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Remember me

11ème mois de l’année 49 de l'ère Ri Wu

Le maître de l’eau me soigne en silence. Depuis que j’ai repris conscience, je n’ai vu que lui. Un vieil homme silencieux, mais expert dans ses gestes. J’ai bien essayé de lui parler, à un moment, de lui poser des questions, mais il m’a répondu par des gestes auxquels je n’ai rien compris. J’ai donc fini par garder le silence également…

Sans le connaître, je lui dois beaucoup, à commencer par ses soins qui atténuent grandement mes souffrances… En fait, je lui dois probablement la vie…

Je ne sais pas depuis combien de temps je suis là. Je ne sais même pas où je suis, en fait, ni comment j’y suis arrivé… La dernière chose dont je me souvienne, c’est d’une douleur cuisante, d’une chute sans fin et d’un abîme glacé. Ces souvenirs, ni la douleur ni les cauchemars ne me laisseront les oublier, c’est une certitude…

Le vieil homme semble avoir terminé, me sortant de mes pensées. Alors qu’il s’apprête à sortir, je lui lance un « Merci » auquel il répond par un sourire avant de sortir. Assis sur ma couche, je regarde mon bras gauche, bandé et douloureux, et serre les dents de colère. Cette blessure, elle marque définitivement la fin d’une vie, car ce soir là, on a voulus me tuer, et ils doivent probablement penser avoir réussi…

Trois coups retentissent à la prote qui s’entrouvre aussitôt. Je n’ai pas le temps de réagir qu’une voix de femme se fait entendre. Ses mots me laissent perplexes. Dois-je me vexer du fait que me voir en tenue « indécente » puisse lui donner des cauchemars ? Cela fait des années que j’ai appris à ne plus avoir de pudeur (en prison, on se lave tous en même temps…), mais ça n’empêche pas qu’une remarque mal placée peut être vexante…

« C’est bon… »

J’espère pour elle qu’un pantalon est suffisant comme tenue décente. Même si en soi, pour ce qui est du haut, je suis bandé de partout ou presque, ce qui pourrait-être considéré comme un habit…

La porte fini par s’ouvrir complètement pour laisser apparaître une jeune femme qui me salue d’un air décidé, mais commence à se présenter avec un peu moins d’entrain. Pour ma part, j’essaie d’analyser une information qu’elle vient de me donner : capitaine ?
Mais je n’ai pas le temps de poser de questions qu’elle prononce mon nom avec surprise, me fixant soudain comme si elle avait vu un fantôme/ Regard que je lui rend alors qu’un souvenir se fraie un chemin dans ma mémoire. Ce visage, je le connais…

La jeune femme prononce alors son propre nom, et je dois cligner plusieurs fois des yeux pour m’assurer que je ne rêve pas.

« Ahloy… »

Je connais en effet ce nom, jamais je ne pourrais l’oublier… ni même ce visage malgré les années passées…

La bouche entrouverte de stupeur, il me faut quelques secondes pour reprendre la parole.

« Comment… quest-ce que tu fais ici ?! On est où, d’ailleurs ? »

Moui… bon… pas très cohérent comme entrée en matière, mais pour ma défense, je ne m’attendais clairement pas à retrouver un jour celle qui à changer ma vie sans le savoir… peu importe les circonstances…

Pour les joies des retrouvailles, il va d’abord falloir que je m’éclaircisse les idées…

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Remember me

11ème mois de l’année 49 de l'ère Ri Wu

Je suis sous le choque. Ahloy, elle, semble soulagée. Elle a apparemment douté un instant de mon identité, mais maintenant qu’elle me voit de prêt, elle me dit que je n’ai pas changé. Pourtant, quatorze années ont passées... J’ai grandit, mûri, j’ai perdu mon innocence depuis longtemps et cela se voit sur mon visage…

Elle aussi, elle a changée, même si physiquement elle reste la même, mais elle a prit en maturité aussi et cela se voit sur son visage également… Le miens, par contre doit être marqué par la stupeur pour le coup, ayant beaucoup de mal à me rendre compte de la situation. Et les explications de la capitaine ne m’éclairent pas beaucoup plus…

Navire, en mer…

« Attend un peu ! Comment ça on est en mer ?! »

Je me lève mais me rassieds aussitôt, perdant l’équilibre à la fois de faiblesse et à cause des remouds. C’était donc cela le balancement, les bruits, l’humidité… Nous sommes sur un bateau…

Ahloy reprend la parole avec plus d’émotion, tentant de me remercier de les avoir libérées Meixing et elle il y a bien des années. Assis à côté d’elle, la bouche entre-ouverte et le regard écarquillé, j’essaye d’assembler les pièces du puzzle. Comment suis-je arrivé là, que m’est-il arrivé exactement ? Je me souviens, pourtant, mais c’est comme si ces retrouvailles improbables me faisaient prendre conscience de toute l’ampleur de la situation.

Tournant la tête vers la jeune femme, je tente de rassembler mes idées pour lui répondre, mais les mots qui franchissent mes lèvres ne sont pas vraiment ceux que je voulais…

« On m’a tué… »

Je sors ça comme une révélation. Comme si je venais seulement de m’en rendre compte. Nomura Taiyo n’existe plus…

Soudain très pâle, la colère laissant place à un certain abattement, je détourne à nouveau les yeux pour fixer la porte. Je m’efforce de faire le lien entre ma « mort » et le navire, mais mon esprit semble bloqué.

« Ahloy… J’suis mort… »

Je ne suis pourtant pas dans le sentimentalisme en temps normale… Je ne pleure d’ailleurs pas, juste… je bug…

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Remember me

11ème mois de l’année 49 de l'ère Ri Wu

La capitaine m’oblige à me rallonger. J’aurai pu deviner pour le navire, mais n’ayant jamais été en mer,… en fait non, j’aurai pu imaginer beaucoup de choses, mais pas ça…

La voix d’Ahloy me parvient, lointaine. Elle me dit de respirer. Je ne respire plus ? Ah non, en effet, l’air semble rester bloqué dans ma gorge, formant une boule étouffante. La jeune femme agit, parle, elle est toute proche, je le sens. L’eau et les mots qu’elle prononce apaisent légèrement ma douleur, et je relâche enfin l’air contenu dans mes poumons, lentement, de peur de la brûler sans le vouloir. Même en état de choc, mon inconscient garde le contrôle sur le feu qui bout en moi, enragé. Il faudra que ça sorte, à un moment, mais pas maintenant… Pas alors que je tremble, que mon souffle est irrégulier, que je suis blessé… les risques sont trop grands… Pourrais-je seulement me réapproprier mon élément, cette fois ? Je ferme les yeux, calquant ma respiration sur celle d’Ahloy et me focalisant sur sa voix. Faire le fou… Je ne peux m’empêcher de rire à ces mots : qu’est-ce que la vie sans un peu de folie ? Mais ce simple mouvement me fait grimacer rapidement. Je rouvre les yeux et tourne le regard vers la capitaine.

« Comment suis-je arrivé ici ? »

Je suis tombé à la mer, mais après ? Comment ai-je survécu ? Je dissimule mon visage au creux de mon coude valide, serrant les dents alors que les images défilent sur mes paupières closes. Non, je n’aurai pas dû survivre, pas cette fois… La boule revient dans ma gorge. Je serre les poings, sentant à nouveau la colère monter. Je me focalise alors sur l’eau, contenant ainsi le feu qui tente de jaillir malgré moi. Ma respiration s’accélère. Les émotions se bousculent en moi : peur, colère, haine, abattement, tristesse… Ahloy m’a dit de rester calme, mais c’est difficile de garder son calme quand la situation nous échappe complètement, quand la logique nous échappe…

« Punaise Ahloy, j’suis largué… Ce qui s’est passé… Je n’aurai pas dû y survivre, c’est impossible… »

Et pourtant, je suis bien là, bien vivant d’après la capitaine… La douleur me le prouve aussi…  

Je dois détourner mon esprit de ces pensées si je ne veux pas exploser. Laisser le puzzle de côté le temps de me calmer et y revenir plus tard, à tête reposée… Jetant à un nouveau un regard sur mon amie par-dessous mon bras, j’affiche un faible sourire.

« En tout cas, je suis content de te retrouver saine et sauve… »

C’est bien le seul point positif dans toute cette histoire sans queue ni tête, que Ahloy et Meixing soient vivantes…

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11ème mois de l’année 49 de l'ère Ri Wu

La capitaine me réplique qu’on s’en fiche d’elle. J’ai envie de lui répondre que non, que je suis heureux de savoir que mes actions les ont vraiment aidées, que je suis soulagé de savoir que je n’ai pas vécu tout ça pour rien, mais je retiens, profitant simplement de ses soins.

Après un temps, elle reprend la parole, répondant à ma question par une autre : les Esprits étaient de mon côté ? Même elle ne semble pas convaincue par cette explication peu probable…

La suite de son récit me fige un instant. Ils ont vu ce qui s’est passé ? Et apparemment, même de loin, ça ne devait pas être beau à voir… Mon cœur s’emballe au fur et à mesure qu’elle parle. Le visage toujours dissimulé sous mon bas, je sens mon corps se crisper. Ma respiration s’accélère alors que les images défilent devant mes yeux. Les flammes des soldats, implacables malgré la pluie… Mes tentatives désespérées de me défendre et de répliquer tout en fuyant. L’assaut final au bord de la falaise… Oui, Ahloy a été mon esprit gardien… si elle n’avait pas été là, je serais bel et bien mort… Mais est-ce que ça n’aurait pas été mieux ainsi ? Entre être à moitié mort ou mort pour de bon, ne vaut-il mieux pas l’être complètement ? Des larmes de rage coulent alors sur mes joues. Je sers les poings et les dents. Le feu sous mes paupières closes alimente mon feu intérieur. Je me redresse alors d’un bond, écartant la jeune femme d’un mouvement brusque, et plonge les deux mains dans la bassine d’eau qui commence aussitôt à chauffer. Je tremble, j’enrage, mais je ne peux pas tout lâcher, et je n’ai trouvé que ça pour éviter le pire… Je ne ressens même plus la douleur. A genoux prêt de la bassine, j’essaie de calmer ma respiration saccadée. Alors que l’eau commence à frémir, manquant de me brûler au passage, je retire mes mains et les places sur ma tête. Ainsi recroquevillé, les larmes continues de couler sur ma peau brûlante. Tout s’est passé très vite, en quelques secondes, mais c’est tout ce qu’il faut à une bombe pour exploser… quelques secondes. Mais si j’explose ici, dans cette petite pièce en bois, je risque de blesser Ahloy, de me blesser moi encore plus, de détruire le navire…  

« Faut que je sorte… Faut que ça sorte… »

Trop de pression…

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11ème mois de l’année 49 de l'ère Ri Wu

Une étreinte… Ahloy me tient fermement dans ses bras tout en murmurant pour me calmer. Surpris, mon premier réflexe est de vouloir reculer de peur de la brûler, mais elle ne me lâche pas. Je me fige alors, le souffle coupé, puis fini par m’agripper à elle comme si ma vie en dépendait. Je ne retiens pas mes larmes. La tête enfuie sur son épaule, je craque complètement, mais au moins je ne brûle rien…

Je ne sais pas combien de temps nous restons ainsi, mais je fini par me calmer, retrouvant une respiration plus ou moins normale.  

« Merci… »

Je m’écarte légèrement, reniflant, le regard baissé, un peu honteux de ma réaction. Quelles retrouvailles… Si j’avais imaginé revoir Ahloy un jour, je n’aurais pas pu imaginer pire scénario que celui-ci… Assis par terre, avec moi qui a bien faillit exploser et qui a dû être consolé comme un gamin… On peut dire que ma fierté vient de prendre un sacré coup. Grimaçant, je tente donc de détendre un peu l’atmosphère et de faire comme si de rien n’était.

« J’promet de pas cramer le navire… Ce serait en effet contre-productif… »

Je grimace de nouveau, mais de douleur cette fois. L’adrénaline retombe, le câlin m’a clairement détendu, mais du coup mes blessures se rappellent à mon bon souvenir. Fixant mon bras bandé, je prends quelques inspirations avant de reprendre la parole.

« C’est cet assaut qui m’a fait tomber… Je n’arrivais plus à me protéger… J’ai voulus faire barrage, mon bras à tout pris… et j’ai basculé dans le vide… Ils étaient trop nombreux… »

La colère atténuée, je peux enfin répondre à sa question, d’une certaine façon. L’histoire est bien plus longue et remonte à bien plus loin… Cet affrontement n’a rien à voir avec Ahloy et Meixing, mais c’est pourtant bien leur sauvetage qui a tout déclenché…

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11ème mois de l’année 49 de l'ère Ri Wu

Une fois le calme revenu, la capitaine reprend ses soins. Le soulagement est immense. Je ferme les yeux, profitant de l’apaisement momentané. Je suis brisé, littéralement, mais je sais pourtant que je m’en sortira, comme toujours. Je suis vivant, j’ai une fois encore échappé à la mort, et je compte bien continuer à me battre pour lui échapper encore longtemps, même si mon état d’esprit actuel tend vers le contraire…

La voix d’Ahloy me fait rouvrir les yeux. Je croise son regard anxieux alors qu’elle attend une réponse. Est-ce à cause de leur fuite ?  

« Non ! Bien sûr que non, ça n’a rien à voir ! »

Je réponds précipitamment, voulant la rassurer sur ce point. Je tente même un nouveau trait d’humour, un petit sourire crispé aux lèvres.

« C’est parc’que j’suis trop fort, ils ont voulut m’engager dans l’armée. »

Mon sourire disparait lentement et je reprends d’une voix grave.

« Comme tu te doute, j’ai refusé… »

Je me tais un instant, hésitant à continuer. Elle dit pouvoir tout entendre, mais je ne veux pas qu’elle culpabilise pour la prison… Aussi, je décide de ne pas tout dire tout de suite, de déformer l’histoire pour l’allégée, la rendre plus… acceptable…

« J’ai été puni pour vous avoir aidées, mais rien d’insurmontable. Juste, j’ai été surveillé d’assez prêt, après ça. C’est comme ça qu’ils m’ont repéré. Mais rien de ce qui s’est passé sur cette falaise n’est à cause de ce jour… D’ailleurs, si c’était à refaire, je le ref’rais sans hésiter ! »

Sauf peut-être la partie où on tente de me tuer…

« Votre sauvetage, c’est la meilleure chose que j’ai faite de ma vie… Grace à vous, j’ai pu ouvrir les yeux… »

Et remettre en question toute mon éducation, toutes les idéologies que l’on tentait de m’inculquer, en vain… Et c’est pour ça qu’on a tenté de m’assassiner…

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11ème mois de l’année 49 de l'ère Ri Wu

Ahloy n’est pas convaincue par mes paroles… Elle est persuadée que leur sauvetage à tout déclenché. Et elle a raison… sauf que contrairement à elle, je ne retiens aucunement le négatif de cette histoire… Au contraire, pour moi ça n’a pas été le début d’une descente dans les profondeurs sombres du monde des esprits, mais bien le début d’une nouvelle vie, d’une nouvelle façon de penser…

Sauf que la capitaine semble avoir une autre vision des choses. Reniflant, elle me demande la vérité, refusant d’être préservée. Je garde pourtant le silence dans un premier temps. Ce n’est pas vraiment que je veuille la préserver, mais je ne veux pas qu’elle ressente de la culpabilité ou peu importe quel autre sentiment négatif pour ce qui s’est passé alors que moi-même je ne considère pas tellement pas cela comme un évènement traumatisant…
Certes, la prison m’a marqué, physiquement comme moralement, mais j’en n’ai pas vraiment été traumatisé pour autant. La dernière bataille par contre… ça je risque d’en cauchemarder encore longtemps… Mais elle n’y est pou rien dans cette histoire.

La jeune femme stoppe ses soins, me supplie presque de lui expliquer, tentant même également un trait d’humour qui ne me fait pas rire non plus. Je soupire et détourne le regard.

« Tu n’lâcheras vraiment pas hein… »

Nouveau soupire, le temps de me plonger dans de vieux souvenirs pourtant pas si anciens… Je n’ai encore jamais raconté mon histoire… Même l’homme que je considère comme mon oncle n’a jamais eu les détails. En pensant à lui, mon cœur se serre. Est-ce qu’il va bien ? L’ont-ils laissé tranquille après mon départ ? L’inquiétude me prend alors.

« J’veux bien te raconter, mais j’ai besoin que tu fasse un truc pour moi après… »

Je dois savoir s’il va bien…

« J’ai laissé une personne qui m’est chère, là-bas… faut qu’je sache s’il lui st arrivé quelque chose ou non… »

Je ne supporterai pas de perdre encore quelqu’un, surtout par ma faute…

« Tu crois… tu crois que ce s’rait possible de s’assurer qu’il va bien ? Même de loin… juste… j’dois savoir… »

Savoir qu’il est toujours libre et bien vivant…

J’attends que la capitaine accepte, non sans que ça ne discute un peu, puis fini par prendre une grande inspiration avant de me lancer dans mon histoire…

« J’ai été chopé pour vous avoir libérées Meixing et toi. Grâce à mon jeune âge, j’ai pu éviter la peine de mort. J’ai juste fait de la prison… pendant cinq ans… Le coup de la surveillance n’était pas un mensonge… C’était pour s’assuré que je sois bien rentré dans les rangs… »

Je garde les yeux baissés durant tout mon récit, un sourire narquois apparaissant au coin de mes lèvres sur mes derniers mots.

« J’ai réussi à jouer le jeu pendant sept ans… La suite, tu la connais déjà. »

Elle voulait des explications, pas besoin de détailler les joies de la prison… Parce que enfant ou non, ils n’ont pas fait de différences, et j’ai morflé autant que les autres prisonniers, mais au moins ça m’a forgé le caractère, en quelque sorte…

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11ème mois de l’année 49 de l'ère Ri Wu

Ahloy rit, un rire jaune, en réaction de ma demande. Lorsque le silence retombe, je retiens mon souffle, attendant la réponse. J’aurai pu faire cette demande sans passer par le marchandage, mais sur le coup c’était bien trop important pour moi, aussi ai-je simplement profité de la situation pour être sûr d’obtenir une réponse positive.

La capitaine fini par reprendre la parole, me faisant d’abord marcher en disant que ça n’allait pas être possible, puis se ravivant en s’exclamant qu’elle n’allait jamais refuser. Je relâche alors l’air retenu dans mes poumons, soulagé, et la remercie avant de commencer mon récit.

Une fois celui-ci terminé, mon amie raille sur mes précédents dires. Juste été surveillé de prêt… A sa remarque sur mon « inconscience », ou ma folie, je ne peux m’empêcher de rire. Un vrai rire cette fois, mais bref car la un lancement de douleur me fait grimacer et serrer les dents. Je prends alors une grande inspiration avant de lui répondre.

« J’suis surtout un très bon acteur, ce qui doit se rapprocher de la folie, surement… »

J’essaie de détendre un peu l’atmosphère, de réconforter Ahloy dont la voix trahi son état d’esprit… Sauf qu’elle s’en prend à nouveau à elle-même en s’accusant de ne pas être venue me retrouver avant. Clignant des yeux de stupeur, je réplique sur un ton sans appel.

« Non mais si vous étiez venues et qu’ils vous avaient à nouveau chopées, là par contre j’aurai eu la haine ! Je ne regrette pas mon geste, ni le fait de l’avoir payé, je t’l’ai dit, mais ce que j’ai… vécu… n’aurai servi à rien si vous aviez été à nouveau capturées. Tu as bien fait de n’pas venir ! »

La prison, mes grands-parents, l’armées… Le fait de les savoirs en vie et en sécurités Meixing et elle suffit à me faire digérer tout ça, mais cela aurait été tout autre si j’avais appris que ça n’avait servi à rien… Que j’avais subis tout ça pour rien…

Je crois qu’à cet instant précis, je me suis juré de les protéger de ma vie s’il le fallait… Parce qu’elles m’ont sauvées, surtout, mais aussi parce que j’avais besoin d’un but pour surmonter ma « mort »… Oui, ces dernières années n’ont pas été simples, mais c’était pour une très bonne raison…

Ahloy me demande vers où nous devons mettre le cap et qui est la personne qui est chère à mon cœur tout en reprenant ses soins bienvenus. Je baisse alors les yeux, prenant un instant avant de répondre.

« Il est… comme un oncle pour moi. C’est lui qui m’a accueilli a ma sortie de prison alors que… j’n’avais plus de famille… C’est quelqu’un de bien, il m’a entrainé et… il a l’esprit ouvert. »

Il n’a jamais cherché à savoir quoi que ce soit sur mon acte, ne m’a jamais poussé à parler si je n’en avais pas envie, et surtout il ne m’a jamais forcé à avaler la propagande à laquelle j’ai eu droit dès mon premier jours de prison… Il ne m’a pas poussé vers l’armée lorsqu’ils sont venus me chercher, il m’a permis de rattraper le temps perdu pour maîtriser mon élément…

« J’dois énormément à cet homme… »

Et si jamais il lui est arrivé quelque chose, je ne me le pardonnerai jamais…
Je soupire, puis reprends, répondant à la question du cap, plus délicate…

« Et pour c’qui est du cap… Ben il faudrait faire demi-tour en fait… Il vit prêt de Hikyo… »

D’où le « même de loin »… Je relève les yeux sur Ahloy, guettant sa réaction. Je lui en demande beaucoup, j’en suis conscient… C’est dangereux pour elle, et pour les membres du navire… Je ne connais pas l’histoire du bateau, je ne sais pas encore que nous sommes sur le Cursed Lotus, mais je connais une partie de son histoire à elle et à Meixing et je sais que la Nation du Feu n’est pas un endroit pour elles, et probablement pas pour les autres membres non plus… Et pourtant… je serai prêt à m’y rendre moi-même s’il le fallait…

« J’veux pas vous mettre en danger, j’sais pas comment on pourrait faire… mais je dois savoir s’il va bien… Je m’faufilerai vite fait et reviendrais aussitôt… »

De toute façon, je suis déjà mort, alors autant que ce soit moi qui y aille, en fait… Sauf que mon esprit devient trop incohérent pour élaborer un plan alors qu’une fatigue lourde s’abat sur moi, mais je ne flanche pas, concentré sur Ahloy, attendant…

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11ème mois de l’année 49 de l'ère Ri Wu

La capitaine éclate de rire de nouveau. Comme si j’allais y aller, dans mon état. Je m’apprête à répliquer, mais elle reprend qu’elle compte s’en occuper seule, qu’elle sait comment s’y prendre, et que c’est non négociable. Son sourire ne dissimule pas le ton autoritaire, et je suis bien trop fatigué pour répliquer, de toute façon. Mais l’explication ne tarde pas à venir, ce qui change sérieusement la donne : Ils sont traqués par la Nation du Feu. J’ouvre des yeux ronds à cette information et rétorque aussitôt.  

« Ok, laisse tomber ! Hors de question que tu t’mettes en danger pour moi ! T’en as déjà bien assez fait en m’sauvant la vie… »

Jamais je ne lui aurait fait cette demande en connaissant cette situation. Je m’en veux de lui avoir glissé l’idée en tête. Certes mon oncle est important pour moi, mais elle aussi, et il est hors de question de l’envoyer prendre des risques dans la nation qui la traque…

« Oublie tout ça. C’est complètement fou de toute façon. »

Et pour bien indiquer que le sujet est clôt, je détourne la conversation, ayant bien remarqué sa crispation lorsqu’elle a parlé d’un ancien membre qui… les aurait trahis ? Qu’a-t-elle vécu après leur libération ? Elle ne s’est surement pas contentée de voguer joyeusement sur l’eau en toute tranquillité… Essayer d’en apprendre plus est un bon moyen de lui faire oublier cette stupide et dangereuse demande…

« Ce navire… Pourquoi la Nation du Feu vous traque-t-elle ? J’veux dire… vous faites quoi exactement ? »

Parce que bon, je suis sur un bateau, ok, mais puisqu’apparemment je suis là pour un moment, autant savoir ce qu’ils font pour pouvoir me rendre utile, aussi…

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11ème mois de l’année 49 de l'ère Ri Wu

Ahloy semble se résigner, à mon grand soulagement. Elle me suit dans mon changement de sujet, me demandant si j’étais prêt à entendre la réponse, mais répondant avant que je ne lui assure que oui. Pourtant, je ne peux m’empêcher de me demander pourquoi elle me demande cela. Ce qu’ils font est si terrible que ça ?

La capitaine met fin aux soins et laisse retomber l’eau dans la bassine avant de venir s’installer à côté de moi. Elle m’explique alors ce qu’ils font, précisant que tout le monde est le bienvenu du moment qu’Azulon est l’ennemi commun. Mon cœur se serre à l’entente de ce nom. Il y a quelques jours à peine, il était toujours mon seigneur… Même si je n’embrassais déjà plus sa cause, même si je réfutais déjà les méthodes utilisées depuis bien longtemps, je ne me voyais pas quitter ma nation pour autant… Malgré tout ce que j’ai subis, malgré mes actions, je suis toujours un maître du feu fier de sa grande nation… Ou du moins l’étais-je, lorsque j’étais toujours en vie…

Mon amie fait une pause le temps d’appliquer un linge humide sur la brûlure de mon bras. Le contacte me fait brièvement grimacer et ramène mes pensées vers elle. Je ne sais que dire, doutant encore de savoir si oui ou non le seigneur Azulon est désormais mon ennemi… Heureusement, elle reprend la parole, m’épargnant une réponse. L’émotion dans sa voix est palpable, je peux la sentir malgré la fatigue et la douleur. Je l’écoute sans un mot, lui laissant le temps de s’exprimer à son aise. J’ai envie de la prendre dans mes bras pour la réconforter à mon tour, de lui dire que je suis désolé pour ce qu’elle à vécu, que cet homme est un salop… mais quelque chose m’en empêche. Malgré l’émotion qu’elle peine à contenir, je fini par répliquer sur un ton soudain froid.

« Tu es consciente que tu es en train de refaire la même chose ? J’veux dire… je n’sais pas comment ce gars est arrivé sur le navire exactement mais… Comment peux-tu avoir confiance en moi après ce qu’il s’est passé avec lui ? Qu’est-ce qui nous différencie lui et moi pour que tu n’te poses même pas la question de savoir si je suis un potentiel espion ou non ? »

Il y a quelques jours encore, ma loyauté allait à la Nation du Feu, quels qu’aient été mes actes et mes idées… A ce jour, je me rends compte qu’il m’est impossible de savoir ce en quoi je crois encore ou non… Je dois la vie à ce navire, à Ahloy et à Meixing, et probablement à tout le reste de l’équipage, mais pourrais-je leur donner une confiance aveugle pour autant ? Voir ma confiance tout court… ? Après tout, nous ne nous connaissons pas vraiment… Oui je les aie libérées il y a des années de cela, mais nous ne connaissons rien l’un de l’autre pour autant, de nos histoires respectives, de nos vécus… Même si elle a pu avoir un petit aperçu de la mienne… et moi de la sienne…

Je soupire avant de reprendre, un peu plus doux.

« Ma Nation ma tué, mais je n’en reste pas moins un maître du feu… Je suis désolé pour c’qu’il s’est passé… ça a dû être horrible pour vous… et pourtant tu n’sembles pas douter de moi une seule seconde… pourquoi ? »

Quelles que soient mes tourments, je ne compte pas la blesser pour autant, ni elle ni aucun membre du navire, et je compte bien le lui assurer sur la vie qu’elle m’a sauvée, mais l’histoire qu’elle m’a conté semble l’avoir énormément touchée, raison pour laquelle je suis interpellé par son comportement envers moi, un gars de ne la Nation du Feu, qui reproduit un scénario déjà vécu, et qui pourtant ne semble pas inquiéter outre mesure… Je cherche juste à comprendre, et à lui faire comprendre…

« Fais attention à qui tu accordes ta confiance… »

Il ne s’agit pas là d’un avertissement, mais bien d’un conseil. Et moi, ai-je jamais seulement accordé ma confiance à qui que ce soit… ?

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11ème mois de l’année 49 de l'ère Ri Wu

Apparemment, j’ai visé juste, vu la façon dont Ahloy me fixe… Un long silence s’installe alors. Je soutien son regard, l’air sérieux. Sa tête aurait pu me faire rire en d’autres circonstances, tout comme les paroles qu’elle fini par ma balancer en pleine face. En fait, je ne peux contenir un petit sourire face à ses mots. On me l’a souvent dit, que j’étais un p’tit con… Voir carrément un con tout court… Mais ce sourire s’efface en un quart de seconde. Elle reconnait que je n’ai pas tort, et pourtant… Sa réponse me fait baisser les yeux. Ma gorge se serre alors qu’elle évoque la chute. Elle aussi n’a pas tort : qui frôlerait autant la mort pour une simple histoire d’espionnage ? Et pourtant,  ma nation en serait bien capable de pousser le vice à un tel point… Ma nation… non… Ils m’ont tué, je ne fait désormais plus partie de rien, et surtout pas de la Nation du Feu…

Mon poing valide se serre a son tour alors que la capitaine reprends. Elle dit avoir une dette envers moi, et ajoute que de toute façon, l’histoire ne pourra pas être la même puisqu’elle ne me considère pas comme un potentiel fiancé. Ses propres mots l’a font rire, et malgré moi je me laisse contaminé, mais mon rire est triste et étranglé… Je dois prendre quelques inspirations avant de pouvoir répliquer, m’efforçant de ne pas détourner les yeux d’elle afin d’appuyer mes dires.

« Tu n’as aucune dette envers moi. Sans toi, sans vous… je s’rais bel et bien mort…  »

Nouvelle inspiration, je tente de ravaler la boule qui m’obstrue la gorge et rend ma voix éraillée et tremblante, en vain.


« Et tu n’es pas débile ! Un jour, si tu le souhaites, j’aimerai en apprendre plus sur cette histoire… Mais pas ce soir… Ce soir… j’veux juste te r’mercier… et t’affirmer que quoi qu’il arrive, jamais je n’vous trahirai, de quelque façon qu’ce soit. »

Je fini par détourner les yeux, les posant sur mon bras blessé.

« Je n’sais pas de quoi s’ra fait demain, mais sans toi il n’y en aura pas eu… Donc merci… »

J’aimerai en dire plus, mais je n’y arrive pas. Il va me falloir du temps pour me remettre les idées en place, pour retrouver une place… Pour me retrouver…

« Et méfie toi, tu pourrais finir par tomber sous mon charme sans t’en rendre compte, que tu l’veuilles ou non. »

Tout comme elle, je sors ces derniers mots pour détendre un peu l’atmosphère, mais le sourire que je tourne vers elle est bien pâle… La fatigue m’embrouille l’esprit, pourtant j’ai peur de dormir… J’ai l’impression d’être un gamin perdu… et bien perdu…

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Remember me

11ème mois de l’année 49 de l'ère Ri Wu

La capitaine me renvoie ma boutade et je ris avec elle, grimaçant bien vite par la suite. Ca fait mal de rire…. Elle fini par se lever, annonçant son départ sous prétexte que nos blagues vont finir par m’achever. Cela me fait rire de nouveau, un rire mélangé à de la toux.

« T’as raison… pas sûr… que le rire… soit le meilleure… remède… en ce moment…  »

Je réussi à articuler ces mots avec difficulté, entre rire et larmes, tentant de calmer les soubresauts douloureux provoqué par l’hilarité. Mais ça me fait pourtant du bien, de finir ainsi la conversation. Ahloy, elle, laisse échapper un bâillement sonore. Elle m’ordonne de me reposer et ne pas hésiter à appeler un dénommé Tibuo au besoin. Si c’est le gars qui m’a soigné jusqu’à maintenant, elle vient de me fournir l’explication du pourquoi il n’est pas très causant… Un « oh » muet de compréhension s’affiche alors sur mon visage. Bon à savoir…

La capitaine fini par s’éclipser, non sans un dernier sourire, me laissant seul dans la cabine. Je reste alors immobile quelque instant, le regard fixé sur la porte. L’hilarité d’il y a à peine quelques minutes à totalement disparue. Je m’allonge avec raideur sur la paillasse, les dents serrées, et viens replacer mon bras valide sur mes yeux alors que des larmes s’en échappes malgré moi. Si je n’avais pas aussi mal, je me serais bien roulé en boule pour pleurer tout mon saoul. Au lieu de ça, je laisse mon désespoir s’écouler en silence, le corps secoué de sanglots retenus et une phrase tournant en boucle dans mon esprit vidé, en dehors de ces quelques mots : Nomura Taiyo est mort…

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