dormir les prochaines nuits, maintenant que je l’ai vue dans cet état.

« Qui te dit que ce n'est pas toi qui m'a fait subir un lavage de cerveau, qui m'a contaminée par tes idéaux.... »

La colère ne devrait pas lui être destinée, mais elle touche trop profondément à ce qui me blesse, chaque jour, dans les camps de soldat de la nation du feu.

Je déteste ce que je dois vivre, mais je n’ai d’autres choix que d’aller jusqu’au bout. Pour lui. Et mon coeur est constamment déchiré entre les deux.

Je regarde autour de moi, vérifie qu’il n’y ait personne et je fais jaillir une flamme dans ma main. Je croise le regard d’Ahloy et aussitôt, je la fais disparaître. Je ne suis pas capable de me battre de la sorte, même pour lui redonner son courage.

L’épée jean que j’utilise habituellement est restée bien cachée dans la nation du feu et j’utilise une épée papillon bien plus courte pour me fondre dans la nation de la terre. Je sais que j’ai encore beaucoup à apprendre sur cette arme, mais je me débrouillerai sans le moindre doute. Je tends la garde face à mon ex-fiancée.

« Bats-toi. » grondai-je à travers mes dents.


Mon ton est dur, violent. Elle s’est redressée, je peux de nouveau être le soldat du feu qu’elle imagine. Je me déplace sur le côté, gardant toujours mon regard plongé sur ses mains qui sont ses armes les plus dangereuse.

« Je t’ai dit que je ne partirais pas sans une attaque. »

A cet instant, elle doit être perdue ou me traiter de masochiste. Et elle a sûrement raison. Mais je grappillerais la moindre secondes passées à ses côtés. L’amour qu’elle me portait est enterré, mais sa présence me suffit.

Je restais là, debout, contre mon mur, à le fixer, mes questions plein la tête. Jusqu’au moment où, contre toute attente, il se mit à… hausser le ton ?

Mes yeux s’écarquillèrent, le choc, il retenait mes propres mots contre moi, comme un gamin vexé, piqué au vif. J’étais donc à l’origine de son changement de camp, c’était moi la méchante de l’histoire, j’étais une femme vile et folle… C’était absurde, mais tellement imprévu que j’en avais le souffle coupé. Le culot.

Toutefois, il ne s’arrêta pas à ses paroles étranges. Des regards en coin, puis une flamme, pour me provoquer, pour me faire sortir de mes gonds. Oh oui… Il souhaitait me pousser à bout, ouvertement. Et c’était la deuxième fois qu’il me demandait de l’attaquer. Que cherchait-il à faire ? C’était tout bonnement incompréhensible… Et je n’étais pas réputée pour être docile. Il était hors de question de rentrer dans son petit jeu…

Alors je m’approchai, d’un pas assuré, pour le pousser à se coller contre le mur, afin de me positionner au plus proche de lui, les yeux dans les yeux, son visage à quelques millimètres du mien. La dernière fois où nous avions été aussi proches remontait à des années en arrière. Les plus belles aux souvenirs bien amers.

“Alors comme ça… Je t’ai contaminé… avec mes idéaux ?”

J’étais calme, très calme, dangereusement calme. Les larmes ne coulaient plus même si elles étaient toujours là, mes tremblements avaient cessé… J’allais vider mon sac, une bonne fois pour toute, sans hurler, sans m’énerver, sans… me battre.

“Tu sais c’que t’as fait… toi ? Tu m’as pris ça…” susurrai-je en désignant mon palpitant en tapotant ma poitrine à l’aide d’un des ongles de glace. “Tu l’as brisé… Et tu vas le garder avec toi, pour toujours, parce que je suis incapable de tourner la page… et je ne le serai jamais putain.” avouai-je pour la première fois les dents serrées. “J’aurais beau te… détester, te voir sans cesse dans mes cauchemars, te combattre, ça ne changera jamais, parce que c’est comme ça, il faut… que j’l’accepte, et que j’vive avec. ”

Quel aveu. Je n’en revenais pas. Et pourtant le poids qui avait si longtemps pesé sur mes épaules était devenu… plus léger. Comme si faire face à la réalité, même insoutenable, était la meilleure chose à faire. Oui, je l’aimais encore, malgré tout, et ce serait toujours le cas. Saloperie de sentiment, l’amour.

“Crois moi, Jin, J’aurais préféré qu’on me lave le cerveau. Oublier sa moitié aurait été plus simple que de la haïr.”

Les mots étaient sortis de ma bouche naturellement malgré leur sens lourd... J’étais.. mentalement et physiquement épuisée, mais j’avais tenu bon et les larmes étaient restées là, à perler au coin de mes yeux sans jamais couler alors que nous étions si proches. Je ne voulais pas flancher, pas avant d'en avoir terminé avec lui.

" Alors ose me le dire en face... Ose me dire encore une fois, mais les yeux, dans les yeux... que tout ça, c'est de ma faute. "

Je ne digérais pas ces dernières paroles, et il était hors de question de bouger d'un pas, même si être si proche de lui était... plus que douloureux, dans tous les sens du terme. Il avait voulu que je me relève, que je fasse face, alors il n'avait pas le droit de se défiler.

Elle est là, face à moi. Beaucoup trop proche et pourtant si loin. J’ai envie d’oublier tout ce qui nous sépare… mais je ne le ferai pas. Je vaux mieux que ça. J’inspire doucement et reste concentrer alors que je n’ai qu’une envie : me perdre dans ses yeux.

“Tu m’as pris ça… Tu l’as brisé… Et tu vas le garder avec toi, pour toujours, parce que je suis incapable de tourner la page… et je ne le serai jamais putain.”

Ses mots me touchent en plein coeur. Et pendant un instant, j’oublie où je suis, avec qui et pourquoi. Pendant un cours instant, je suis euphorique. Je suis sur un nuage, au paradis. Elle m’aime. Elle vient de le dire. Elle m’aime encore et pour toujours.

Puis je redescends sur terre et mon regard se fait noir. C’était MA malédiction. Elle n’aurait jamais du la subir aussi. Elle aurait dû juste me haïr et être en paix. Je. Je suis dépité. Perdu. Je me déteste si profondément pour ce que je lui fais subir. Non. Je déteste ma nation, ces soldats qui me contrôlent et qui me guident. J’aurai dû être plus fort.

Je remarque que les larmes ne coulent pas, et cela empêche les miennes de faire pareil. Comment suis-je censé vivre et exister après de telles révélations ? Comment puis-je être heureux et en paix avec moi-même alors que je sais qu’elle va souffrir. A cause de moi.

Je voudrais reculer, fuir, avant de faire une connerie. Courir, loin de son attraction intense. Mais je ne peux pas. Je suis hypnotisé et mon corps refuse le moindre mouvement pour me séparer d’elle. Il veut avancer, retrouver la chaleur de ses bras.

"Alors ose me le dire en face... Ose me dire encore une fois, mais les yeux, dans les yeux... que tout ça, c'est de ma faute. "

Mes yeux quittent le mur pour l’admirer elle et… tout va trop vite.

Je suis incapable de m’arrêter alors que mon visage s’approche, trop vite, trop dangereusement. Mon souffle se mêle au sien et je ressens tout. Elle, sa chaleur, son odeur, sa joie, nos souvenirs, nos moments de tendresses. 
Avec avidité mais un petit zeste de douceur, mes lèvres s’écrasent sur les siennes. Une dernière fois.

Et l’explosion que je ressens dans mon coeur me fait bondir de joie. J’attrape sa peau, ses cheveux, je ne veux faire qu’un et…

« Madame ça va ? On vous a entendu… ah. Pardon, excusez-nous. »

Et l’instant est gâché et je me rappelle tout. Je me rappelle ce que je fais là. Pourquoi je suis là. Pendant que les bruits de pas s’éloignent. Des larmes coulent le long de mes joues, je n’ai pas pu les retenir. Des adieux comme j’aurai dû le faire, des années plus tôt. Un dernier baiser pour la postérité.

Le trop plein d’émotion me submerge. Je deviens fou. Elle va me tuer. Je ne sais pas pourquoi elle ne l’a pas encore fait.

« Pardon. Je dois y aller. Je ne peux pas. Ahloy. Je ne peux pas. La vérité, les mensonges, tout. C’est trop. Je ne peux pas, je ne peux plus. »

Ma voix se brise à la fin de chaque phrase, ma gorge est sèche, les larmes continuent de couler. Je suis faible. Si faible. J’aurai dû être plus fort. Je recule tout en gardant mon regard fixé sur elle.

« Ahloy, je dois y retourner, c’est ma vie, mais ne me laisse pas gâcher la tienne. Putain. Sois heureuse, laisse toi aimer, avance. » Et en chuchotant je finis « parce que moi, je ne peux pas. » J'espère qu'elle n'a pas entendu, qu'elle n'a pas compris, mais je ne peux plus lui mentir.

Je continue de reculer, mais je n’arrive pas à quitter cette ruelle. Pourtant, il est plus que tant de fuir. Enfin.

Je m’attendais à tout. Une ultime provocation, un coup en traître pour venir balayer tout ce qu’il s’était dans cette fichue ruelle, un jet de flamme, un combat à mains nues… Sans ciller, je le vis alors plonger son regard dans le mien, puis… Il s’approcha.. encore, et encore…

** Le salaud, il va me provoquer jusqu’au bout. **

Je croyais que tout s’arrêterait là, sur ce face à face semblable à une véritable torture… Mais contre toute attente. Tout bascula en quelques secondes.

Ses lèvres contre les miennes, cette sensation si lointaine et à la fois si familière, un souffle de vie, une nouvelle énergie… Le temps s’arrêta pour faire voler en éclat mes pensées et mes doutes… Comme autrefois, comme si rien n’avait changé… Ma garde tomba, mes menaces aussi, et mon coeur se mit à battre, furieusement, douloureusement… Ce contact, ces sentiments, cette sensation, ses mains dans mes cheveux... C’était impossible…

« Madame ça va ? On vous a entendu… ah. Pardon, excusez-nous. »

Retour à la réalité violent, le moment suspendu s’envola pour laisser place à l’incompréhension la plus totale. J’étais sans voix, choquée, perturbée, agacée, énervée… Contre lui, contre le destin qui avait fait en sorte que tout ça prenne fin… Je voulais m’exprimer, répliquer, mais les larmes de Jin me mirent une gifle en plein visage.

« Pardon. Je dois y aller. Je ne peux pas. Ahloy. Je ne peux pas. La vérité, les mensonges, tout. C’est trop. Je ne peux pas, je ne peux plus. »

Mon visage se cripsa, enchaînant les expressions les plus bizarres du monde entre la rage, la pitié, l’incompréhension, la peur, l’affection, le remords, la tristesse… Je ne comprenais pas, j’avais l’impression que nos rôles venaient de s’inverser en quelques secondes, et avant d’avoir le temps de réagir, l’homme du passé que j’avais retrouvé pendant un court instant s’éloigna… Toujours aussi mal, toujours aussi… vulnérable… Ses larmes me tordaient les entrailles, remettant en question mon monde, et ma vie depuis son départ.

« Ahloy, je dois y retourner, c’est ma vie, mais ne me laisse pas gâcher la tienne. Putain. Sois heureuse, laisse toi aimer, avance. »

Nouveau coup porté, mon souffle s’accélera alors que je posais mes doigts devenus tremblants sur mes lèvres. Puis, nouveau chuchotement, sans queue ni tête, alors qu’il reculait doucement. Je devais bouger, faire quelque chose, mais mon cerveau ne répondait plus… Ou du moins, plus correctement.

“Non… tu… tu… tu… Mais…! Tu… Non!  Oh… Mais… Je… Non ! Tu…” bégayai-je en affichant une mine furieuse et perdue à la fois.

Je ne me remettais pas de son acte, si… imprévisible et si… réel. Je l'observais sous toutes les coutures, même si ça brisait littéralement… Pourquoi avais-je l’impression de le voir tel qu’il était, sans son masque, sans son air hautain, sans… ses mensonges ? Est-ce que… tout ça… c’était… la réalité ?  

J’avais envie de m’approcher, de m’insurger, de le retenir dans le but d’en savoir plus… Alors, je m’approchai, lentement, sans être sûre de moi… Jusqu’au moment où des mots me vinrent à l’esprit, totalement hors sujet et pourtant si… importants.

“C’est toi qui as brûlé la corde de l’ancre ce soir-là…" affirmai-je d’une voix tremblante.

L'expression du Capitaine, cette chose qu'il avait voulu me dire avant de perdre la mémoire après l'attaque... C'était ça... Ça ne pouvait être que ça...Mais.. c'était...  trop de mensonges, trop de secrets, je ne savais plus quoi faire, ni quoi penser… J’avais envie de m’écrouler, de sombrer, pour ne plus réfléchir, ne plus penser… et d’un autre côté, je ne pouvais pas me résoudre à le laisser partir. Pas dans cet état.

Alors je décidai d’avancer, rapidement, pour lui attraper le poignet avant de le voir s’enfuir.  

“Et... Et... sans lumière, j'ai... peur de tomber…” commençai-je en laissant les larmes couler.

Je devais être assurée d’avoir bien saisi, d’avoir vu juste, d'être face à l'homme que j'avais aimé, même si c’était encore confus, même s'il était incapable de le dire clairement par crainte, par peur, ou pour que je savais quelle raison…

Le désespoir se mêle à l'amour et je sens que je lâche prise. Je suis fichu, désespérement foutu. Je n'ai pas pu m'empêcher de vouloir la caresse de ses lèvres sur les miennes une dernière fois et j'ai tout fait foirer. Elle ne peut plus haïr son souvenir en paix. Pourquoi suis-je si égoïste ? Pourquoi désirai-je tant son amour ?

Je recule, mais je suis incapable de quitter son regard. Incapable de partir en courant comme il le faudrait. Et voilà qu'elle reste sans voix. Ses mots ne sont qu'un amas d'onomatopées sans queue ni tête et je ne peux y répondre. Je commence mon demi-tour et pour enfin quitter cette ruelle quand sa voix porte jusqu'à moi.

“C’est toi qui as brûlé la corde de l’ancre ce soir-là…"

Ce n'est pas une question, ce n'est même pas une affirmation. C'est une révélation. Elle ne le comprend que maintenant et je remercie mentalement le capitaine d'avoir gardé ce secret pour lui, c'était exactement ce que j'avais prévu et espéré. Ce qu'il fallait pour leur propre bien. Alors pourquoi suis-je heureux qu'elle le comprenne ?

Soudain, les conséquences de nos actes me reviennent pleinement dans la face. Elle ne sera pas en paix tant qu'elle ne m'aura pas retrouvé. Tant qu'elle ne m'aura pas extrait de force à la nation du feu qui veut ma peau. Ahloy va toujours jusqu'au bout des choses et je ne mérite pas ça. Je ne mérite rien de son amour, mais je ne peux pas continuer à lui dire la vérité. Je dois réagir. Violemment. Qu'elle mette un terme comme je lui ferai croire que je suis passé outre, moi-même. Mensonges, l'un des pires.

Je m'apprête à riposter, répliquer, mais elle chante. Doucement. Faiblement. Et mon coeur brûle d'une flamme nouvelle.

« Au coeur de la nuit, d'abandonner... la vie. » complétai-je au bord des larmes. L'émotion qui me submerge, je ne pensais pas la ressentir à nouveau un jour, mais c'est la même que lorsque j'ai vendu le bateau. Ce mélange d'espoir, de peur, d'amour et de tristesse. Cette colère aussi. Et mon coeur s'émiette.

« STOOOOP »  hurlai-je en reprenant conscience que nous ne pouvons pas.

Ma peine se traduit sans que je ne m'en rende compte par une maîtrise du feu. Moi, qui l'ai caché pendant des années, qui me suis habitué à réagir différemment, sans même y songer pour ne point me trahir... voilà qu'elle revient au moment où je suis le plus vulnérable. Ou je fais une croix de plus à notre histoire. Un nouveau point final, mais moins teinté de colère que le précédent.

Et le feu continue de jaillir de moi, de mes mains, de mon corps, de mon esprit. Je suis une flamme vivante et quand le feu passe, je suis à terre, enroulé sur moi-même.

« AH AH ! Je le savais ! C'est un maître du feu les gars ! VENEZ. »

Je ne fais aucun geste et je me laisse entraîner. J'aurai tout échoué aujourd'hui, mais c'est le seul moyen de sortir de son emprise. Je trouverai toujours une solution pour fausser compagnie aux gardes ou pour m'évader. Mais d'elle, j'en suis incapable.

« Adieu » murmurai-je à Ahloy pendant que les gardes de la nation de la terre m'entraînent au loin.

Mon souffle se coupa, un instant... Les secondes qui s'écoulaient lentement allaient être décisives... Soit je m'étais perdue en osant prononcer ces paroles, soit j'avais vu juste et... je risquais de subir une nouvelle vague d'émotions aussi incontrôlée qu'imprévisible.

Et quelle vague...

« Au coeur de la nuit, d'abandonner... la vie. »

Ces mots, je les connaissais par coeur même si j'avais si souvent souhaité les oublier. Sous le choc, je me contentai de le regarder, les yeux écarquillés... C'était impossible..

** c'est pas réel, Ahloy... c'est pas réel... **

Mon état si faible, si déplorable, ces retrouvailles dans cette ruelle, ces aveux, ce baiser, cette chanson... Il n'y avait rien qui allait... Je devais partir, loin très loin, mais j'étais tout bonnement incapable de le lâcher car tout se mélangeait dans mon esprit. Toutes ces années à le haïr, à me demander pourquoi, ces longs mois à entretenir la rage, la rancune, à vouloir surmonter ce passé si douloureux... Et voilà qu'après l'avoir accepté, après avoir enfin avoué l'inavouable... Tout venait d'être réduit à néant.

J'aurais pu me perdre de longues secondes dans cette bulle de réflexion étouffante, toutefois, Jin se mit à hurler, littéralement, et... à s'enflammer. Par réflexe, je le lâchai, puis me reculai, maladroitement, pour aller percuter le mur d'en face. Un rappel, violent, choquant... Je ne savais plus quoi penser, ou comment réagir...

Il était là, sur le sol, recroquevillé comme un enfant, et moi, je m'étais laissée à nouveau glisser sur le sol, incapable de me relever, le coeur battant, et les larmes me brouillant la vue...

** Qu'est c'qui s'passe... **

Tout alla alors très vite... Des éclats de voix, des bruits de pas, et voilà que la ruelle si déserte était pleine... On se jeta sur lui, vile Maître du feu, puis on l'emmena au loin... Loin de moi... Encore. Toujours. J'avais envie de hurler, de leur dire que ce n'était pas le moment... Mais aucun son ne sortit de ma bouche... Aucun...

"Hé ! Ça va ? Il ne vous a pas fait d'mal ? "

Sonnée, toujours sous le choc, je levai la tête vers l'homme qui s'inquiétait grandement pour moi, puis... m'effondrai, littéralement, le visage enfoui entre mes mains tremblantes. J'étais incapable de réfléchir, de faire le point, d'entrevoir l'avenir tant le passé me hantait... C'en était trop, la Nation du Feu, Meixing, Jin... Je ne tenais plus, je devais craquer, une bonne fois pour toute, pour sombrer, toucher le fond... Même si ça voulait dire repartir à zéro.

** N'oublie pas qui tu es. **