“Hé Gamine, tu d’vrais…”
“La ferme.  Bougez pas.”

Depuis combien de temps étais-je en train d’user de mes dons de guérison pour notre bon vieux Capitaine ? A vrai dire, je n’en savais rien, et je ne voulais pas savoir. Complètement isolée, hors du temps, je me contentais de vérifier si tout le monde allait bien, et de soigner ceux qui en avaient besoin, sans sourciller, sans broncher, sans rien dire.  

“ J’survivrai tête de pioche ! Ta brûlure dans l’dos, t’as d’mandé à Tibuo ?  ”
“ Oui. C’bon c’fini, j’reviens plus tard.”

Essuyant les perles de sueur qui brillaient sur mon front, je me levai sans dire un mot de plus, puis regagnai de pont pour faire le point sur les blessés, sans me préoccuper un instant de l’état qui était le mien. Oui, un de ces abrutis de la Nation du Feu ne m’avait pas loupée, oui, notre meilleur Maître de l’Eau s’était occupé de moi, mais non, ce n’était pas cela qui me faisait le plus mal à cet instant précis. Toutefois, je refusais de me laisser sombrer, je devais tenir, encore, pour l’équipage, et pour ceux qui s’étaient retrouvés à combattre.

** Comment est-ce qu’on en est arrivé là hein.**

Les mots tournaient en boucle dans ma tête alors que je continuais d’user de ma Maîtrise pour guérir les plaies les plus graves… Mais aucune réponse convenable ne venait m’apaiser. Depuis combien de temps Jin avait décidé de tous nous vendre ? Avait-il eu pour but de nous anéantir dès le début ? Avait-il été sincère au moins une fois avec nous ? Avec moi ?

** Il a menti… Depuis le début… ce salaud… **

Pourtant, malgré tout, le doute subsistait, la bêtise des sentiments sans doute, et cela me donnait l’envie de le ramener par la peau des fesses afin de lui faire subir un interrogatoire. Prisonnière du déni, incapable de faire taire cette rage qui s’amplifiait tout doucement, je continuai à soigner, telle une machine, sans discuter, sans aucune émotion.

“ Ouf… Tout le monde est sauvé hein ? “

Des mots se glissèrent jusqu’à mes oreilles alors que j’administrais les derniers soins pour une brûlure superficielle. Alors, je relevai enfin la tête pour contempler le chaos désormais maîtrisé sur le pont et croiser le regard du plus jeune de la bande.

“ Les soins sont finis, surveille bien, tu m’appelles si quelque chose ne va pas.”

Sans attendre de réponse de la part, j’allais traîner ma carcasse blessée au niveau de la proue du bâteau, beaucoup plus calme et silencieuse. Exténuée, blessée autant physiquement que psychologiquement, j’allais m’asseoir dans un coin, en prenant soin de poser mon dos éprouvé avec douceur, afin de contempler les étoiles qui scintillaient dans l’immensité céleste aux couleurs abyssales.

** Pleure de rage un bon coup ma grande, vas-y. **

Pourtant, malgré l’envie de me débarrasser du poids qui pesait sur mon coeur et mes épaules, aucune larme ne vint couler le long de mes joues. Lâchant un soupir déconcerté, je fermai les yeux quelques secondes, comme pour essayer de retrouver un soupçon d’énergie… Mais mon cerveau ne cessait de tourner, me repassant les images, les mots, les combats… Les aveux, la trahison, puis ce combat face à la Nation du Feu… Pourquoi était-ce si insupportable ?  Peut-être parce que j’étais persuadée dans mon esprit que tout cela était de ma faute… Au final, j’avais fini par tomber sous son charme à cet abruti… Un coup monté encore une fois.

“RRRRRRAAAAAAAAAAHHHHHH !!!”  

Un cri, rauque et puissant, sortit alors de ma bouche alors que je serrais les poings avec force. J’en avais clairement marre, j’étais claquée, et je n’avais qu’une seule envie malgré la fatigue et la douleur… Retrouver celui qui nous avait fait affront pour lui faire payer son geste. Mais avant, j’allais sans doute devoir m’expliquer face à la personne qui avait entendu mon éclat de colère et qui semblait venir vers moi si je me référais aux bruits de ses pas…