Tu ne sais pas quelles nouvelles parcourent actuellement le Royaume ; es-tu simplement portée disparue ? Te croit-on demoiselle en détresse, prisonnière des forces diaboliques de la Nation du Feu ? Ou as-tu déjà été proclamée morte, définitivement perdue dans la bataille qui a été menée contre l’escouade d’élementaux de feu ? Oh, dans quel était doit se trouver ton pauvre Meng ; tu l’imagines sans peine avec un teint rendu blême par l’inquiétude, le regard larmoyant causé par une perte innommable. Tu sens les traits de ton visage qui se tendent en une mine déconfite, foncièrement attristée par toute la peine que tu dois lui causer. Ah, si tu avais été moins … stupide, dirons-nous. Si tu avais été plus réactive, moins apeurée par la situation … tu serais restée avec ton escorte, tu aurais manipulé la terre pour mettre en fuite vos assaillants. Tu aurais dû, mais tu ne l’as pas fait, à ton plus grand regret. Et maintenant te voilà dans cette situation inconfortable. Ta situation, aussi surprenante soit-elle, n’est pas si désespérée que cela. Tu pourrais bel et bien être entre les mains de la Nation du Feu, sur l’un de leurs navires tout en métal en direction pour la capitale. Tu pourrais bel et bien être morte à cause d’une maladresse de ta part. Au final, tu es juste perdue, séparée de ton frère. C’est déjà pas mal et tu as déjà eu un peu de chance ; ta rencontre avec Liu Zhen t’a quelque peu remonté le moral et tu poursuis ton chemin avec un peu plus d’entrain. Tu ne seras, dans tous les cas, pas perdue pour toujours non plus ; il faudra t’armer de patience et de détermination, tu en es convaincue, mais c’est une chose à laquelle tu peux remédier. Tu peux le faire, Lina, tu en es intimement convaincue.

Ça fait quelques jours que tu as délaissé la compagnie de Liu Zhen, vos chemins se séparant tout à fait naturellement. Sur le chemin que tu as partagé avec lui, tu n’as trouvé qu’une auberge pour te reposer le temps d’une nuit, mais aucun marchand pour trouver une solution au problème qui se présente à toi actuellement ; ton hanfu recouvert de poussières et tes chaussures inconfortables pour les longues marches. Tu n’es clairement pas à ton aise alors que tu continues de suivre le chemin, ta paire de chaussures toujours en main ; la peau en-dessous de tes pieds est toute irritée à force de fouler le sol rocailleux et irrégulier, les pans fluides de ton hanfu entravant tes mouvements secs et déterminés. C’est inconfortable. Pas douloureux, juste inconfortable. Tu soupires en posant les yeux sur tes orteils découverts qui pointent sous les pans de la robe, tout en remettant une mèche rebelle à sa place derrière ton oreille. Tu ne ralentis pas, tu continues d’avancer avec la même assurance à moitié-feinte que le matin même ; tu n’es pas à ton aise, isolée et perdue, mais tu ne te laisseras pas abattre, Lina. Ça fait quelques heures maintenant que tu marches sans t’être arrêtée une seule fois ; ton entrainement pour devenir maitre de ton élément t’a permis de développer une certaine endurance. Endurance que tu es bien heureuse de posséder aujourd’hui. Ainsi tu ne perds pas de temps avec de trop nombreuses pauses. Tu ne devrais pas tarder à arriver à un village, songes-tu en relevant les yeux. Oh ! Et c’est comme si les esprits t’avaient entendu car, à l’horizon, tu aperçois les contours d’un petit hameau. Enfin, c’est quand même plus qu’un hameau ; c’est un visage à la taille tout à fait respectable, tu n’en doutes pas une seule seconde ! C’est juste que, comparé à Omashu … Eh bien, ce sont deux choses totalement différentes, c’en est certain.

Il te faut encore un petit bout de temps avant d’arriver, mais quand enfin tu arrives, tu ne peux réprimer un large sourire. Tu es un petit peu fatiguée, mais surtout soulagée de retrouver un semblant de civilisation. Tu t’engages dans les entrailles peu profondes du village, jetant des coups d’oeil rapides ici et là. Tu cherches un marchand, tu cherches de l’aide … Les passants se pressent autour de toi, quelques uns d’entre eux te lançant des regards interloqués et méfiants. Il faut dire que tu dois avoir une drôle d’allure. Après plusieurs jours passés sur la route, sans prendre le temps de t’occuper de ton apparence comme tu peux le faire habituellement, tu ne doutes pas une seule seconde que le maquillage que tu appliques légèrement doit avoir attrapé et capturé toute la poussière que tu as pu en piétinant avec enthousiasme le chemin en terre. De même, tu sens tes cheveux (que tu n’as pas coiffé depuis avant ton départ d’Omashu) qui s’échappent du chignon serré que tu as placé sur le sommet de ton crâne. Et que dire des tes habits couverts de poussières ? De ces chaussures que tu ne peux plus porter et que tu t’obstines à garder à la main ? Enfin, toujours est-il que tu ne te laisses pas impressionner par les regards parfois lourds des habitants du village. Tu avances un peu timidement, mais tu gardes le menton bien haut, les yeux rivés droit devant toi. Et c’est un peu par hasard que tu l’aperçois ; il n’a pas l’air beaucoup plus vieux que toi, il a l’air un peu bizarre à te fixer avec des yeux plissés, une lueur pensive au fond de son regard sombre. Mais surtout, il t’apparait comme accessible, même si tu ne sais pas trop expliquer pourquoi. Tu lui adresses un sourire avenant tout en t’approchant doucement. Tu espères que tu ne te trompes à son sujet, que tes instincts ont vu juste.

Tu t’arrêtes à sa hauteur, jetant un rapide coup d’oeil au chevautruche à ces côtés. « Bonjour. » que tu fais tout doucement, peu désireuse d’effrayer l’animal qui te semble déjà bien nerveux. Puis tu poses à nouveau les yeux sur sa personne, toujours avec ce léger sourire. « Je suis désolée de vous déranger de la sorte, mais … j’ai besoin d’aide. » admets-tu maladroitement, ne sachant trop comment lui présenter ta situation sans l’embarrasser des détails. Ton sourire se fait un peu plus tendu, mais pas moins sincère. « Pourriez-vous m’indiquer où je peux trouver des chaussures plus appropriées pour voyager ? » commences-tu par lui demander, baissant les yeux vers tes chaussures certes jolies, mais si peu confortables. Tu les lui montres, comme pour appuyer l’absolue nécessité de ta demande. Tu lèves à nouveau les yeux vers son visage. « Pourriez-vous aussi me dire où nous nous trouvons je vous prie ? Je … » Tu hésites un instant, puis tu te reprends. « Il semblerait que je me sois perdue, voyez-vous. » avoues-tu dans un presque murmure. Tu as cet air confus et un peu honteux de ceux qui savent qu’ils ont raté quelque chose, quelque part. Tu espères que le jeune homme pourra t’aider, même si ce n’est que pour te trouver une nouvelle paire de chaussures.

Tu ne sais pas trop à quoi t’attendre quand tu t’adresses à cet inconnu. Tout ce que tu sais, c’est qu’il n’a pas l’air méchant et que tu ne peux vraiment pas t’en sortir toute seule. Alors tu te résouds à t’approcher, à lui demander un peu d’aide. Tu lui laisses, bien entendu, tout le loisir de refuser ; peut-être qu’il a des choses bien plus importantes qui demandent son attention, peut-être qu’il n’en a juste pas le temps ou, tout simplement, l’envie. Tu ne lui en tiendras pas rigueur, bien évidemment, il serait dans son bon droit de refuser et de continuer sa route comme il semble vouloir le faire. Néanmoins, tu gardes bon espoir que le jeune homme veuille bien t’aider, ne serait-ce qu’un tout petit peu ; te pointer dans la direction d’Omashu ou juste d’une auberge où tu pourrais souffler un peu. Peut-être un cordonnier, si le coeur lui en dit. Tu ne t’attends pas à plus que cela, tu ne peux pas demander plus que cela. Alors tu l’interpelles doucement, avec une certaine retenue et un peu de timidité. Tu crains un peu un potentiel rejet, mais tu ne laisses pas l’inquiétude t’arrêter. « Bonjour. Ah, ne faîtes pas attention, il a un peu mauvais caractère, on dirait. » Tu jettes un nouveau regard au chevautruche sans te départir de ton sourire. Il semble avoir une bonne prise sur les rênes de l’animal qui, dans un élan revanchard, le bouscule sans ménagement. Tu te mords le bout de la langue pour retenir un léger éclat de rire, car si sa réponse te paraît encourageante, tu ne penses pas que lui rire ouvertement au nez lui plairait. Et tu as vraiment besoin de toute l’aide que l’on veut bien te donner, Lina, alors tu ne veux pas vexer ton interlocuteur.

Tu lui poses quelques questions ; pour mieux te situer, pour trouver quelque chose (quelque part, n’importe quoi) pour t’aider à poursuivre ton voyage sans être trop dérangée par la sensation d’inconfort. « Oh, euh, je ne suis pas d’ici, je viens de Gaoling. Je crois que le village s’appelle Shadong ? Nous ne sommes pas très loin du désert du Si Wong, peut-être une vingtaine de kilomètres. » qu’il te répond aisément. Tu plisses un peu les yeux en hochant la tête, t’imprégnant de ces nouvelles informations. Bon, tu es un peu moins perdue. Tu as une vague idée de ta position ; si tu serais bien incapable de pointer précisément le village de Shadong sur une carte, tu as au moins une vague idée d’où tu pourrais bien le trouver. Et c’est déjà ça ; tu sens qu’un poids se soulève de tes épaules, quelque chose se délie à l’intérieur de toi et tu respires un peu plus aisément. « Mais je peux faire de mon mieux pour vous aider. » reprend-t-il tout en esquissant un mouvement quelque peu familier. Sa main droite vient agripper celle de gauche en un salut poli. « Su Yichun, disciple senior de la Forteresse du Pic Écarlate. » Tu imites sa pose dans un geste un peu maladroit et incertain. Su Yichun n’est pas le premier cultivateur que tu croise ; avant lui, ils ont été nombreux à passer par Omashu. De ce fait, ce n’est pas la première fois que tu aperçois le salut respectueux. Tu espères que tu fais bien la chose. « Wei Lina, enchantée. » réponds-tu légèrement. Une fois les présentations faites, son regard tombe sur tes chaussures et tu vois les traits de son visage qui se contorsionne en une grimace inconfortable. « Ah oui, je pense que vous avez bien besoin de nouvelles chaussures. J’ai des bottes de rechange avec moi au pire des cas, mais je ne sais pas si elles vous iront. » Tu t’empresses de secouer la tête à la négative.

Su Yichun est bien généreux de te proposer ses bottes, mais tu ne peux accepter une telle chose. Tout d’abord parce que ses bottes … eh, bien, justement, ce sont ses bottes et tu ne voudrais pas lui prendre quelque chose dont il pourrait avoir besoin. Et comme il le dit si bien, ce n’est pas dit que lesdites bottes t’aillent ; tu n’es pas particulièrement petite, tu es de taille moyenne pour une femme, mais le jeune homme a bien quelques centimètres de plus que toi et tu es certaine que les chaussures ne te conviendront pas. Ce serait alors troqué un inconfort pour un autre. « Ah, merci. C’est bien généreux de votre part, mais je me dois de refuser. Je ne veux pas vous déposséder de vos bien. Marcher pieds nus est juste inconfortable, rien de plus. » Vérité que tu énonces clairement, sans la moindre hésitation. Tu lui adresses un nouveau sourire alors que tu le regardes attacher les rênes de sa monture à une barre. Il se tourne ensuite à nouveau vers toi et tu ouvres la bouche pour poser davantage de questions encore. Mais le voilà qui te devance. « Hm … si ce n’est pas indiscret, et vraiment, ne le prenez pas mal mais … venez-vous d’Omashu ? » Voilà ton sourire qui se fige. Voilà que tu te figes. Tu sens qu’il te demande quelque chose de plus, qu’il y a autre chose derrière sa question. Une question qui en cache une autre. Tu plantes ton regard dans le sien … et alors tu devines ce qu’il te demande.

Puis, ton sourire se fâne, tu fronces les sourcils en laissant un lourd soupir s’échapper de ta gorge. « Ah, c’est si évident que cela … » Il faut dire qu’au vu de la manière dont tu es habillée, ton statut social n’est un secret pour personne. Et si on entend les dernières nouvelles et qu’on assemble les pièces du puzzle … Eh bien, en effet, la chose ne doit pas être si dure que ça à deviner. Tu hoches alors de la tête, jugeant qu’il est totalement inutile de nier la chose. Tu te mords l’intérieur des joues, une expression quelque peu contrariée prenant possession des traits de ton visage. Tu croises tes bras sous ta poitrine, ton regard se faisant fuyant. « Voulez-vous bien garder cela pour vous, je vous prie ? J’aimerais être discrète, même si la chose n’est aussi aisée que ce que je l’aurais cru … » Ton regard se fait presque suppliant alors que tu le poses sur lui à nouveau. Sourire timide et tendu qui vient fleurir sur tes lèvres alors que l’incertitude grimpe en toi. Impossible de savoir comment ton interlocuteur va réagir … Et ça, ça ne te plait pas trop, Lina.

Tu as la désagréable impression d’avoir mis les pieds dans le plat, Lina. Tu ne saurais trop expliquer comment tu t’y es prise, comment tu en es arrivée à cette triste constation. Tout ce que tu sais, c’est que le jeune homme semble plus tendu qu’au début de votre échange et, ça, ça te rend tendue en retour. Tu as beau tout te repasser en mémoire depuis le début, tu ne vois pas où tu as pu fauter. Tu es pourtant de nature assez sociable. De plus, tu as dû assez tôt apprendre à être polie et souriante (parce que c’est là ce qu’on attendait de toi), et tu l’as été en compagnie du jeune homme. Vraiment, tu ne comprends pas où tu as bien pu te tromper. As-tu dit un mot malheureux ? Es-tu tombée dans un piège dont tu ignorais l’existence ? Tu n’en sais rien, Lina, et l’ignorance te rend encore plus incertaine. Oh non. Tu ne voulais pourtant pas le mettre mal à l’aise, tu ne voulais pas l’embêter ! Vraiment ! Peut-être que tu aurais dû garder ton sourire, quoiqu’il advienne ! Peu importe si sa question t’a prise au dépourvu … Tu sais que c’est ce qu’on a toujours attendu de toi ; tes sourires douces et tes manières propres. L’aurais-tu déçu d’une quelconque manière dans ce domaine-là ? Est-il déçu que tu ne sois pas la jeune princesse toujours souriante et avenante qu’il s’était imaginé ? La possibilité te laisse songeuse. Tu ne penses pas que cela soit le cas, dans le fond. Tu sais que certaines personnes réagiraient de la sorte, en voyant ton sourire se fâner. Cela serait-il le cas pour Su Yichun ? Tu n’en sais trop rien. En venir à une telle observation te semble assez … capilotracter, dira-t-on. Et tu ne voudrais pas tirer de conclusions trop hâtives, qui seraient devenues erronnées par un empressement frénétique.

Tu ravales difficilement un soupir, te forçant à afficher un nouveau sourire. Comme si cela suffirait à diffuser le semblant de malaise qui s’est imiscé entre vous. Tu n’y crois pas une seule seconde, mais tu essaies bravement malgré tout. « Ah non, non, c’est juste … Enfin, ce n’est pas si évident, je pense. Juste … C’est simplement ce dont tout le monde parle en ce moment. Et je vous ai déjà aperçue de loin, à des festivités. » Et il ponctue son explication d’un haussement d’épaules nonchalant. Tu ne sais pas trop pourquoi, mais tu sens tes joues qui s’empourprent légèrement alors qu’il avoue t’avoir déjà vue. De loin, certes. Mais voilà, tu as été vue, remarquée. Il s’en souvient. Tu as brusquement envie de lui demander à quelles festivités il a pu t’apercevoir, un élan de curiosité inutile que tu réprimes en te mordant le bout de la langue. Tu forces les mots et les points d’interrogation à redescendre le long de ta gorge jusqu’à ce qu’ils atterrissent au fond de ton gosier. La réponse à une telle question ne t’amènerait pas plus près de Meng ou d’Omashu. À la place, tu préfères te concentrer sur la légère sensation de gêne qui s’est enroulée autour de ton estomac. Car tu es bien gênée, Lina ; gênée que l’on s’inquiète tant à ton sujet, gênée que l’on ne parle que de toi. Tu passes une main moite sur ton visage poussiéreux, ravalant un autre soupir. Ah, ça n’arrange décidément pas tes affaires. D’un côté, tu souhaiterais être discrète, faire ton petit bonhomme de chemin jusqu’à Omashu sans embêter personne ou te faire remarquer. De l’autre, on ne fait que parler de ta disparition et du potentiel sort funeste que tu as pu rencontrer … et tu aimerais tant pouvoir envoyer un message à tes parents pour les rassurer. Pour leur dire de ne pas s’en faire pour toi, pour leur dire que tu vas bien. Cela ne sera pas possible dans l’immédiat cependant, alors tu chasses ces pensées de ton esprit.

Pour réponse à ta requête de garder ton identité secrète, le jeune cultivateur t’offre d’abord une expression un peu surprise. Interloquée. Comme s’il ne comprenait pas pourquoi tu formules une telle demande. Puis le voilà qui acquiesce maladroitement. « Je … bien sûr, je peux garder ça pour moi. Vous … avez rencontré des problèmes sur la route ? Vous êtes en danger ? » Et tu l’observes balayer ce qui vous entoure du regard. Tu hôches doucement de la tête. « Mon frère et moi avons été attaqués par une escouade de la Nation du Feu, alors que nous étions en route pour un camp militaire. J’ignore pourquoi ou comment ils étaient au courant de notre voyage, j’ignore pourquoi ils s’en sont pris à nous. Tout ce que je sais, c’est que j’ai été séparée du reste du groupe. » expliques-tu d’une petite voix, dans un murmure qu’il est le seul à pouvoir entendre. Le brouahah ambiant du village noit quelque peu les mots que tu viens de prononcer, mais s’il tend un peu l’oreille il pourra t’entendre sans mal. Tu ramènes tes mains devant toi, au niveau de ton estomac, et serres ta paire de chaussures entre tes doigts. « Dans l’idéal, je souhaiterais rejoindre Omashu sans me faie remarquer. J’ai eu beaucoup de chances, jusqu’à présent, je n’ai croisé que des cultivateurs bienveillants et généreux sur mon chemin. » Tu souris en te souvenant de ta rencontre avec Liu Zhen. Tu aurais bien aimé le rencontrer dans un contexte différent, cependant. Tu te souviens de Tenzin, aussi, et de l’aide qu’il t’a apportée. Oh ça oui, tu as été extrêmement chanceuse. Tu baisses les yeux vers tes mains jointes. Tu observes tes habits, tes mains un peu poisseuses, tes souliers qui ont décidément vu de meilleurs jours. Puis te vient une idée. Tu lèves à nouveau les yeux vers le visage de ton interlocuteur. « Oh, je viens de penser … Je n’ai pas d’argent, mais croyez-vous que je puisse échanger mes vêtements actuels pour des habits plus appropriés pour voyager ? » Tu passes un doigt sur une des coutures de ton hanfu, songeuse. « Oh, si je trouvais un couturier … ou même un cordonnier, cela pourrait faire l’affaire. » En voilà une idée, dis donc. En plus d’avoir des vêtements plus confortables pour marcher, tu serais aussi bien plus discrète !

Et tu t’accapares l’attention du cultivateur depuis trop longtemps déjà, tu le sais. Tu devrais le laisser partir vaquer à ses occupations, le laisser aller combattre esprits revanchards et créatures inquiétantes plutôt que de continuer à pousser tes problèmes sur ses épaules. Tu devrais porter toi tout seule le fardeau qui est le tien ; tu es, après tout, adulte et il te faut te comporter comme telle. Tu devrais pouvoir te débrouiller seule, tu devrais pouvoir continuer ta route sans que l’on te tienne constamment par la main. Tu observes Su Yichun d’un regard quelque peu contemplatif, tu le fixes sans vraiment le fixer ; tu es, physiquement, bien présente, mais ton esprit est ailleurs, Lina. Il n’a pas l’air beaucoup plus âgé que toi. Peut-être une poignée d’années de plus que toi. Cinq tout au plus, penses-tu pouvoir justement estimer. Et tu te doutes que sa débrouillardise (car il faut bien savoir se débrouiller, lorsqu’on est cultivateur) n’est pas une qualité qu’il a développé tout récemment. À côté de lui, tu te sens bête, Lina. Bête et ridicule car, du haut de tes vingt-trois ans, tu as terriblement du mal à affronter l’imprévu, à tenir tête au Destin et à suivre ton propre chemin. La faute à ton existence bien trop privilégiée ; tu n’as jamais vraiment eu le besoin de te battre pour ta survie, tu n’as jamais manqué de rien. La faute à ta complaisance naturelle ; bien que curieuse, tu n’as jamais vraiment ressenti le besoin de t’aventurer par-delà les frontières de ta ville natale, ayant tout ce dont tu aurais pu rêver juste sous ton nez. Peut-on réellement t’en blâmer, cependant ? En ton for intérieur, la réponse sonne comme un glas sinistre ; oui, bien sûr. Tu aurais pu faire changer les choses, Lina, tu as juste décidé de ne pas le faire ; tu étais bien trop absorbée par l’existence de ton jumeau, ta propre existence.

Tu as été bien stupide. Et tu l’es encore, d’une certaine manière.
Tu ravales un soupir lourd de regrets.

Tu ne trésailles pas quand Su Yichun mentionne la possibilité d’un traître dans vos rangs. Ton coeur se serre fort (trop fort) dans ta poitrine, mais tu ne laisses rien paraître, tu continue de discuter comme si tu ne l’avais pas entendu. L’idée te donne envie de te révolter dès que les mots quittent sa bouche, mais … mais peut-être qu’il a raison, dans le fond. Cela expliquerait facilement comment les soldats de la Nation du Feu ont pu vous trouver avec une telle aisance, cela expliquerait le timing quasiment parfait de l’attaque. L’explication du traître est une explication parfaitement raisonnable, mais cela voudrait dire que tout le monde (à part Meng, car Meng ne ferait jamais une telle chose, tu le sais comme tu sais que le ciel est bien) est un suspect potentiel … Tu déglutis difficilement, tes mains se faisant moites. Chacun des soldats vous ayant accompagnés a été soigneusement choisi par ton père. Et si l’espion ne faisait pas partie de votre escorte ? Et si l’espion était toujours à Omashu, mettant la main sur les informations stratégiques à communiquer à vos ennemis ? Non. Stop. Tu te forces à mettre un terme au flot de questions qui tournent dans ton esprit, tu te forces à ne plus penser à cela ; tu ne finiras qu’à te rendre folle d’angoisse si tu continues de la sorte et cela ne t’amènerait rien de bon. Tu inspires profondément. Tu retiens l’air dans tes poumons quelques instants. Puis tu expires lentement. Quand le jeune homme te demande si tu sais ce qu’il est advenu de votre escorte (de ton frère), tu ne peux que secouer la tête à la négative. Tu n’en sais strictement rien, Lina, et c’est bien là le problème. Tu aimerais savoir, tu aimerais pouvoir affirmer sans l’ombre d’un doute que ton frère se porte comme un charmant, que les soldats qui vous ont accompagné s’en sont tirés sans trop de difficultés.

Mais voilà. Tu ne sais pas.
Tu as toujours été trop ignorante du monde qui t’entoure, malheureusement.

Tu ne peux pas retourner à Omashu, qu’il te dit ensuite. Les attaques contre la cité se sont faites trop nombreuses, cela ne serait pas raisonnable. Et tu ne doutes pas une seule seconde qu’il a raison, Su Yichun. Mais voilà, tu veux rentrer chez toi, tu veux voir ton père et ta mère et ton frère et tous ces autres visages familiers qui rythment ton quotidien. Tu ne veux plus de la poussière et des visages inconnus, tu ne veux plus de l’incertitude terrible quant au lendemain, tu ne veux plus dépendre de la bienveillance de la générosité des voyageurs que tu peux croiser parfois. Plus que cela encore, tu veux que toute cette triste aventure prenne fin, tout de suite, maintenant. Tu n’en dis rien, cependant ; tu caches tes caprices derrière un sourire chaleureux, derrière un regard pétillant de bienveillance. « Il me semble que nous devions nous rendre au camp militaire de Senlin. Je suis malheureusement incapable de m’y rendre par mes propres moyens, j’ignore où celle-ci se situe. » lui réponds-tu, toujours de ta voix si douce, lorsqu’il te pose la question. Il y a aussi une pointe de gêne dans le ton que tu emploies. Parce que, encore une fois, tu sais que tu n’as l’air que d’une gamine perdue. Parce que tu n’as pas l’air d’être une jeune adulte, parce que tu es juste ridicule. Ridicule, Lina, c’est ce que tu es, songes-tu un peu férocement à ton égard. Tu as envie de cacher ton visage rougissant dans tes mains poisseuses, mais tu réprimes ce désir puéril et tu te contentes de fixer un point par-dessus l’épaule de ton interlocuteur. Le voilà qui suggère le fait de rejoindre une des sectes de cultivation, allant même jusqu’à te proposer de t’accompagner jusque dans l’enceinte de sa propre secte.

Et. Et. L’idée est plus que tentante, tu dois bien l’avouer.
Cependant, tes lippes restent scellées quelques secondes (de trop, peut-être) parce qu’il y a tant de choses que tu dois considérer.

Tu t’armes de ton plus beau sourire, tu penches la tête sur le côté légèrement. « Je vous remercie, Su Yichun. Votre générosité n’a d’égal que votre bienveillance. » commences-tu, fine diplomate que tu es. Aucun mensonge ne passera, ce jour, la barrière de tes lèvres. « Cependant, je ne pense pas que fuir au sein d’une secte, aussi puissante soit-elle, soit une solution durable. Je crains de n’attirer que des ennuis à quiconque voudra bien m’accueillir. Rester sur la route, en mouvement constant, me semble être la solution la plus raisonnable pour le moment. » Car tu sais que la Nation du Feu possède une armée déterminée et dénuée de toute forme de pitié ; les soldats qui la constituent sont entrainés à obéir et à ne pas faire de quartier. Tu le sais. Et tu sais que, tôt ou tard, ils finiront bien par trouver un moyen de te mettre la main dessus si tel est leur désir. Tu ne voudrais pas que les cultivateurs se transforment en dommages colatéraux ; tous ceux que tu as croisé sur ton chemin ont toujours été très gentils et patients à ton égard, ils ne mériteraient donc pas que tu les entraines à ta suite dans une telle situation. Tu chasses ensuite ces réflexions de ton esprit, préférant te concentrer sur ta situation de manière plus concrète. Et tu demandes au jeune homme s’il pense que tu peux échanger tes beaux et luxueux habits contre des vêtements. Il acquiesce d’abord, puis revient précipitamment sur ce qu’il vient de dire. Il te suggère de garder tes habits actuels et de les garder de côté au cas où. Tu n’es, cependant, pas de cet avis ; tu es persuadée que ton hanfu ne ferait que t’embarrasser, que le chemin jusqu’à Omashu ne doit pas être si loin et que, si cela s’avère nécessaire, tu survivras bien à porter une même tenue plusieurs jours d’affilés. Tu penses pouvoir échanger, malgré tout, ton hanfu contre quelque chose de plus approprié ; même si le tissu semble avoir vécu, il reste luxueux. Un couturier saura certainement quoi en faire ou où le revendre à un bon prix, tu n’en doutes pas une seule seconde.

Tu es entêtée, Lina, et cela Su Yichun ne tardera pas à s’en apercevoir.
Peut-être l’es-tu même un peu trop, d’autant plus sur les choses qui ne méritent pas que l’on se montre si têtu.

Quand il propose l’idée de te prêter de l’argent, tu protestes instinctivement sans réfléchir. « O-Oh non ! Je ne peux pas accepter une telle chose ! » fais-tu avec véhémence, agitant tes mains de manière décousue et confuse devant toi, signe de ton malaise. Puis, finalement, tu te rends compte que tu n’auras probablement pas le choix, qu’il te faudra bien quelque chose si tu ne parviens pas à échanger tes habits contre d’autres étoffes. Tes épaules s’affaisent, tu abaisses ton regard vers le bas de ton hanfu d’où, discrètement (presque timidement), tes orteils poussièreux pointent. « Si cela doit se faire, cependant, je vous promet de vous rembourser dès que possible. » Tu te rendras toi-même jusqu’à la Forteresse du Pic Écarlate s’il le faut, tu t’assureras de lui remettre en main propre la monnaie sonnante et trébuchante que tu lui dois. Une dette est une dette et tu ne l’oublieras guère. Su Yichun ne perd pas une seule seconde, cependant, et le voilà parti demander si un couturier ou un cordonnier se trouve au sein du village. Tu restes silencieuse, Lina, le laissant faire la conversation comme bon lui semble. Le villageois interrogé ne met pas longtemps à répondre ; il te jette un coup d’oeil vif et interloqué (tu lui réponds un petit sourire gêné et tu t’inclines légèrement pour le saluer poliment), puis semble préférer se concentrer sur l’interlocuteur. Il dit de sa voix grave que y a pas de cordonnier ici, m’sieur, mais y a bien une couturière, just’ là, vers la bâtisse à l’autre bout d’la place. Ton sourire se fait plus large, plus sincère. Tu ne perds pas une seule seconde, t’élançant à grandes enjambées (mais pas si grandes que ça, car tu dois bien reconnaître que tes jambes ne sont pas si longues) dans la direction indiquée par le villageois. « Allons-y ! » lances-tu avec enthousiasme par-dessus ton épaule.

Une fois en face de la porte, tu t’arrêtes. Parce que, brutalement, tu doutes, Lina.
Et tu te sens bête, encore une fois. Terriblement bête.

Tu lances un regard en coin à ton interlocuteur, incertaine quant à la marche à suivre. « Est-ce bien ici ? Je ne me suis pas trompée ? » que tu demandes d’une toute petite voix qui trompe ton malaise grandissant. Tu joins tes mains devant toi, tenant tes jolies chaussures à deux mains  et les tordant un peu dans tous les sens. « Je … » que tu commences, sans savoir comment poursuivre. Tu secoues la tête doucement, puis tu t’éclaircis la gorge avant de reprendre avec une voix faussement confiante (et cela s’entend, Lina, car ta voix tremble toujours un peu). « Ah, que je suis bête. Évidemment que c’est là, c’est écrit. » Et cela est bel et bien vrai, une preuve de plus pour ta bêtise. Le petit rire qui s’échappe de ta gorge est aussi forcé que gêné. Aussi, tu t’empresses de passer l’encadrement de la porte, levant bien les pieds pour pénétrer dans ce qui fait office de boutique. La pièce est bien éclairée, le soleil baignant la salle principale d’une lueur chaleureuse. « Bonjour. » commences-tu presque timidement, continuant de tordre tes chaussures devant toi. « Uh … ah, j’aurais besoin de … quelque chose … » La couturière t’observe d’un regard qui t’indique qu’elle est bien peu impressionnée par ta présence et encore moins par ton discours décousu. « J’aurais besoin d’habits. Pour … ah … Voyager ? » Tu lances un regard presque désespéré par-dessus ton épaule à Su Yichun. Puis tu te reprends. « Je crains ne pas pouvoir payer grand-chose, cependant, j’en suis désolée. Je … enfin, si vous le souhaitez, je peux vous laisser mes habits actuels … Je sais qu’ils sont un peu usés, mais le tissu reste plutôt … beau ? Vous pourrez toujours en tirer un bon prix, je suppose ? » Et tu grimaces pour ponctuer la fin de ta phrase, toujours aussi incertaine.

Tu sais que Su Yichun est quelqu’un de bien. Tu sais que Su Yichun aurait pu décider de se laver les mains de la situation, de t’indiquer la direction de l’auberge la plus proche et qu’il aurait pu reprendre sa route pour vaquer à ses occupations. Tu ne doutes pas une seule seconde qu’il doit être bien occupé ; être cultivateur ne doit, après tout, pas être de tout repos. S’occuper des esprits et des monstres qui peuplent les coins et recoins de Ya Tai doit être une activité très chronophage. Puis quand il n’est pas occupé, le jeune homme doit pouvoir profiter d’un repos bien mérité. Peut-être que tu l’as interpelé en plein milieu du dit repos, peut-être que tu l’as distrait d’une mission quelconque … Cette idée te met un peu mal à l’aise, Lina, tu dois bien l’avouer. Tu ne voudrais pas que quiconque souffre parce que tu as égoïstement réclamé l’attention du cultivateur. Mais tu te dis aussi, un peu pour te rassurer, que si tel était le cas, il aurait très certainement mentionné quelque chose, qu’il t’aurait très certainement dirigé vers quelqu’un plus apte à t’aider dans l’instant ou tout du moins un endroit qui pourrait te servir d’abri pendant quelques temps. Pas vrai … ? Certainement il n’aurait pas perdu son temps à te rassurer, à te venir en aide si quelqu’un d’autre en avait plus besoin que toi. Tu dois, bien malgré toi, lui faire confiance sur la chose et oublier tes doutes. Sinon tu n’avanceras jamais dans la direction que tu veux, tu le sais. Alors tu lâches un peu tout ça, tu laisses l’anxiété te parcourir et tu la laisses partir. Et, surtout, tu laisses Su Yichun te rassurer comme il le peut. Ses tentatives sont un peu maladroites, mais tu n’en as que faire ; sa gentillesse et sa bienveillance apaisent ton coeur, il y a un poids (dont tu n’avais pas conscience jusque-là) qui se soulève de tes épaules.

C’est à contre-coeur que tu te vois obligée de refuser certaines des possibilités qu’il évoque. Ça te fait mal au coeur de lui dire non, parce qu’il t’offre tout cela librement, sans la moindre arrière-pensée et de bon coeur. Tu peux sentir la sincérité de ses mots, son envie de t’aider et tu en es très appréciative. Su Yichun, face à ton refus douceureux, se montre respectueux et grâcieux, chose dont tu n’as pas vraiment l’habitude. Tu es un peu surprise, mais de manière agréable ; à Omashu, on aurait répété la chose plusieurs fois en te demandant si tu étais sûre de ton choix. On aurait insisté jusqu’à ce que tu changes d’avis (ou tout du moins que tu n’aies tout simplement plus d’autres options que d’accepter pour que l’on te laisse tranquille). On ne t’aurait guère considérée comme une adulte responsable de ses choix, mais comme la gamine souriante et turbulente qu’ils ont un jour connu. Ça te change. Ça te fait du bien, cette acceptation respectueuse, sans que l’on te demande de te justifier ou de confirmer ton choix. Alors quand le jeune homme acquiesce, te demandant malgré tout de lui promettre d’être prudente, tu ne peux qu’hocher de la tête doucement et lui adresser un sourire chaleureux. « Ne vous en faites pas, tout ira bien. » Et tu y crois dur comme fer, Lina. Tu crois sincèrement que tu pourras te débrouiller jusqu’à Omashu, que tu sauras te frayer un chemin malgré toi. Oh ça oui, tu y crois. Comme tu crois que les membres de ton escorte s’en sont sortis sans trop de difficultés, comme tu crois que Meng est là, quelque part, et bien portant. Parce que faute de savoir réellement, tu ne peux que croire. C’est une des choses qui te permet de tenir le coup.

Et tenir le coup, tu le fais jusqu’à devant la boutique. Jusqu’à ce que tu entres dans la boutique. Là, Lina, tu commences à te décomposer sur place. Lentement, mais sûrement. Les mots se précipitent hors de ta bouche, tu trébuches alors que ceux-ci se font trop nombreux. Tu te mets à paniquer, alors que tu ne devrais pas. Passer commande dans une boutique, ça ne devrait pas être si difficile … Si ? Tu n’en sais trop rien, Lina, tu n’as jamais eu besoin de faire une telle chose auparavant. Oh, tu as bien été dans des boutiques, ce n’est pas le problème ; tu n’as jamais juste eu à demander quoique ce soit, il y avait tout le temps quelqu’un pour le faire à ta place. Une couturière au palais pour commander les jolies étoffes et les coudre ensemble, un cordonnier pour faire des belles chaussures, un cuisinier, des soignants … Tu n’as jamais vraiment eu besoin de demander quoique ce soit jusque-là, Lina, et c’est là tout le problème ; tu ne sais juste pas quoi demander, comment le faire sans passer pour une jeune femme trop exigeante … Alors tu prends des pincettes (peut-être un peu trop), tu hésites et tu te prends les pieds dans tes propres paroles. Fort heureusement pour toi, ton compagnon vole à ton secours une fois de plus ; il coupe court à tes explications décousues en te tapotant doucement l’épaule, t’adressant un sourire qui se veut rassurant. Tu te fais muette et immobile, lui laissant tout le loisir de s’exprimer comme il le désire. Et s’exprimer, il le fait ; le jeune homme est courtois et précis dans ses demandes, chaleureux et respectueux. Tout ce que tu n’as pas réussis à invoquer en ta personne. Tu le laisses faire, tu l’observes et tu catalogues tout dans un coin de ton esprit ; sait-on jamais, que tu aies besoin de retourner seule dans une boutique …


Quand la couturière s’en va vers ce qui semble être l’arrière boutique (très certainement pour y chercher des tissus appropriés), tu te dégonfles un peu. Tes épaules s’affaisent et une mine soucieuse vient se peindre sur les traits de ton visage. « Je suis désolée. J’ai un peu … paniqué. » admets-tu en grimaçant. Tu passes une main moite sur ton visage. « C’est ridicule, j’en ai bien conscience, mais … je n’ai jamais eu à faire ça. Entrer dans une boutique. Commander quelque chose. » C’est dans un murmure honteux que tu lui avoues ce qui t’a donné tant de difficultés. Et tu te sens alors rougir de honte. Tellement que tu te sens obligée de cacher ton visage dans tes mains en soufflant bruyamment. Quelques secondes passant, puis la honte commence à reculer un peu. Tu laisses tes bras retomber le long de ton corps. « Merci pour votre aide, en tous cas. Heureusement que vous êtiez là. » Tu tentes de sourire à nouveau, avant de prendre une mine plus sérieuse. « Et ne croyez pas que je ne vous ai pas entendu … Craignez-vous que je manque de hanfu à Omashu ? Je peux bien me départir de celui que je porte. Vous faites déjà beaucoup en m’aidant de la sorte. » le reprends-tu avec douceur. Tu es, de plus, persuadée que te trimballer avec un hanfu dans ton sac lors de la longue marche qui t’attend sera plus inconfortable qu’autre chose. Alors oui, vraiment, tu insistes. Du coin de l’oeil, tu aperçois la couturière qui revient et tu te mures à nouveau dans le silence. Et quand elle te fait signe d’approcher (certainement pour prendre quelques mesures ou tu ne sais pas trop quoi), tu lances un regard un peu inquiet au cultivateur. Mais tu t’empresses malgré tout d’obtempérer, peu désireuse de rendre la tâche plus compliquée que ce qu’elle doit l’être.

Tu t’inquiètes et Su Yichun n’hésite pas une seule seconde à te rassurer, affirmant sans trop douter que s’il se retrouvait chez toi, il n’en mènerait pas bien large non plus. Tu essaies alors de l’imaginer à ta place, au palais d’Omashu. Tu en connais cependant bien peu à son sujet et tu ne peux le visualiser qu’avec une mine toute aussi gênée et contrite que celle qui est la tienne à présent. Rien de bien drôle ou d’extraordinaire en soi. Cependant, tu lui adresses un sourire reconnaissant et chaleureux. Tu ne tardes pas, toutefois, à le reprendre gentiment alors qu’il tente de payer pour tes nouveaux habits. Et peut-être que tu n’aurais pas dû, Lina. Peut-être que tu as été trop sèche avec tes mots. Tu n’en sais trop rien. Tu sais juste que Su Yichun se fait un peu plus hésitant ; il a très certainement raison en suggérant que ta route ne sera probablement pas si courte que ce que tu peux te l’imaginer. Et peut-être qu’il a aussi raison en proposant de garder ton hanfu avec toi, dans un sac quelconque. Comme preuve ou tu ne sais trop quoi, bien que tu es certaine que ton visage doit être placardé un peu partout au travers du Royaume (que ce soit un fait de ton pays ou de la Nation du Feu, tu l’ignores) et que des preuves concernant ton identité ne soient donc pas nécessaires. Peut-être qu’il a tout simplement raison et que tu devrais écouter ses sages paroles. Mais (car il y a un bien un mais (et il est de taille)) tu as la désagréable impression de profiter de sa gentillesse. Le cultivateur était déjà prêt à t’offrir ses bottes pour que tu continues plus ou moins confortablement ton chemin, le cultivateur est bien déterminé à t’aider de (semble-t-il) n’importe quelle manière que ce soit. Ça te met un brin mal à l’aise, parce que tu voudrais lui montrer toute l’étendue de ta reconnaissance, toutefois à part dire et répété des mercis dont il ne tardera pas à se lasser, tu ne peux rien faire d’autre.

Tu l’entends s’excuser et il y a comme un trou qui se creuse dans ton estomac. Oh, tu n’aurais pas dû, Lina, tu en es sûre maintenant. Tu ouvres la bouche pour lui répondre que ce n’est rien (vraiment (ce n’est rien)), mais voilà la couturière qui revient. Su Yichun choisit ce moment pour s’éloigner et aller contempler les étoffes disposées dans la boutique. Tu le laisses partir sans dire un mot, suivant la maîtresse des lieux derrière un large paravent. Là, sur un petit tabouret, elle dispose quelques habits et, elle aussi, t’abandonne avec toi-même. Tu restes immobile quelques secondes, puis tu te décides à te mouvoir dans un léger soupir. Tu défais les épaisseurs de vêtement qui sont les tiens, les laissant négligemment tomber à terre, pour revêtir ceux qui ont été mis à ta disposition. Une tunique à manches longues avec un pantalon, le tout dans des teintes de beige assez neutres. Ça te change grandement des hanfus verdoyants que tu as l’habitude de porter. Tu observes un moment ces nouveaux habits, puis tu sors de derrière le paravent. Tu es bien peu à ton aise, sous le regard scrutateur de la couturière, mais tu la laisses t’examiner. Tu n’as pas non plus l’habitude de porter ce genre de vêtements, ce qui explique (en partie) pourquoi tu es si mal à l’aise. Tu te sens stupide d’être aussi dérangée par ce genre de détails, tu comptes bien garder cela pour toi ; tu as conscience que tu as mené, jusqu’à présent, une vie plus que privilégiée. Cela ne veut pas dire que tu dois te laisser perturber par tous les changements qui se déroulent autour de toi. Tu es plus forte que cela, Lina, et tu le sais. Un nouveau sourire vient fleurir sur tes lèvres alors que tu tentes de te donner un air plus assuré.

L’examen touche à sa fin, la couturière semble assez satisfaite des habits qu’elle a trouvé pour ta personne. C’est certes un peu grand (les épaules tombent un peu (et tu as pas mal de place au niveau des mollets)), mais le tissu reste bien en place lorsque tu marches et tu te dis que cela fera bien l’affaire pour ton voyage (aussi court ou long soit-il, comme l’a si justement souligné ton accompagnateur). La couturière disparaît à nouveau dans l’arrière-boutique, te promettant de revenir sous peu. Tu en profites pour rejoindre Su Yichun, occupé ailleurs. « Trouvez-vous votre bonheur ici ? » lui demandes-tu d’une petite voix, l’interpelant presque timidement. Ton sourire est quelque peu hésitant, aussi. « Par rapport à tout à l’heure … je vous présente mes excuses, je ne voulais pas être si … autoritaire ou je ne sais quoi … C’est juste que … » Tu cherches tes mots, tu inspires profondément. « Vous faites déjà beaucoup en m’aidant de la sorte. Et je suis vraiment reconnaissante, n’en doutez pas une seconde. Je ne veux juste pas abuser de votre gentillesse et de votre générosité. » Au cours de ta brève explication, tu passes les mains nerveusement sur les tissus qui composent tes nouveaux habits, au niveau de ton estomac. Tu souffles bruyamment une fois que tu as fini de parler, croisant alors ce regard que tu t’étais refusée d’apercevoir jusque-là. « Vous avez raison, la route ne sera probablement pas aussi courte que ce que j’aurais pu l’espérer. Et c’est pour cette raison, en partie, que je ne souhaite pas conserver mon hanfu ; aussi beau soit-il, je crains qu’il ne m’embarrasse plus qu’autre chose. » Puis une idée, bien peu réjouissante, te vient à l’esprit. « Imaginez que je croise des soldats de la Nation du Feu … Que penseront-ils s’ils me voient avec de tels habits avec moi ? » lui demandes-tu à voix basse pour qu’il soit le seul à t’entendre. Tu imagines très bien, Lina. Et c’est pour cette raison que tu penses qu’il vaut mieux abandonner tes beaux habits dans cette boutique. Tu espères que Su Yichun ne t’en voudra pas trop d’être si insistante.

Tu ne sais pas trop quoi penser de ta nouvelle tenue, Lina ; tu n’as pas l’habitude de porter de tels habits, tu es habituée aux beaux hanfus bien taillés … Alors la tunique un peu large par endroits, le pantalon qui te semble un peu trop grand (tu feras un petit ourlet au bout des jambes (il faut dire que tu n’oses pas demander à la couturière de le faire pour toi (tu ne voudrais pas abuser d’elle))) … Ce n’est pas vraiment ton style, mais tu n’es pas en position de faire la fine bouche, Lina. Vraiment pas ; tu es disparue aux yeux du Royaume, tu es une fugitive aux yeux de ceux qui te courent après … Il faut donc que tu fasses certaines concessions, il faut que tu abandonnes ton petit confort et tes préférences pour un temps. Ce n’est vraiment pas grand-chose, tout ceci n’est que temporaire (ou tout du moins, tu l’espères de tout ton coeur (tu essaies de t’en convaincre)). Puis, quand tu prends un peu de recul et que tu observes ta propre situation avec un regard aussi objectif que possible, tu te dis que tu n’es vraiment pas à plaindre, que tu as vraiment de la chance dans ton malheur. Tu as été attaquée par une escouade de la Nation du Feu, tu as été séparée de ton frère, certes … Néanmoins, tu as aussi fait des rencontres agréables sur ton petit bout de chemin. On t’a apportée de l’aide quand tu en avais le plus besoin et tu en es terriblement reconnaissante. Tu ne le communiques pas toujours très bien (la preuve en est le léger malaise que tu as la désagréable impression d’avoir causé (pour lequel tu ne peux que présenter tes excuses)). Tu es maladroite, Lina, ce n’est pas nouveau. Ce qui est nouveau, en revanche, c’est la situation dans laquelle tu te trouves (ce qui explique, en partie, pourquoi tu es encore plus maladroite que d’habitude (ça n’excuse pas, mais ça explique)).

Alors oui, tu es un peu mal à l’aise, Lina. De ce malaise un peu léger qui pèse malgré tout sur ta poitrine, de ce malaise que tu pourrais ignorer, mais que tu décides malgré tout d’adresser. Tu t’approches de Su Yichun, avec une bonne dose de réserve, mais toujours avec cette douceur qui te caractérise. Quand tu lui demandes s’il a trouvé ce qu’il cherche, tu le vois regarder par-delà ton épaule, comme s’il craignait que la tenancière de l’établissement l’entende. Et tu comprends pourquoi lorsqu’il t’explique que les articles proposés ne sont pas aussi divers et variés que ce qu’il aurait aimé. Il est vrai que la boutique est plutôt petite, ce qui n’a rien de surprenant en soit ; vous vous trouvez dans un petit village du Royaume de la Terre, plutôt rural … Les gens d’ici n’ont probablement aucune utilité pour des textiles luxueux et précieux qu’ils ne peuvent pas s’offrir. Aussi, cela n’a rien de vraiment surprenant. Le cultivateur te retourne la question, te demandant si tu as trouvé ce que tu voulais. Tu écartes les bras légèrement pour lui montrer tes nouveaux habits. Tu baisses les yeux toi-même pour les observer de nouveau. « Eh bien … Je crois que ça fera l’affaire. » lui réponds-tu à voix basse, de manière à ce que la couturière ne t’entende pas. « Je ne suis pas habituée, mais je suis sûre que je m’y ferai ! » Tu fais de ton mieux pour rester optimiste, Lina ; te morfondre sur ta propre situation ne te mènera nul part. De plus, tu ne veux vraiment pas dénigrer le travail de la couturière … Tu as vu mieux, certes, mais ces habits sont tout ce dont tu as besoin dans l’instant présent. Il serait ingrat de ta part de critiquer ou de te plaindre.

Tu finis par adresser ce malaise que tu ressens, tu finis par présenter tes excuses ; parce que tu sais que c’est un peu de ta faute, Lina. Parce que tu sais que tu aurais dû te montrer un peu moins têtue (ce n’est pas la première fois que ton entêtement pose problème (et ce ne sera certainement pas la dernière, malheureusement)), un peu plus ouverte. Mais comme à ton habitude, tu as laissé les sentiments parler avant la raison. Tu ne dois pas oublier que, depuis le début, Su Yichun s’est montré avenant et généreux, qu’il ne désire que t’aider. Alors c’est un peu maladroitement que tu lui présentes tes excuses, mais celles-ci ne sont pas moins sincères pour autant. Tu es rassurée et soulagée lorsqu’il te dit que la chose est oubliée ; tu avais vraiment peur qu’il t’en tienne rigueur ! Un sourire (plus large et chaleureux) vient fendre le bas de ton visage. Tu hoches doucement de la tête. Et quand il t’avoue qu’il a tendance à toujours voir le meilleur de ce monde (il t’avoue la chose comme si c’était un de ces défauts (comme si c’était quelque chose dont il devait avoir honte)). Tu t’empresses alors de le rassurer. « C’est bien d’être optimiste. Ce n’est pas donné à tout le monde de voir le monde sous son meilleur jour. » Tu n’es pas particulièrement de nature pessimiste, Lina, mais tu as la fâcheuse tendance à te laisser influencer par les évènements qui bousculent ta vie. Ce n’est pas toujours aussi facile que ça de voir les choses du bon côté (oh, tu fais de ton mieux, Lina (mais, des fois, ton mieux n’est pas suffisant)).

Il y a du bruit qui provient de l’arrière boutique. Quand tu l’entends, tu jettes un rapide coup d’oeil par-dessus ton épaule, avant de te tourner à nouveau vers ton interlocuteur. Tu hésites un instant avant de prendre une nouvelle fois la parole. « Merci pour votre aide, Su Yichun. » Tu hésites encore un peu, tu cherches tes mots. « Je … Enfin, ce que je veux dire c’est que … vous n’êtes pas obligé de rester. Vous avez certainement mieux à faire que de m’attendre pendant que j’essaie des tenues, je ne sais pas combien de temps cela va prendre encore … » Tu hausses nonchalamment des épaules, tu te tortilles un peu sur place. « Je devrais pouvoir me débrouiller, maintenant, grâce à votre aide … Merci. » Tu n’es clairement pas à ton aise, mais (encore une fois) tu fais de ton mieux. Tu espères que le message passera bien, que tu n’as pas fait d’erreur dans ton énonciation.