C’était avec nervosité que Seiya patientait devant le Temple du Soleil Pourpre. Il n’aurait pas dû pourtant. Le Temple était son foyer, il avait atteint un niveau dont il n’avait pas à rougir, il avait de la légitimité (Ah !) à s’y présenter, emmitouflé dans sa cape. Il était tôt encore, le soleil était à peine en train de se lever. Et puis, il avait toujours été d’un naturel frileux. Ca avait été un sujet de légères taquineries quand il était enfant, et il s’en rappelait presque avec nostalgie. Cela lui paraissait si loin.

Mais aujourdh’ui était une journée importante, et il avait hâte de voir ce qu’elle lui réservait. Une grande journée même. Aujourd’hui il allait passer la journée avec Maître Kaori : elle allait l’emmener en montagne cueillir des nouvelles herbes. En soit, c’était intéressant. Il aimait recevoir de nouvelles connaissances, et puis cela lui donnerait l’occasion de découvrir un peu autre chose que la capitale qu’il avait l’impression de connaître un peu trop par moment. Et enfin, surtout..Il était flatté que ça soit lui que Maître Kaori ait choisi pour cette expédition, alors qu’elle avait d’autres disciples, peut-être certains plus qualifiés que lui. Il se sentait en quelque sorte... privilégié ? Cela lui réchauffait le cœur en tout cas. Il ne savait pas trop pourquoi. Cela lui faisait du bien à l’égo, c’était indéniable. Il aimait passer du temps avec son Maître.

Peut-être était-ce à cause de leur ascendance Sakai commune, au fond. Elle savait ce qu’il pouvait ressentir par moments ; cette impression d’être semi-respectés parce que descendants des Hino, mais d’être toisés parce que leurs parents étaient nés du mauvais côté des draps. Ils se comprenaient, et parfois il se disait qu’il avait plus d’affection pour elle que pour sa propre mère, si enveloppée dans sa rancœur qu’elle en était devenue inaccessible pour ses enfants. Protectrice oui, mais ce n’était pas à elle qu’il aurait vraiment pu s’ouvrir si jamais quelque chose l’agaçait, le perturbait, le rendait pensif. Même si c’était elle qui lui avait proposé d’intégrer le Temple, jugeant qu’il gagnait autant à rester en famille plutôt qu’au milieu du reste de la noblesse.

C’était probablement un peu triste au fond. Probablement honteux pour la nation du feu. Si le reste de la famille l’avait su… Non inutile de penser à ce qui pourrait être. Il n'était pas là pour se torturer l'esprit avec cela.

Toujours était-il qu’il l’attendait de pied ferme ; l’apprenti dévoué attendant son maître.

Le disciple junior n’eut pas à attendre fort longtemps avant que son Maître n’apparaisse. Pas le temps de laisser son esprit vagabonder, ni de baisser en vigilance ; juste peut-être de prendre une posture moins stricte, plus propice à l’attente - sans pour autant qu’on puisse l’accuser d’être négligé. Il restait attentif, toujours.Si près du Temple il avait une réputation à maintenir, une réputation de sérieux  ; il ne pouvait pas perdre la face, ni se comporter d’une façon qui ne soit pas digne. Il ne pouvait pas salir son nom, ni celui des Sakai que certains aimaient tant traîner dans la boue ; encore moins celui de maître Kaori. Plus jeune, plus idiot aussi, il avait déjà failli une fois ; et il refusait de renouveler l’expérience. Désormais il serait irréprochable, avait-il décidé à l’époque, et encore maintenant il s’astreignait à la perfection. Pas un cheveu qui dépassait, ni un pli dans ses vêtements, encore moins ses robes de cultivateur ; irréprochable en pensées et en actes.

Et c’est pourquoi Seiya salua d’abord son Maître comme il se devait, avec respect. “Oui, Maître Kaori.” répondit-il ensuite, avant de lui emboîter le pas. Il parvenait mieux à contrôler son impatience maintenant qu’il n’était plus en train d’attendre. Les rues d’Hikyo étaient d’un silence frappant. Il semblait difficile de croire que d’ici quelques heures, les rues de la capitale seraient noires de monde : retentir d’une cacophonie parfois insupportable à ses oreilles.  Et encore, le cratère n’était pas le pire endroit de la capitale..Mais peu importait. A présent, ils s’éloignaient vers les montagnes environnantes d’un bon pas. A la recherche du calme, de la sérénité..et surtout, d’herbes pour confectionner des poisons.

En parlant d’herbes, voilà que son Maître lui tendait une liasse de feuilles sur lesquelles étaient dessinées des représentations des herbes qu’ils allaient chercher aujourdh’ui. “Très bien, Maître.” Peut-être pourrait-il, à une occasion, lui offrir un herbier qu’il illustrerait lui-même, en signe de reconnaissance ? Il pourrait. En attendant, le meilleur moyen de lui témoigner sa gratitude était de lui obéir avec diligence, et de se lancer à la recherche de ces fameuses herbes. Comme d’habitude, il scrutait les environs avec attention, n’hésitait pas à revenir plusieurs fois au modèle pour être sûr qu’il ne se trompait pas. Combien d’espèces de plantes toxiques ressemblaient de manière frappante à des espèces parfaitement inoffensives.. La botanique était une affaire sérieuse, voilà tout. Le moindre détail comptait ; même en admettant qu’il était là pour apprendre, parce qu’il n’était encore que disciple junior ; bien loin du stade de Maître qu’il espérait atteindre, un jour.  Peut-être pas Grand maître ( il fallait savoir être raisonnable, et il avait appris l’humilité au Temple ), mais oui. Devenir Maître, avoir ses propres disciples qu’il formerait comme Maître Kaori l’avait formé ; avec patience mais fermeté.

Il restait néanmoins silencieux. Il était, peut-être, du genre taiseux..Surtout lorsqu’il avait une tâche à effectuer comme en ce moment, c’était le meilleur moyen de se laisser distraire Il avançait relativement bien dans sa recherche..ou plutôt, son examen du terrain. Ah tiens, voilà une des herbes qu’ils recherchaient ; il coupa quelques tiges, avec soin et application. Il s’apprêtait à le signaler à Maître Kaori, lorsque celle-ci l’appela ; alors il rangea son butin dans la besace prévue à cet effet, avant de rejoindre son Maître. Celle-ci tenait à la main un champignon qui lui était inconnu mais restait intriguant - ou plutôt, elle lui colla devant la bouche. Par réflexe, il le renifla ; oui, malgré une odeur singulière, ce champignon lui était définitivement inconnu au bataillon. Seiya savait néanmoins ce que cela signifiait. Travaux pratiques, et il était le cobaye.  Il grimaça mentalement. Il savait qu’il n’y avait pas de gros danger, mais ce n’était définitivement pas sa partie préférée de son apprentissage. Cependant, il fallait bien passer par là pour pouvoir un jour se prétendre expert en poisons.

Alors, sans se démonter - il mordit dans le champignon.

Advienne que pourra.

On aurait pu dire bien des choses de toi. Que tu es méprisant, que ton arrogance envers ceux que tu juges inférieur (soit la majorité des gens en dehors de ta famille ou du Temple)  transpire par tous les pores de ta peau, que tu es exigeant, que tu te plains beaucoup. Ou, en l’occurrence, que tu étais d’une naïveté et d’une bêtise confondantes.  Sauf que toi, tu sais très bien que jamais Maître Kaori ne te voudrait du mal. Tu savais que des choses désagréables allaient arriver au moment de croquer dans ce champignon, tu t’es y préparé mentalement ; tu sais que ton Maître veut que cela soit une expérience formatrice pour toi.  Si Maître Kaori voulait te faire du mal, il y avait une myriade d’autres manières de faire. Empoisonner ton thé, par exemple. Tu refuses de croire que ton Maître veuille se débarrasser de toi ; parce que tu te donnes trop de mal pour être un disciple au moins satisfaisant. Tu travailles dur ( et souvent dans ton coin, en silence) tu ne cherches pas d’embrouilles ; tu as réussi à respecter la ligne si fine entre la confiance en ses capacités et l’arrogance. Tu l’as déjà franchie une fois, et tu l’as amèrement regretté. Une fois ta punition reçue, tu t’es presque jeté aux pieds de ton Maître pour implorer son pardon, lui promettant que jamais, jamais, on ne te reprendrait à avoir un pareil comportement au Temple, et la suppliant de bien vouloir continuer à te former. Et depuis, tu as essayé d’être irréprochable. Alors c’est pour ça que tu as mordu dans ce champignon. Pour montrer à ton Maître à quel point tu lui fais confiance et que tu sais qu’elle a tes intérêts à coeur, et qu’elle sait mieux que toi ce qui est bon pour toi - que même si tu sais que si tu lui peux  (humblement) lui demander de travailler telle technique un jour, c’est au final elle qui a le dernier mot, qui sait mieux que toi si tu es prêt ou non. L'océan de ton ignorance t'effraie, parfois.

Mais les effets du champignon se font tarder. Pas de paralysie, d’impression que tes nerfs étaient en feu ; pas non plus d’envie de vomir. Etrange. Très étrange. Tout semble presque normal, à l’exception de ta curiosité qui commence à se muer en inquiétude, et tu sens tes sourcils se froncer. Ou alors c’était un piège : te faire manger un champignon parfaitement inoffensif malgré son apparence douteuse ? Juste pour voir à quel point tu lui es dévoué ? Si c’est le cas (mais tu en doutes), tu espères avoir réussi ce test.  Juste un peu. Juste assez pour lui donner satisfaction ; et ton coeur enfle de joie alors qu’elle te félicite… Mais le sourire de ton Maître change, et tu sens que tu es tombé dans le piège que tu as prévu même si tu n’en connaissais pas la nature. Elle te demande de lui jeter un sort de paralysie, tu t’obéis, mais..quelque chose ne va pas. Tu n’y arrives pas. Tout t’échappe  Tu te concentres plus fort, mais c’est à peine si tu perçois du changement.Ton froncement de sourcil devient plus prononcé -

Et quelque chose se brise en toi. Il y a cette fêlure en toi que tu as honte d’avouer, cette faiblesse, et tu tombes dedans la tête la première. Tout en toi te semble stupide, risible. Ton apparence, ta façon de marcher, ton intelligence, tous les choix que tu as pu faire jusqu’à présent  - tout en toi, de ta tête jusqu’à tes pieds,  jusqu’à ton propre nom. Matsumoto, la racine du pin, un arbre fort et solide, alors que tu te sens plutôt frêle brindille prête à craquer ; Seiya, un prénom si stupide. La sonorité est agréable, tu en conviens,  mais tes parents ont choisi la pire façon de l’écrire. Être couronné de succès, mais quelle idiotie  Quelle arrogance. Quels succès peux-tu espérer, toi le Sakai à qui tout est interdit, parce que tu n’es qu’un fils de bâtarde, parce que tu n’es qu’un serpent qui se réchauffe dans le giron des Hino, parce qu’on se méfie de toi. Parce que tu ne vaux rien, et que tu ne vaudras jamais rien.

Tu aurais voulu un nom simple et efficace. Plus descriptif. Plus humble, plus adapté. Pas Seiya. Un nom en rapport avec la saison où tu es né t’aurait suffi.  Un nom avec une vertu que ton père admire, comme Jun, la sincérité.

Tu aurais pu être quelqu’un d’autre que Seiya.

Tu te demandes, pendant un instant, si tes parents ne voulaient pas se moquer de toi à ta naissance.

Tu regrettes l’enfant plein d’espoir que tu as été, celui qui a eu le courage de s’échapper du manoir familial pour aller observer l’entraînement des Archères de Yuyan, et tu as envie de dire à ton toi plus jeune “Arrête de rêver. Reste à ta place, sale gosse.” Et si, et si, et si..Et si tu avais su te contenter de ce qu’on te donnait, au lieu de chercher plus loin. Tu aurais été comme ton frère aîné, comme Jun, qui a une vie dont il est satisfait. Mais toi..toi non. Tu es une déception - tu ne sais pas maîtriser le feu. Tu ne vaux rien. Tu ne sers à rien pour ta Nation.

Tu en aurais pleuré de rage, parce que malgré les années, tu restes juste un enfant inutile, juste une bouche à nourrir qui ne sert à rien, rien, rien. Tu es juste aigri et à l’agonie, comme un animal pris au piège. Et tu repousses tout le monde, parce que tu as peur d’être plus blessé encore.

Tu te fais honte.

Tu fais honte à ton Maître.

Ton Maître dont les mots te ramènent à la surface du trou sans fond dans lequel tu es en train de sombrer.

"J’aurais du m’en douter.” Ta voix est faible. On pourrait croire que tu ronchonnes. Parce que c’est connu que tu n’es jamais content et que c’est pour ça que tu es insupportable. Tu prends des notes mentales à propos de ce champignon, et tu te promets d’en demander le nom à Maître Kaori. Plus tard, il faudra que tu penses à en ramener quelques spécimens au Temple - pour que tu l’ajoutes à ton propre herbier.  Que tu puisses en faire une description précise, un croquis aussi détaillé que possible - et un résumé exhaustif de ses effets.

D’un côté tu es soulagé. Ce n’est pas toi ou tes capacités qui êtes en cause. De l’autre, tu hais cette sensation d’être impuissant, à la merci du premier prédateur venu -

Et prédateur il y a en effet. Une immense marionnette d’ours brun - ce n’est pas un hasard non, Maître Kaori avait tout prévu, et c’est ton vrai test du jour. Tu sens la sueur couler dans ton dos, alors que tu tentes de maîtriser ta peur. Tu as  affronté pire, te dis-tu. Le jour où tu es arrivé au Temple. Cette bête féroce. Rappelle-toi Seiya. Tu as affronté ta terreur alors que ton instinct te hurlait de t’en aller.

Tes capacités sont peut-être à cet instant aussi limitées qu’à l’époque où tu ne savais rien de la sorcellerie, mais tu as plus de cervelle que lorsque tu avais seize ans. Tu n’es pas aussi sans défense, loin de là. Parce que l’enseignement du Temple ne se limite pas qu’aux sorts. Il y a de la chirurgie, et surtout..l’utilisation d’herbes spirituelles. Combien d’heures as-tu passé à apprendre leurs noms, leurs descriptions, leurs caractéristiques. Juste pour que Maître Kaori soit fière de toi.  

"Je ne vous décevrai plus, Maître.”

C’est ton moment, comme elle vient de le dire.

La montagne sera ton terrain de jeu. Tu n’as pas le temps de concocter un élixir ou des pilules, avec cet ours qui va sans doute tenter de s’attaquer à toi, mais tant pis, il faut savoir s’adapter. Le manque d’orthodoxie n’était-elle pas la caractéristique principale du Temple ? Alors tu cours. Tu as en tête les différentes herbes qui peuvent reconstituer ta sorcellerie, reste juste à les trouver et..il y en a même dans la liste que Maître Kaori t’a confiée. Il n’y a plus qu’une chose à faire : chercher. Et tu finis par trouver ce que tu cherches ; tu coupes plusieurs tiges, et tu mâches, mâches, mâches, jusqu’à ce que la plante ne forme plus qu’une boule que tu peux avaler.

Mais tu as besoin de temps, le temps que ta sorcellerie se reconstitue, et que tu puisses imaginer une contre-attaque digne de ce nom.

Alors , tu te saisis d’une pierre au sol, et tu lances, avant de foncer à travers les fourrés, en essayant de faire le moins de bruit possible.

Que Maître Kaori te pardonne si tu parviens à la toucher.

Caché dans les fourrés, Seiya attendait. Son sang semblait vrombir à ses oreilles comme une nuée d’abeilles, son coeur battant si vite qu’il lui donnait l’impression de vouloir s’échapper dans sa cage thoracique. Il tremblait. D’excitation, de peur ? Il ne savait pas. Peut-être un peu des deux. Cela faisait longtemps qu’il ne s’était pas senti si vivant, si..il ne savait même pas comment poser des mots sur ce qu’il ressentait. Une part de lui était néanmoins contente de pouvoir montrer ce qu’il valait à Maître Kaori. Il aimait le défi après tout. Peut-être qu’il voulait s’assurer qu’il n’avait pas fait perdre son temps à son Maître. Qu’il était compétent lui aussi..du moins pour quelqu’un de son rang. Qu’il ne valait pas rien comme son esprit voulait trop souvent lui faire croire ?

Parce qu’il voulait être un peu reconnu ?
Qu’il voulait qu’on soit fier de lui ?
Que Maître Kaori soit fière de lui ?

Respire, reste calme. La situation était loin d’être désespérée. Déjà là, caché dans les buissons, il pouvait attendre calmement que sa sorcellerie se reconstitue. Il n’était plus l’enfant de seize ans stupide et ignorant qui avait rejoint le Temple. Il avait mûri. Il avait grandi, physiquement et moralement. Il avait appris tant de choses aussi, sur lui et sur l’art de la sorcellerie. Il avait découvert l’univers des plantes et le délicat art de la concoction de poisons. Il avait découvert l’art d’utiliser l’énergie du ressentiment, et même s’il était loin d’égaler le niveau d’un maître (il fallait bien faire preuve d’humilité et reconnaître ses limites), il n’était pas si mauvais. Il se savait capable de se débrouiller. Il fallait juste qu’il réfléchisse, et de la bonne façon. Penser à la solution, pas au problème, ou plutôt ne pas s’égarer et chercher à comprendre pourquoi le problème n’avait pas de solution. Maître Kaori était plus forte que lui, le serait toujours car c’était son maître, et c’était normal, mais ce n’était pas pour ça qu’il devait renoncer à se battre. Il était possible que justement, elle juge ses réactions dans une situation en apparence inextricable.

Alors se cacher indéfinitivement ou courir comme un lapin à Hikyo était hors de question. Il ne pourrait plus regarder quiconque en face s’il renonçait. Ce n’était pas comme ça qu’il avait été élevé, et sa fierté ne l’y autorisait pas non plus. Cette fameuse fierté qui lui avait déjà causé beaucoup de soucis, mais qui en cette situation précise était un bon moteur. Il ne voulait pas que Maître Kaori soit déçue de lui ; il ne voulait pas perdre la face face à ses frères et soeurs de la secte. Peut-être qu’il s’était imposé des attentes insensées à son égard - tu es un Sakai tu dois être irréprochable, exceller dans ce que tu fais et ne pas faire honte à ton nom-, mais peu importait.

Et enfin le moment de bouger vint. Sa sorcellerie était probablement revenue. Mais il allait devoir être malin,très malin. Ce n’était pas parce que l’ours était momentanément hors de sa vue qu’il devait se détendre. Au contraire. Il avançait à tâtons, prudemment. Non. Toujours rien. Peut-être la marionnette s’était-elle momentanément décomposée, en attendant le moment de frapper.

C’était l’heure de frapper. Pour lui en tout cas. Il n’était plus proie mais chasseur.

La marionnette finit par réapparaître, toujours aussi impressionnante. Mais cette fois il était paré, et envoya un talisman qui se colla contre la marionnette avant de s’enflammer. Le jeune homme retint un air satisfait - bien visé. Sa sorcellerie était de nouveau là, à sa disposition et il se sentait enfin entier.

Seiya ne pouvait plus qu’espérer que sa diversion fasse à présent mouche, alors qu’il partait à la recherche de son maître, silencieux comme une ombre, décrivant des larges arcs de cercles pour ne pas tomber sur elle directement ; il savait qu’il ne pourrait pas bien sortir d’une confrontation frontale. Elle connaissait trop de sorts, et il ne fallait surtout pas oublier son anneau-foudre, arme ô combien redoutable.

Là. Elle était là, si reconnaissable.. Se doutait-elle que que son utilisation de talisman était à moitié un piège pour la distraire, à moitié pour se débarrasser de cet ours ? Certainement, mais il avait pour le moment l'avantage.

Alors, rassemblant son énergie, il lui lança un sort de paralysie pour l’immobiliser.

Maître, est-ce que j’ai réussi ? Etes-vous fière de moi ?

Et maintenant, le silence.

Et maintenant Seiya n’avait plus qu’à attendre que le sort de paralysie fasse effet. Il tentait de maîtriser sa respiration, haletante après sa course, mais terriblement bruyante ; il était hors de question qu’il trahisse sa position de manière aussi grossière. Seiya était le chasseur désormais, la maîtrise de la situation lui appartenait, et il ne pouvait pas commettre un tel impair. Discret, mais létal ; c’était là l’idéal vers lequel il devait tendre. Le jeune homme n’avait jamais été fait pour la confrontation directe après tout. Trop gentil, trop sensible, trop timoré d’abord ; puis devenu simultanément trop revanchard et trop raffiné (ou fourbe) pour cela. Peut-être que le Seiya plus jeune, celui qui n’avait pas encore subi tant de déconvenues, le regarderait en fronçant des sourcils, ne se reconnaîtrait pas en voyant le jeune homme qu’il était devenu ; peu importait. Ce petit garçon qu’il avait été, il avait dû s'en débarrasser, oui, comme un serpent se débarrasse de sa mue pour ensuite renaître. Lorsqu’il était entré au Temple, il avait bien compris que pour lui il n’y aurait pas de retour en arrière possible. Qu’il irait jusqu’au bout. Qu’après avoir goûté à la possibilité d’avoir du pouvoir (de la reconnaissance) (le sentiment de ne plus être inutile)(peut-être un peu d’approbation familiale) (ou tout cela à la fois sans doute) il ne pourrait revenir à une vie normale.

Mais enfin Maître Kaori chuta, oui, comme une idole, et Seiya ressentit à la fois une immense culpabilité, l’envie de l’aider, et une incroyable satisfaction. Il avait réussi à dépasser son maître, à prendre le dessus pendant cette confrontation alors que tout était contre lui. Privé de sa sorcellerie, face à une marionnette d’ours, en temps normal il n’aurait pas donné cher de sa peau. Et pourtant..Et pourtant il avait triomphé. Il avait été suffisamment malin pour changer la donne, renverser la cadence : battre cet ours. Battre son maître.  Ou peut-être surtout..Se battre lui-même ? Peut-être que c’était cela, le but de l’exercice :l’exorciser de ses démons qui le paralysaient, l’emprisonnaient, l’enfermaient tels une gangue de doute qui lui était bien chevillée au corps. Lui prouver qu’il savait faire des choses, plus qu’il ne pouvait le penser ; qu’il n’était pas si bête ou stupide ou inutile. Qu’il était capable de rebondir, même alors que la situation paraissait désespérée.

Il ne l’oublierait pas. Peut-être. Jusqu’à son nouveau moment de doute, probablement.

Le rire de Maître Kaori brisa le silence, et Seiya s’autorisa enfin à s’avancer vers elle, pour la rejoindre. Au moins elle ne semblait pas fâchée, se dit-il pour se rassurer. A moins qu’il ait été particulièrement risible, comme ce fameux jour chez le Grand Maître Sakai ? ..Non. Il ne devait pas raisonner de cette façon. C’est l’écueil dans lequel il ne devait pas tomber. Probablement..peut-être..Peut-être qu’elle était contente de lui, ou qu’elle riait de sa propre négligence, puisqu’il avait réussi à l’atteindre avec le sort de paralysie ? Peut-être. Ce n’était pas de son ressort.

Enfin il s’arrêta à un mètre environ de son professeur, n’osant ni trop s’approcher, ni trop s’éloigner ; par respect. Il lui était difficile, parfois, de savoir où était sa place. Encore plus avec Maître Kaori ; où s’arrêtait la cousine qui avait tant veillé sur lui enfant, où commençait le Maître qui le formait au Temple ? Seiya savait juste qu’il n’était plus un enfant à qui on pouvait pardonner d’être collant ; qu’il était un adulte désormais, et que par conséquent, qu’il devait se comporter de façon respectueuse.

La question de son Maître le prit néanmoins de court.  Avait-elle lu dans ses pensées, pour parler ainsi - pour poser la question de leurs rapporst, de la confiance absolue qu’il lui témoignait ?

“J’aurais fait confiance à mon Maître, peu importe de qui il s’agisse.” Une pause.“Mais il n’y a que vous pour qui j’aurais croqué dans ce champignon sans hésitation.” Avant de détourner le regard, un peu honteux peut-être, et de s’assoir à ses côtés.

Il aurait pu pleurer du contact de la main de son maître sur son visage, doux, réconfortant et maternel à la fois, ce contact dont il avait été si souvent privé par sa mère - sa vraie mère, la biologique -  si peu démonstrative. Même maintenant, même adulte, il sentait quelque chose remuer dans son coeur ; ou plutôt, il en avait le coeur qui se serrait, empli d’une espèce de nostalgie envers quelque chose qu’il n’avait jamais connu. Quelque chose de trop beau et de trop sacré pour qu'il puisse mettre des mots dessus - quelque chose qui ne devait pas durer.

“Etait-ce le but de l’exercice ?” ne put-il s’empêcher de murmurer. Que j’apprenne à me faire confiance ? A me prouver que je vaux bien plus que je ne le crois ? Questions muettes, que jamais il n’aurait vocalisées par peur de perdre la face, laissées en suspens.

“Très bien, Maître.” Il se leva, épousseta un peu ses vêtements, remit un peu d’ordre dans sa chevelure. “Rentrons-nous au Temple ?” Ou peut-être désirait-elle l’inviter chez elle pour un thé ? Auquel cas, il savourerait l’honneur qui lui était fait- en silence.

Dans les deux cas, il la suivrait, fidèlement.