[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Toujours vêtue de mon uniforme et coiffée comme si j'étais encore en service, j'accorde à peine un regard au majordome de mes parents au moment de franchir le seuil de cette demeure dans laquelle j'ai grandi et toujours vécu. Cela ne m'empêche pas de le saluer en retour de celui qu'il m'adresse bien sûr, connaissant cet homme depuis bien longtemps et ayant quand même été correctement éduquée par mes parents, mais pas besoin de le regarder pour cela. Tout comme il sait parfaitement, depuis les nombreuses années qu'il me voit franchir ce seuil alors que je reviens de la caserne, qu'il ne sert à rien de me proposer de me débarrasser de mon arc et de mon carquois. C'est le regard de sa fille, d'une vingtaine d'année à peine, que je crois pourtant, quelques minutes plus tard, quand elle me propose de me débarrasser de mes peintures de guerres rouges caractéristiques des archers Yuyan, tout en me tenant déjà un récipient rempli d'eau prévu pour cela. Il est vrai que la règle de mon père depuis toujours est de ne pas les arborer sous son toit sans raison valable - à savoir donc que la capitale elle-même soit sous l'assaut de la guerre et que je sois là pour protéger les miens. Je hoche donc légèrement de la tête, faisant mine d'ignorer l'échange de regard entre la jeune fille - depuis peu au service de ma famille - et son père alors que je cale déjà mon arc contre le mur le plus proche avec un léger soupir. L'eau se teinte rapidement du rouge de mes peintures alors que je les efface de mon visage. Je n'ai même pas besoin de demander quoi que ce soit que la jeune fille finit par reposer le récipient sur le côté, à ses pieds, lorsque je dois avoir fini de faire disparaitre tout trace de carmin de mon visage, avant de me tendre une serviette propre pour m'essuyer. La serviette rendue à la jeune femme, je me tourne rapidement vers son père pour lui adresser un fin et très discret sourire mais qu'il a pourtant l'air de voir et comprendre sans souci vu son soupir de soulagement. Sa fille s'en sort très bien, il n'a rien à craindre de moi si jamais on me demande mon avis sur elle pour la garder plus longtemps au service de mes parents. Mais qu'importe de toute façon, vu le peu de temps que je passe ici depuis près de 15 ans maintenant.

Attrapant de nouveau mon arc, et sans faire le moindre geste pour me détacher les cheveux, je continue de m'enfoncer dans la demeure de mes parents. D'un pas rapide et décidé qui trahit sans aucun doute mon appartenance à l'armée de notre Nation, je commence par me rendre dans ma chambre. Bien que je n'y reste que quelques instants, juste le temps de me délester de mon arc et mon carquois en les rangeant correctement là où est leur place. A peine cela fait et je suis déjà en train de ressortir, décidée à rejoindre mon père dans la pièce lui servant d'études. Je suis sensée conseiller mon supérieur pour la prochaine manœuvre d'entraînement à faire suivre à notre unité, à "l'aider" à trouver quoi faire si je dois reprendre ses propos bien que je sache déjà parfaitement qu'il attend de moi que j'organise l'exercice dans son entièreté tout en gardant le privilège du commandement pour lui et des résultats. Mais qu'importe, j'ai une idée en tête et j'aimerais avoir l'avis de mon général de père pour cela, mon envie étant d'entraîner mon unité à attaquer et à se défendre d'une unité de cavalerie. Et alors que je tourne déjà dans le couloir menant à la pièce de mon père, toujours de ce pas aussi rapide et décidé de militaire que j'ai depuis mes 16 ans, j'entends une voix dans mon dos m'interpeler…. Dame Akane, voilà qui suffit simplement à me faire rouler des yeux en soupirant discrètement et en identifiant aussitôt mon interlocutrice. Mais je n'ai aucun mérite, il n'y a qu'elle qui m'appelle encore ainsi malgré le nombre de fois où je lui ai dit que cela n'était pas nécessaire.

- Que puis-je pour vous, ma chère belle-sœur ?

Lance-je alors d'une voix parfaitement neutre à Juan, l'épouse de mon frère Takezo et la mère de mes neveux et nièces portant encore le nom de Kuroda. Je n'ai rien contre cette femme, je n'ai d'ailleurs jamais rien eu contre elle. Je n'ai simplement jamais trouvé de réels points communs entre nous ni même réellement chercher à tisser de liens autres que courtois avec celle qui est devenue une Kuroda à son mariage, je dois bien l'avouer. Et si elle me sourit déjà d'une manière qui n'est pas sans me rappeler les sourires politiques de ma mère et mon frère, je continue de garder un visage tout aussi neutre que mon timbre de voix lorsque nos regards se croisent brièvement. Comme déjà dit, je n'ai rien contre elle et donc pas la moindre raison de me montrer impolie. Mais je n'ai également pas spécialement d'atomes crochues avec elle ou de relation suffisamment amicale pour me pousser à faire l'effort de lui sourire lorsque je n'en ai point envie. Mais depuis le temps qu'elle me connait, elle ne doit plus être vraiment vexée de cela et doit le comprendre… Du moins, je l'espère. Quoi qu'il en soit, elle ne tarde pas à me demander si je peux lui accorder un peu de temps pour s'entretenir avec moi, me proposant déjà de reporter à plus tard si cela n'est pas possible.

- On ne m'attends pas avant demain matin, j'ai donc tout mon temps.

Lui réponds-je simplement en me tournant entièrement vers elle et en me disant que ma discussion stratégique avec mon père pouvait bien attendre encore un peu. Et au pire, nous pourrons parler de cela lors du dîner ensemble, bien que je sache d'avance que ma mère ne se retiendrait pas de nous faire une réflexion pour nous faire comprendre qu'elle n'apprécie guère de parler de ce genre de sujet à table. Ou de se sentir exclue de la conversation bien qu'elle ne le formulera jamais ainsi, mais qu'importe. Je finis par inviter d'un geste de la main Juan à rejoindre une pièce libre un peu plus loin pour nous permettre de discuter à sa discrétion et sans oreilles baladeuses pouvant nous surprendre si le sujet était sensible. Je lui emboite rapidement le pas avant de fermer les panneaux derrière nous une fois toutes les deux dans la pièce.

- Donc ? Que puis-je pour vous ?

La questionne-je de nouveau une fois tournée vers elle pour lui faire face.

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Si le sourire de ma belle-sœur semble s'agrandir lorsque je l'invite à me suivre dans une pièce libre pour notre conversation à venir, cela ne fait pas le moins du monde apparaitre n'en serait-ce que l'ombre d'un sur mon propre visage. Mais depuis le temps que Juan a épousé mon frère et pris notre nom, j'espère qu'elle est habituée à ma façon d'être, tout comme à celle de mon père qui est assez similaire. Quoi qu'il en soit, il ne lui faut pas longtemps après que nous nous soyons isolées pour qu'elle reprenne la parole, m'apprenant alors que son deuxième né semble vouloir marcher dans les traces habituelles des Kuroda mais également qu'il m'admire.

- Vous m'en voyez honorée.

Commente-je rapidement en inclinant légèrement la tête à cette information, en marque de respect. Bien sûr, mon ton est toujours assez neutre malgré mes paroles et la situation mais ma belle-sœur ne doit savoir que trop bien combien je ne suis pas démonstrative de mes émotions. Si tant est qu'elle puisse me soupçonner d'en avoir à vrai dire, mais cela ouvre encore à un autre débat.

Par la suite, je garde le silence, laissant tout le loisir à Juan de s'exprimer. Bien que cela ne lui prenne pas bien longtemps pour m'expliquer la raison de sa visite à mon égard et pourquoi elle souhaitait me parler. Et si avec n'importe qui d'autre qu'elle, ma mère ou mon frère, j'aurais pu ne me méfier de rien, ne pas chercher le moindre sous-entendu ou double sens dans ses propos, je ne peux m'empêcher de le faire avec elle. Mais est-ce vraiment étonnant de ma part de me montrer méfiante quand je sais qu'elle travaille dans la politique, comme la moitié de ma famille, et combien ces personnes sont douées avec les mots pour vous faire attester à quelque chose avec laquelle vous n'êtes pas d'accord dans un premier temps. Ce n'est cependant que lors de sa dernière phrase que je me mets à froncer légèrement des sourcils, pensant avoir compris où elle voulait en venir. Peut-être que je me trompe complètement et qu'elle est sincère, qu'elle n'a pas la moindre envie que, d'une manière ou d'une autre, je détourne mon neveu de son envie de carrière militaire, mais pourtant, j'ai comme l'impression que c'est ce qu'elle cherche… Je pourrais essayer de rentrer dans son jeu pour en savoir plus, pour m'assurer de cela. Mais n'importe qui dans cette famille ne sait que trop bien que je n'ai ni la patience ni les talents diplomatiques de Takezo.

- Comme lui parler de la blessure qui a failli me coûter mon bras, à défaut de ma vie, il y a quelques années ? Vous pensez que cela suffira à lui faire assez peur pour qu'il envisage une autre carrière que celle traditionnelle de notre famille ?

Ne tarde-je donc pas à répliquer d'un ton assez tranchant et légèrement plus froid que précédemment. Oh oui, je tiens autant de mon père que Takezo tient de notre mère. Je suis bien plus du genre à confronter les gens qu'à chercher à les manipuler ou les tromper par de belles paroles. Je laisse cela à ma mère, mon jumeau et même à ma belle-sœur désormais, à chacun son domaine de compétence après tout.

Et pour en revenir à ma réponse, je sais qu'en plus de la confrontation, je me fais un brin provocatrice en évoquant l'importante blessure qui a failli me couter bien plus qu'un bras et une carrière sans l'intervention de Kaori. Et que les esprits puissent l'emporter elle aussi d'ailleurs, mais je m'écarte du sujet. Cette blessure ne datant que de cinq ans maintenant, je ne doute pas un instant que le cadet de Takezo et Juan se souvienne encore de mes bandages et du temps qu'il m'a fallu pour guérir complètement.

Je m'autorise enfin un très léger sourire en coin en voyant l'expression de ma belle-sœur. Sans doute ne s'attendait-elle pas à se faire percer si facilement à jour que cela, surtout par moi. Mais le fait qu'elle ne soit pas réellement enchantée à l'idée d'avoir pris un nom particulièrement connu dans l'armée de notre Nation n'est un secret pour personne dans notre famille. Je sais donc parfaitement qu'elle préfère la récente partie politique des Kuroda que son riche héritage martial. Entre ces informations et la connaissance de ses compétences en politique, il n'est donc pas réellement difficile de se douter de son véritable but. Mais je conviens quand même que je lui dois une petite explication.

- Bien que je sois moins douée que mon frère ou vous pour cela, j'ai quand même quelques connaissances de la langue politique, ma chère belle-sœur. Le fait d'avoir grandi avec ma mère et Takezo m'a bien obligé à m'y mettre un tant soit peu. Inutile de vous en vouloir d'avoir été découverte.

Mon léger sourire finit par s'évaporer à peine ma dernière phrase terminée. Je n'ai pas la moindre intention de la laisser imaginer que je puisse me moquer d'elle ou quoi que ce soit de ce genre concernant notre conversation et la situation. J'aime simplement à mettre les choses aux clairs entre nous, que nous puissions ainsi parler sans le moindre faux semblant, à bâtons rompus. J'ai toujours préféré cela, à l'image de mon père et à l'opposé évident de notre mère et Takezo. Joignant mes mains dans mon dos et faisant quelques pas à l'écart dans la pièce, comme une manière de lui offrir plus ou moins subtilement une porte de sortie si elle le souhaite, je m'éloigne un peu de la porte. Je ne tarde pourtant pas à tourner de nouveau mon regard vers Juan.

- Que reprochez-vous exactement à l'envie de votre cadet de faire honneur à notre nom ? A notre Nation ?

Mon ton est toujours assez neutre et sans le moindre jugement. Et encore une fois, je prouve que je n'ai rien de la patience ou de l'art des faux semblants de mon frère, son époux. Mais au moins, je lui montre aussi, à ma façon j'en conviens, que je préfère une conversation sans détour et transparente à ce sujet. Après tout, nous sommes seules dans cette pièce alors autant en profiter pour nous dire une bonne fois pour toutes ce que nous pouvons avoir sur le cœur. Il n'y aura aucun autre témoin que nous pour rapporter quoi que ce soit de cet entretien à qui que ce soit. Et je dois avouer que j'aimerais en profiter pour essayer de comprendre ce qu'elle peut bien craindre au juste, ce qui l'angoisse autant à l'idée qu'un de ses enfants au moins souhaite rejoindre notre glorieuse armée.