Jin voulait être partout ailleurs excepté dans cette maison, pleine de souvenir plus terribles les uns que les autres. Seulement, il ne savait pas où ailleurs. Depuis un mois, Jin se sentait mal, comme s'il lui manquait quelque chose. Parfois, il se mettait à sourire, assuré qu'une chose merveilleuse était apparue et qu'il méritait le bonheur, mais son esprit était brumeux, comme s'il lui manquait la moitié du souvenir, parce qu'il n'arrivait pas à savoir quelle était l'origine de sa joie.

Alors il s'était concentré sur son plan. Faire sortir Cheng d'ici, c'était comme une urgence, comme la seule chose qui le maintenant à flot, comme s'il croyait que cette fois-ci c'était possible. Pourtant, ce mal de tête n'en finissait pas. Il était moins efficace et son père l'avait remarqué. Alors il s'était vengé, parce que le Père Shao n'était pas quelque bien. Si Jin avait mis du temps à le comprendre - il admirait tellement cet homme autrefois qu'il voulait lui ressembler - aujourd'hui, il était incapable de ne pas remarquer la moindre de ses mesquinerie. Et la dernière en date était de l'humilier en le faisant peindre.

Jin était doué pour se battre, il avait des réflexes hors du commun et dans son coeur, il croyait en la justice et une aube meilleure, mais dessiner ? Il n'avait jamais fait ça. Même écrire c'était rare qu'il s'y adonne. Il avait appris comme tout fils de bonne famille, il traçait plus ou moins correctement ses lettres, mais il ne prenait aucun plaisir. Alors peindre ?

Seulement, Jin ne s'était pas dérobé. Il avait incliné la tête, acceptant la punition tout en préparant son évasion dans sa tête. Il ne vivait plus que pour ça : partir d'ici. Or il ne pouvait se confier à personne, même Cheng était frileux et il devait agir discrètement, doucement, ne pas l'effrayer, le convaincre de son plan avec une douceur qu'il ne savait pas posséder. Pourtant, il s'y accrochait avec force.

« Oui, je sais. Dois-je vous appeler Maître Matsumoto ? » demanda Jin, résigné. Il savait que son père hurlerait de rire et que c'était ce qu'il espérait. Le jeune artiste n'avait qu'à peine la vingtaine, soit dix de moins que Jin. C'était humiliant, pile ce que son père aimait.  « Entrez, installez-vous. » dit-il enfin en le guidant dans la pièce qui accueillerait le cour. Jin était surveillé, il en était absolument certain, il ne pourrait pas se faire de Seiya un allié ou un camarade. Cette leçon devait être affreuse pour eux deux. Il en était presque désolé pour le jeune homme, mais Jin avait trop de problèmes pour ce soucier de ceux d'un gamin.

« Par quoi dois-je commencer ? »

Jin était debout, tentant de se tenir le plus droit possible - il connaissait la réprimande s'il s'affaissait - et attendait la suite des évènements. Il ne savait rien, dans ce domaine là, il était totalement débutant.

Quand on rencontre une nouvelle personne, on n'a pas les codes pour lire sur son visage. Jin était incapable de savoir que ses mots, qu'il avait voulu polis, étaient vexant. Il venait d'une famille élevée dans la société d'Hikyo, mais leur mère n'avait jamais pris le temps de les former à la bonne société, Jin ne savait qu'être un soldat. Un de ceux qui ne pense pas, qui obéit aux autres et qui courbe la tête. Comment aurait-il pu deviner que dire Maître Matsumoto humilierait le jeune Seiya ? Il aurait pu savoir, mais il n'avait pas réfléchi comme un jeune noble en punition, il avait uniquement pensé comme le soldat qu'il était.

Obéissant de nouveau, Jin s'assoit. Il se sent mal à l'aise, il n'aime pas cette position dans cette configuration, mais il n'a pas le choix. Par contre, quand son nouveau maître de peinture reprend la parole, Jin se sent horriblement vexé. « Je sais écrire, merci. » grogne-t-il. Il n'est pas doué pour autant dans cet exercice et mais c'était bien la seule chose que sa mère leur avait enseigné, à son frère et elle. Savoir écrire correctement. Il a appris par la force des choses, en répétant, mille fois chaque geste. Il sait dessiner les symboles, mais il ne sait pas improviser un trait, il ne sait pas inventer. Il n'a aucune notion de beauté ou de douceur. Tout chez Jin est droit, carré, maté.

« La peinture non » avoue-t-il enfin de mauvaise grâce. « Mais je suis bon élève. » Voilà la première parole optimiste depuis le début. Jin apprend, peut être pas toujours rapidement, mais il s'applique. Il a trop peur des punitions, trop peur de la colère de son paternel, trop peur de tomber encore plus bas. Alors il fera des efforts. « Disons que je n'ai pas plus le choix que vous et que je vais m'appliquer pour faire durer cet enfer le moins longtemps possible. » Matsumoto n'est pas bête, il sait la vérité, autant être direct dès le départ. Il ne retourne pas le regard vers son professeur, s'appliquant à dévisager la toile blanche face à lui, espérant qu'elle se dessine par la seule force de sa pensée et qu'il soit libéré de cette mascarade.

Cela démarrait vraiment mal. Et, dans une situation objective, on aurait pu admettre que ce n'était pas de leur faute ou alors de leur faute à tous les deux. Seulement, Jin n'était pas objectif, Jin était vexé, saoulé, dénigré. Et il n'avait pas envie de subir les remontrances d'un gamin venu lui enseigner un art aussi futile que la peinture.

Ses mots étaient peut être choisis sans soin, le ton sec de Seiya le surpris. Pourtant, il aurait dû le savoir, il est jeune, évidemment, qu'il allait répliquer. Tout bien élevé qu'on soit, l'orgueil est une tare commune à tous les membres de la nation du feu. Il inspire doucement, relève la tête pour se tenir plus droit, il évite le regard de son maître du jour, mais ne l'ignore pas totalement non plus. Il fixe son menton, voilà, c'est plus simple. Il cherche à lui répondre, mais il ne sait comment formuler à voix haute tout ça. Comment lui dire qu'il veut fuir ces terres, mais qu'il ne se souvient même plus pourquoi ? Comment lui expliquer que son coeur brûle pour une femme qu'il a trahi et qui ne lui pardonnera jamais ? Tout est compliqué. Rien n'a de sens. Et le voilà en train d'assister à une leçon de morale sur la peinture. Sa sensibilité, ah ! Quelle est drôle celle-là. Sa famille a passé son temps à tenter de le faire rentrer dans le moule, à le rendre dur, droit, fier, à lui faire oublier même l'envie d'avoir une idée propre... et voilà qu'elle veut le laisser aller à la sensibilité ? S'il le pouvait, il se mettrait à rire.

« La calligraphie ne fait pas partie de mes loisirs. » Le ton est calme, mais cela ne sert à rien de le préciser. Jin préfère répéter bêtement et agir simplement. Après tout, Seiya ne semble pas presser de le laisser partir, il va falloir qu'il prenne son mal en patience. Malgré la pique sur les Sakai - a-t-on donc le droit d'exprimer son opinion de la sorte ? intéressant - Jin ne sourit pas. Il va passer une après-midi affreuse. « Et bien puisque je n'ai aucune des qualités requises pour peindre, allons-y. » Pour peu, il aurait rajouté un youhou, mais son ton neutre est assez représentatif de son état d'esprit. « Je suis peut être un Shao, fils d'une longue lignée de soldat, je vais faire en sorte d'être le moins mauvais possible, » et cette fois-ci, il ne résiste pas, «  Maître Matsumoto. » Ce n'est pas de la méchanceté, promis, c'est qu'il est habitué à s'adresser directement à la personne à qui il parle et à lui offrir son respect - parce qu'il est souvent le moins gradé de la pièce.

Assis bien droit, face à la feuille, il regarde le blanc sous ses yeux. Va-t-il réellement devoir essayer de faire quelque chose seul ? Et de le rendre potable ? L'artiste ne semble pas être prêt à être corrompu, il ne pourra donc pas dessiner à la place de Jin, mais toute supercherie serait découverte de toute manière. L'encre devant lui, ses couleurs à côtés, le pinceau à portée de doigts. Jin retient un soupir. « Je suppose que je n'ai aucun modèle ? Je dois vraiment partir de... moi-même ? » Comment dire que, la seule chose qu'il ressent quand il ferme les yeux, c'est la violences des vagues d'eau qui s'abattent sur lui quand il voit Ahloy s'éloigner de lui ? Il n'a pas le droit de dessiner sa peine ou son amour. Il n'aura donc rien à dessiner.

Le ton sec, froid, cassant du professeur lui fit mal, parce qu'il lui fit se sentir imbécile. Or, s'il était habitué à être traité de la sorte dans cette nation, Jin n'aimait pas particulièrement ça. Il retint pourtant son soupir, ce n'était ni le lieu, ni le moment. Il se contenta de rester stoïque, sans émotions sur son visage, encaissant ce cour qu'il détestait déjà. Peindre, bon sang, pourquoi lui ? Il ne deviendrait jamais un artiste, en fait, Jin venait de s'en rendre compte, il ne deviendrait jamais autre chose qu'un soldat. Et ce noeud dans son coeur se fit plus dur. Jin était condamné à n'être rien de plus qu'une copie de son père, alors qu'il avait tout fait pour s'en détacher. Dire qu'il ne voulait pas de cette voie, dire qu'il avait tenté de s'en échapper, mais son Père obtient toujours ce qu'il veut et Jin n'a qu'à courber l'échine.

Le cours est clair, une fois qu'un la supériorité de l'autre a été acquise, une fois qu'il était dans son élément, Jin le trouve mon pédant. Bien sûr qu'il lui parle comme un enfant, mais il imagine - lui qui n'a pris des cours que dans l'armée - que c'est toujours comme ça qu'on s'adresse. Alors il écoute, il tente de suivre le geste du mieux qu'il peut avec ses yeux pour être capable de le reproduire. La chance d'arriver à quelque chose de potable est minime, mais Jin l'a déjà dit, il sait essuyer des échecs, il sait recommencer encore et encore. Tant pis s'il abîme douze pinceaux, tant pis si ses premières toiles ressemblent à un amas de crotte d'enfants, il y arrivera parce que, sur l'influence de son père, il réussi presque toujours à tenir ses objectifs - ceux fixer par son paternel, bien sûr.

Il trempe le pinceau, le plus délicatement possible, mais évidemment ça ne rend pas comme le pinceau de Seiya. Alors il essuie l'encre noire dans le verre d'eau, juste à côté, puis sur le petit chiffon. Et ce, autant de fois qu'il lui faut pour réussir à mettre assez de peinture mais pas trop. Tout un art. A aucun moment, Jin ne parle ou ne regarde son professeur. Il s'applique, il essaie de lui-même. Enfin, une fois satisfait, il met son pinceau, bien à l'horizontale sur la feuille et trace le premier trait. Seiya a sûrement exagéré sa lenteur, mais Jin ne va pas plus vite. Il sait qu'en brûlant des étapes on obtient jamais le bon résultat, des heures d'entraînement au lever du jour le lui ont appris.

Le premier trait ne ressemble pas vraiment à ce que Seiya à fait, mais il est plutôt fier de lui. Il a fait un trait de peinture sur sa feuille ! Il se retourne vers son professeur, un sourire aux lèvre. « Allez, avouez ! Pour un premier essai, c'est pas siiii mauvais. » Pourquoi est-il soudainement heureux de peindre ? Pourquoi Jin s'était-il pris de joie pour l'exercice ? Il ne pensait pas qu'un seul trait avec trois noeuds sur une feuille blanche puisse lui procurer de la joie. Il ne pensait pas être capable de mettre de la peinture sur une feuille et que ça ressemble à quelque chose. Il s'était attendu à ce que tout dégouline, que la feuille se casse, que sa main soit trop lourde, ou qu'une explosion de feu jaillisse de lui-même, qu'importe, il s'était attendu à une catastrophe. Il sourit et, lentement, il rince le pinceau, le retrempe dans l'encre et fait une deuxième tige, en s'appliquant tout pareil.

Puis, il essaie les petits mouvements de gauche à droite comme Seiya l'avait fait pour mieux représenter les noeud. Le premier est raté, le deuxième un peu moins pire, le troisième plutôt correct. Et le pire dans tout ça ? Il s'amuse drôlement. « Je » Il s'interrompe pendant qu'il est en train d'essuyer la pointe du pinceau. « Je voudrais m'excuser » Ces mots sont durs à prononcer, mais il les doit bien. « Je n'avais pas envie d'être ici, tout comme vous je l'imagine, mais en réalité, je crois que... faire autre chose que ce que j'ai toujours fait est... intéressant. » Il allait dire libérateur, mais il est certain qu'on l'écoute et il ne veut pas donner trop de grain à moudre à son père. Déjà qu'il risque de se faire reprendre sur le choix d'une excuser pour un Sakai. « J'en fais un troisième ? » demande-t-il ensuite, pour proposer au professeur une porte de sortie s'il ne veut pas rebondir sur ses excuses précédentes.

Jin est passé de la bouderie extrême à un franc regain pour cette activité artistique qu'il n'aurait pas pu prévoir. Il apprécie de faire autre chose que d'obéir à des ordres et se blesser. Oh, il est vrai que maintenant son corps n'est plus couvert de bleu à chaque fin de séance, mais il est tout de même bien épuisé et toujours en train d'apprendre et de se former et surtout d'être un paillasson pour tous les autres.

C'est là qu'il comprend qu'il a agit de même envers Seiya alors que lui, plus que tout autre, aurait dû s'en rendre compte et améliorer son comportement plutôt que d'écraser ceux qui sont plus petit. Voilà pourquoi il s'excuse, parce que, s'il rêve d'un monde meilleur il faut qu'il commence par lui-même. Voilà pourquoi il est si fier de son dessin aussi, parce qu'enfin il est autre chose qu'un soldat et peut être qu'un jour, il pourra totalement se débarrasser de cette carapace là. Même quand il était un pirate durant ses années de fuite, il n'était toujours qu'un soldat, sans maîtrise certes, mais un soldat.

Le regard qu'il lui jette, quand le professeur de peinture lui rend ses excuses montre qu'il n'est pas dupe. Evidemment que Seiya est en infériorité ici, évidemment que c'est à lui de s'écraser face contre terre, comme Jin l'a toujours fait, lui qui n'était toujours rien de mieux qu'un moins que rien. Il essaie donc de lui transmettre par ce simple regard qu'il comprend sa position. Mais il ne peut rien faire de plus, parce qu'ils sont dans l'enceinte de la maison Shao et qu'un domestique traîne sûrement ses oreilles quelque parts que chacun de leur parole sera rapportée au pratriarche. « Oh, je suis votre premier élève, quel honneur. » Ses paroles, un peu moqueuse n'en sont que pour des oreilles indiscrètes. Seiya doit bien voir son franc sourire s'étire sur ses lèvres et ses yeux briller d'amusement. Jin a toujours été très doué avec Cheng pour avoir deux conversations en même temps. Celle transmise par les mots et celle transmise par le regard. Ils se comprennent d'un seul coup d'oeil. Pourtant, est-ce que Seiya est capable de même ? « J'en suis le premier étonné, mais oui, la peinture me plait. Réellement. » Il n'a fait que deux traits et trois noeuds, il n'a passé que de longues minutes à tremper puis essuyer sa peinture dans le chiffon, pourtant, déjà, il y trouve une forme de beauté. Tout comme il aime la façon dont son feu brûle et il trouve dans l'art de sa battre une pratique sublime. Jin a toujours été sensible à l'art, mais de manière cachée, détournée.

Le jeune professeur lui demande de recommencer, mais cette fois-ci, le ton est plus doux. Jin sourit. C'est un peu faible comme sourire, mais depuis des années il n'a pas le droit d'avoir une autre expression que la concentration sur son visage alors... ce n'est pas toujours naturel. « D'accord » Et, replongeant dans un silence de concentration, Jin recommence.

Jin est réellement appliqué et travailleur. Il sait bien qu'il n'a aucun don, en rien. Il n'était pas bon en guerre, pas bon en maîtrise, pas bon pour lire. A ce jour, il maîtrise toutes ces activités, parce qu'il n'a pas eu le choix, son père l'a entraîné jusqu'à ce qu'il cède, qu'il craque. Combien de fois, enfant s'est-il évanoui de fatigue ? Aujourd'hui encore, il est rare que Jin fasse des nuits complètes. Entre la peur de l'échec et les cauchemars, mais au moins, il aura appris la persévérance. Alors il s'applique, il essaie. Certains traits sont trop dur, trop épais, d'autres au contraire sont trop fins. Il essaie de faire au mieux pour éviter le gaspillage de papier : il sait bien que ça lui sera reprocher plus tard, mais c'est injuste car on ne peut réussir sans s'entraîner. Pourtant, au bout d'un certain nombre élevé d'essai, il finit par obtenir le coup de main nécessaire pour ne plus faire d'erreur à chaque essai. Ce n'est pas de l'art, personne n'achèterait les oeuvres de Jin, mais au moins, il n'a pas troué la feuille, il n'y a pas d'encre ailleurs que sur la feuille - et le bout de ses doigts. Quand il relève la tête, enfin, vers Seiya, il est essoufflé. Comme s'il avait couru un marathon. Alors qu'il n'a fait que peindre. Peut être, qu'il avait réellement mal jugé la peinture, comme pour tout.

Quand le jeune peintre se remet à parler, utilisant le même ton, la même posture et les mêmes styles de phrases à double sens, Jin sait qu'il a gagné un allié. Oh, bien sûr ce n'est que le début, bien sûr ils ne seront jamais amis, bien sûr quand Jin réussira à quitter cette nation qui ne veut pas son bonheur, Seiya sera le premier à le récrier et à le calomnier... mais durant ces quelques années encore où il doit rester ici, où il doit survivre, il y aura un visage moins haineux pour l'accueillir. Et c'est un début, un très beau début.

Chez les soldats, beaucoup viennent du peuple et sont mieux gradés que lui, beaucoup mettent les pieds dans le plat à chaque phrase et peu maîtrisent la courtoisie à double tranchant de la noblesse. Jin a toujours eu un pied dans les deux, de par son père et par sa mère. Il n'était ni vraiment respecté dans un lieu ni dans l'autre, navigant comme il le pouvait. Cheng s'est toujours mieux débrouillé dans tous les cas. Et savoir qu'il ne sera peut être plus aussi seul à vouloir se rebeller contre le monde lui procure un soulagement indescriptible. Même si ça l'oblige à prendre régulièrement des cours de peinture. « Nous pouvons donc remercier nos parents pour cette ... organisation. » Le mot parent sonne naturellement sur ses lèvres, mais son visage se rebelle à l'idée de les apprécier. Il espère que Seiya ne rira pas, qu'il comprend et vit la même chose.

L'étape suivante est plus compliquée. Jin s'applique, comme il l'a promit. Il essaie, ça ne rend pas aussi bien, des pâtées d'encre se forment, il appuie trop, ou pas assez. Même s'il a envie de bien faire, il n'est tout de même pas un artiste. Il lui manque trop d'années d'expérience. Pourtant, il continue, comme on le lui a appris, il s'acharne, il recommence, il reprend son pinceau, il n'abandonne pas.

« De l'irrégularité contrôlée, » grommelle-t-il entre ses dents pendant qu'il tente de peindre des petites branches. Il n'a pas le coup bon coup de pinceau et sa main est trop lourde, les branches sont trop épaisses. Puis, finalement, au bout d'un certain nombre d'essai - mille selon Jin - il y arrive. Sa branche finit par ressembler à quelque chose. « C'est... réussi ? » demande-t-il, tout penaud. Honteux de lui-même de ne pas avoir réussi à se contrôler assez, peureux de recevoir des coups, comme son père le faisait quand il était enfant. Cette peur est liée au traumatisme, elle ne disparaitra jamais. Oubliant où il est, où il se trouve et avec qui, la voix se Jin se brise. « Je ferai mieux ensuite. » A cet instant, il ne fait pas ses trente ans, il est redevenu l'enfant qu'il était.

Pendant un instant, Jin s'était oublié. Entre le lieu - chez ses parents -, ses tentatives infructueuses et la pression qui lui pesait sur les épaules, il avait mis de côté que son professeur était plus jeune que lui, que son maître d'art était un enfant abîmé comme il l'avait été et que tout ça n'était qu'une vaste farce. Oui, il avait tout oublié et s'attendait à recevoir les foudres de ses supérieures. Si elles étaient moins douloureuses que celles qui s'abattait, enfant, sur lui par son père, elles restaient encore violemment ancré en lui. Jin n'avait pas le droit à l'erreur.

Alors, quand Matsumoto  Seiya prononce une phrase réconfortante, Jin respire mieux. Ces mots ce ne sont rien d'autre qu'un soutien inébranlable de quelqu'un qui a vécu la même chose. C'est un je te comprends bénéfique. Entre eux, les enfants ne parlent pas de ce négatif, et chacun croit être le seul à vivre l'ignominie. Mais ils n'étaient pas seul, maintenant qu'il a vécu, Jin le comprend mieux. Et il sait que jamais, il ne sera un tel père. Enfin, il ne sera jamais père tout court, mais ça, c'est une autre histoire.

Sa respiration se calme enfin, les rougeurs de ses joues disparaissent et la pression s'éloigne. Il ne prononce pas un mot, avec un peu de chance, sa crise de panique sera passée inaperçue pour les observateurs. Il se redresse. Et de sa voix la moins tremblante possible il affirme.

« Oui, une pause et une bonne tasse de thé. »

Il sourit, de son sourire forcé, pour revenir à la normal. Il faut reprendre consistance et redevenir le parfait soldat qu'on attend qu'il soit. Cet instant de doute, de peur, d'égarement, ne doit plus avoir lieu. Avec des mouvements méthodiques et un peu détaché de lui-même, Jin lave ses pinceaux, range la peinture, écarte la toile pour qu'elle ne soit plus au milieu de la pièce, puis il va chercher le service à thé.

« Merci pour ce premier cour de peinture, c'était... très intéressant. Vous » Il s'arrête un instant avant de continuer dans un souffle « êtes un bon professeur. » C'est la vérité et c'était important à dire.

Le thé en main, Jin se sent honteux, il a craqué comme il ne l'avait plus fait depuis longtemps. En réalité, Jin n'a jamais été très bon à cacher ses émotions, sûrement parce que Cheng l'a protégé une bonne partie de son enfance et lui a permis d'être un petit garçon vivant mieux que ce qu'il a pu vivre, sauf qu'aujourd'hui Cheng n'est plus là pour le sauver, sauf qu'aujourd'hui on attend toujours de lui qu'il agisse mieux que ce qu'il ne fait. Alors il a honte, parce qu'il n'a toujours pas appris. Pourtant, Seiya ne dit rien, Seiya ne l'humilie pas, Seiya ne le frappe pas. Il sourit en versant du temps. Un sourire de façade, un sourire plaqué sur sa face comme par habitude. Un sourire simple, limite un peu benêt, de celui sur qui les choses coulent, alors qu'il prend tout pour lui.

Les deux tasses servies, il laisse son professeur du jour choisir la sienne et prend l'autre. Le thé est une affaire importante, personne ne prend ça à la légère ici. Quand Seiya objecte son compliment, Jin a envie de rire, parce qu'il était sincère et qu'il n'a connu que des professeurs affreux, atroce, violent et cruel, mais toujours compétant. Puis quand Seiya reprend la parole, Jin est choqué. Un professeur qui se remet en question ? Il n'a jamais vu ça. Il tente de ravaler son expression de surprise mais elle a sûrement déjà marqué l'esprit de Seiya alors il tente de s'exprimer, toujours à demi-mot parce que maintenant que le cours est terminé, pas de doute que les espions de son père écoute chacune des phrases prononcées. « Suis-je votre premier élève ? » Il attend la réponse avant de continuer. « Il est évident que vous ne manquez pas de pratique dans votre art et que vous êtes talentueux, être professeur cela s'apprend, mais j'ai trouvé ce cours très adapté pour un élève tel que moi, totalement débutant. Vous avez posé les bases dès le début et m'avez accompagné tout le long. C'est bien plus que.. » sa voix se brise, il détourne le regard. Peut être que l'autre comprendra que c'est bien plus que tout ce que ses autres professeurs n'ont jamais fait. Et rien que pour ça, il est bon professeur.

D'un geste de la main, Jin montre la toile. « Vous m'avez fait faire une oeuvre, n'était-ce pas le but de ce cours ? » Jin n'a pas vraiment des exigences hors du commun, mais parfois, se rappeler de la simplicité, de la base, ça fait du bien. Il n'y a pas besoin de faire beaucoup plus.

Disparue l'appréhension du début où les deux jeunes de la nation du feu pensaient être victime d'une humiliation et rien d'autre. Finalement, Jin a peut être réussi à créer du lien avec quelqu'un, chose qu'il n'a pas pu faire depuis son retour, étroitement surveillé, au sein de l'armée il n'est pas entouré de ceux qui peuvent douter ou sont trop jeunes, non, Jin n'est qu'avec des experts pour que l'humiliation soit plus grande. Ici, avec Seiya, l'ambiance est toute autre et peut être qu'un jour il pourra même l'appeler par son prénom. Non, ça c'est trop et il n'y croit pas vraiment.

« Croyez en vos rêves, personne d'autre ne le fera pour vous. »

Les mots sont sortis tout seul de ses lèvres et pendant un instant, il se demande s'il sera repris pour ceux-ci, il sait qu'il a raison, mais est-ce que sa phrase peut être vue comme une manière d'appeler à la révolution ? Il espère que non, il espère que Seiya va faire quelque chose de plus grand dans sa vie, parce que Jin, lui, est coincé ici. Il n'a plus aucun rêve, plus aucun espoir. Il va mourir pour cette armée qui lui aura tout pris alors qu'il ne voulait que vivre libre.

Lentement, il boit son thé, essayant de savourer les effluves, comme on le lui a toujours appris, mais même pour ça, il est mauvais. S'il aime le goût, la saveur et l'idée du thé, il ne le comprend pourtant pas tout à fait. Ses vertus thérapeutiques, il n'y croit pas. Alors il se concentre plutôt sur les paroles de son jeune professeur et il doit faire appel à toute sa force pour ne pas soupirer. D'autres cours. Pendant un instant, il pensait que tout serait terminé après le premier. Mais Jin ne sait pas ce qui était attendu du cour, l'humiliation n'a pas vraiment eu lieu dans leur coeur, est-ce que cela poussera son père à l'arrêter ? Pourtant, cette pause au sein de son entraînement lui a fait du bien. Il songe donc à la meilleure façon de pouvoir continuer. S'il se montre trop hâtif et entreprenant, son père le lui refusera. Il faut qu'il montre son abnégation et son acceptation face à la leçon. Il sourit et choisit ses mots avec soin.

« Mon père, le Général, est le seul habilité à modifier mon emploi du temps. J'attendrai ses demandes et il vous les transmettra ? En réalité, je ne suis que rarement chez moi, m'entraînant chaque jour pour l'armée. » Il baisse le regard, honteux de n'avoir pas de meilleure activité à faire. « Je ne vous promets pas de pouvoir m'entraîner tous les jours avec un vrai pinceau et de l'encre, mais je ferai au mieux, professeur. » Le mot est pour rappeler sa place, mais il n'est pas destiné à embêter Seiya, il est destiné à son père qui fait écouter leur conversation. Il baisse la tête en signe d'humilité et se demande ensuite à quelle sauce il va être mangé.

Si entre eux, les choses étaient plus simples, moins toxique, il n'en restait pas moins l'étrangeté de la situation. Ni l'un ni l'autre n'avaient l'air d'avoir d'amis, de personne proche à qui l'ont peut tout confier et qui ne soit pas de sa famille. Existait-il de telle amitié dans la Nation du feu ? Jin n'était pas certain et de toute manière, le faible lien qu'ils avaient créé volerait facilement en éclat s'il se passait la moindre chose, que Jin retrouve Ahloy par exemple ou qu'il cherche à fuir, une seconde et dernière fois, cette nation qui lui avait tant pris.

Jin n'était pas naïf au point de croire que Seiya et lui se reverrait dans d'autres circonstance, qu'un réel lien d'affection se créerait, mais il devait admettre qu'il était heureux, pendant un bref instant, de ne pas être harcelé, moqué, tourné en dérision. Ce cour qui avait si mal débuté - et ce, bien avant que Seiya traverse les portes de la maison Shao - se terminait avec douceur et calme et cela faisait un bien fou au soldat désabusé.

Les formules de politesse échangées, la promesse d'un essai - qui sera compliquée à mettre en place, mais si ça procure le même sentiment de douceur à Jin, il tentera réellement de le faire -, le thé bu, ils attendaient la suite.

Jin n'avait aucune envie de terminer ce cour, de revenir dans la réalité, de retrouver sa place qu'il haïssait, mais il avait bien conscience que tout le monde s'attendait à ce que ce soit terminé. S'ils commençaient une seconde pièce - et Jin n'était pas certain d'avoir la patience pour ça - ce serait mal vu. Ils attendaient donc, incertain quant au protocole à suivre.

Heureusement, leur conversation était épiée et un serviteur entra précipitamment dans la pièce. « Le Général Shao vous attend dans le salon. » Le ton est parfaitement adapté, la voix posée, Jin envie pendant un instant cet homme et la maîtrise qu'il a sur lui-même, étant donné qu'il en est loin du compte, malgré tous ses efforts.

Jin se lève donc et jette un dernier regard aimable à Seiya, parce qu'il sait qu'ensuite, il vaudrait mieux éviter. Après cette courte pause bienvenue, ils ne seront que des étrangers ayant subi une humiliation. Alors ce dernier regard transmet un dernier merci.