Tout avait changé depuis Omashu. De cela, tu n’es que trop conscient ; tu le sens dans l’atmosphère, tu le vois dans les yeux de tous ceux qui t’entourent, tu n’entends plus autant de rires dans les montagnes. Même le Temple de l’Air de l’Est te paraît terriblement lugubre, par moments ; alors que dire de la Tour. Que dire de toi. Tu as eu ton moment de faiblesse à Omashu, en parlant à Shi Xiaoliang et au chevet de tes enfants ; maintenant tu es devenu encore moins loquace qu’à l’ordinaire. Tu t’es renfermé sur toi-même, et tu prévois de passer quelques temps en séclusion ; parce que tu te sens coupable. Encore une fois tu n’as pas été assez fort, tes enfants ont été blessés, sinon physiquement, au moins moralement. Tu t’en veux, ta culpabilité te rogne, et tu t’entraînes encore plus durement qu’à l’ordinaire, tu te pousses plus que de raison. Peu importe ce que ta femme te dit - tu continues à jouer avec le feu. Heureusement qu’il ne lui est rien arrivé en plus ; si quelque chose était arrivé à ta moitié en plus de ce qui est arrivé à tes enfants, tu ne l’aurais pas supporté.Il y a ce mur, cependant, que tu as érigé entre toi et les autres : le mur de ta culpabilité et de ton dégoût de toi-même. Tes enfants ont été blessés alors qu’ils étaient avec toi à Omashu. Enfin, pas exactement avec toi, et c’est pour ça que tu es d’autant plus furieux contre toi-même : tu n’as pas avancé assez vite, tu n’as pu les rejoindre que lorsqu’il était presque trop tard, quand ils étaient déjà blessés par cette charge de rhino-komodos.

Le seul avantage, si tu oses parler ainsi, est que désormais ta colère contre la Nation du Feu est devenue personnelle - et tu ne parles pas de ta blessure au bras. Tu l’oublierais presque ; elle ne t’a pas empêché de te débrouiller au quotidien, tu étais toujours capable d’enseigner, alors sincèrement ? Peu importe. Une cicatrice de plus ou de moins, au fond, ce n’est pas ça qui changera grand-chose pour toi. Non, ce qui est devenu personnel, ce sont tes enfants blessés, ce sont tes camarades tombés au combat ; c’est intolérable, et si tu avais besoin d’une raison supplémentaire d’en vouloir à la Nation du Feu, la voilà. Il t’est dur, si dur, d’agir comme auparavant, d’enseigner comme si le monde n’existait pas en dehors de ces montagnes, comme si les habitants du Royaume de la Terre n’étaient pas en souffrance. Mais tu dois être fort. Pour tes élèves, pour ta famille, pour la Tour, pour les Nomades de l’Air. Tu as des responsabilités ; tu ne peux pas, simplement, aller affronter la Nation du Feu à toi tout seul. Tu as beau être en colère, tu n’en as pas encore perdu le bon sens.

En colère, et abattu, en réalité - mais cette seconde émotion, tu ne l’avouerais pas volontiers, tu le caches de tous à commencer par toi-même. A peine effleurer le tiers de la moitié du quart du sujet te met déjà profondément mal à l’aise. Tu n’as jamais aimé parler de tes émotions, et la situation actuelle ne fait rien pour arranger les choses - au contraire. Tu ne peux pas faillir, parce que tu es le Grand Maître Zhang. Un roc, un modèle. Si tu t’écroules, tout s’écroule ; du moins c’est ce que tu ressens. Alors que peux-tu faire, à part méditer, tenter de faire le vide en toi, te focaliser sur les choses que tu peux réellement contrôler ?

Mais voilà qu’à la fin de ton enchaînement avec Ruying, tu entends les pas d’un disciple de la Tour s’approcher de toi, alors qu’il t’appelle ; et sitôt qu’il t’explique la situation, à savoir qu’un membre du Jardin s’approche de la Tour, tu te dépêches. Il serait fâcheux que ce visiteur impromptu se fasse blesser par les systèmes de protection de la Tour - les relations entre ta secte et le Jardin risqueraient de virer au froid polaire, et ce n’est pas le but. Vous devez vous entraider, pas vous entredéchirer pour des soucis facilement évitables.

Une fois sorti, tu t’avances vers le nouvel arrivant, que tu reconnais.

“Grand Maître Yuan, quel plaisir de vous revoir.” Malgré tes réticences envers le Jardin, qu’il ne soit pas dit que tu n’es pas poli envers ses membres. “Quel bon vent vous amène ?” Ce n’était pas habituel que quelqu’un du Jardin vienne jusqu’ici ; à fortiori celui-là, et quelque chose te dit que cela n’a rien d’officiel. Une lettre aurait été envoyée sinon - non, cela doit relever du personnel, et certainement de quelque chose de très spontané.

@Yuan Lingwei