Les récents évènements t'ont secoués, Yunwen. Tes vacances n'en étaient pas réellement (tu ne t'es pas reposée loin de là (et tu es revenue à Hikyo avec plus de doute qu'avant)) mais tu penses avoir appris bien des choses. Tu as l'impression que ta vision s'est étendue (comme si l'on t'avait enlevé une partie des tes oeillères (celles qui t'empêchaient de voir correctement le monde extérieur)) et même si tu es un peu secouée, tu ne comptes pas en rester là. Ta rencontre avec Meng t'a intriguée (elle a eu un impact énorme (plus que le jeune homme ne peut penser)) et cela fait plusieurs jours que les mots de ta mère résonnent en boucle dans ton esprit et te perturbent. Tu es la tête dans les nuages, cela ne te ressemble pas, Yunwen (ton nom signifie pourtant en partie nuage (mais bon, tu as toujours été terre-à-terre)) et une fois rentrée à la Nation du Feu, tu avais décidé d'en avoir le coeur net. Non, tu ne retournerais pas sur les terres du Royaume de la Terre... enfin, pas directement.

Car c'est dans les colonies que tu traînes les pieds actuellement. Tu voulais en avoir le coeur net, voir de tes propres yeux ce que ta nation prenait comme mesure. Voir la différence, qui étaient ces "citoyens de seconde zone" comme ils disaient, ce que les gens pouvaient en penser (tu étais loin de te douter que la vérité était toute autre (de ce que toi tu pouvais penser)) et s'ils étaient du même avis que ta défunte mère. Une fois arrivée, tu t'étais retrouvée déboussolée, oui, mais pas dépaysée. Tu savais que des citoyens de la nation du feu étaient venus s'installer ici alors tu retrouvais une partie de la culture que tu connaissais déjà (toutefois, c'était bien différent (une fois sortie d'Hikyo, tu ne peux que te confronter aux différences)). Tu marches Yunwen, dans ta belle robe faites dans des tissus bien trop chers pour que tu puisses être issue des terres que tu foules (et tu sens le regard des gens sur toi (dans ton dos (un peu partout (ici, c'est comme si c'était toi l'étrangère)))).

Soudainement, une petite fille s'écrase sur le sol devant toi et tu te baisses pour lui tendre tes mains afin de l'aider à se relever. Tu lui offres ce sourire aimable et poli que l'on te connaît (ses mains sont pleines de terre et salissent les tiennes (mais tu n'en tiens pas vraiment rigueur)) avant de lui demander si elle ne s'est pas fait mal. Elle te répond que non et te regarde avec de grands yeux (comme si elle venait d'apercevoir une princesse (et tu souris à cette simple pensée Yunwen)) et tu décides alors de lui demander ton chemin. Tu es un peu perdue ici, et tu avais préparé au préalable une liste d'endroits à visiter dans les colonies. Elle te l'indique alors (mais elle parle rapidement (c'est une enfant après tout)) et tu ne comprends pas vraiment toutes les indications qu'elle te donne. Néanmoins, tu fais mine d'avoir tout compris et vos chemins se séparent alors.

Tu te retrouves bien embêtée à devoir suivre des prenez après le truc à droite puis au machin il faut continuer tout droit pour prendre à gauche au bidule. Tu regardes les différentes personnes passer devant toi. Tu n'oses pas vraiment les déranger dans leurs vies quotidiennes. Tu ressembles au mouton noir dans cette fourmilière qui ne semble jamais s'arrêter. Et enfin, dans les gens qui passent, tu sembles capter un individu différent (enfin c'est ce que ton instinct te dit (tu ne saurais trop dire pourquoi)) et alors tu te rapproches avant de l'interpeller.

- Monsieur? Excusez-moi de vous déranger. Je cherche le marché de Yu Dao, est-ce que vous sauriez m'indiquer la voie à suivre pour m'y rendre?

Que fais-tu là, Yichun ? Que fais-tu si loin de ta secte, de ta ville natale, de ta région, techniquement même de ton pays ?

Tu ne sais pas vraiment ce qu'il t'a pris, de venir jusqu'ici. Tu t'aventures rarement si loin dans le Nord. Après tout, le Jardin serait davantage responsable de ce territoire pour n'importe quel problème, et on t'a très tôt appris à ne pas empiéter sur les plates-bandes de l'autre secte. Tu peux même pas dire que c'était pour une chasse, parce que ce n'est pas pour ça que tu es là, ton épée sagement rangée dans son fourreau, présente, mais discrète, se fondant presque avec les couleurs de ta tenue aux tons gris foncé et un écarlate qui a connu de meilleurs jours.

En vrai, t'as entendu dire qu'un de tes opéras préférés était joué, et qu'une troupe que tu apprécies particulièrement était en tournée. Dans le Nord. Et pas n'importe quel Nord, malheureusement, quand tu as entendu parler de cette tournée à cette date : dans cette zone contestée que ton coeur de citoyen du Royaume veut dire qu'elle vous appartient, mais que tu sais qu'elle est aux mains de la Nation du Feu depuis quelques décennies, déjà.

Une honte, pour ton pays. Une honte et une blessure à l'âme et à l'égo. Combien de citoyens du Royaume ont été sacrifiés, hein, par le Roi ? Combien n'ont jamais vu l'armée arriver à leur secours, ou en nombre trop faible pour réellement les défendre ? Combien sont tombés, avant que l'emblème enflammé ne soit affiché partout à Yu Dao ?

T'as jamais été à Yu Dao avant qu'elle ne tombe, c'était trop loin de chez toi, sans intérêt. En vrai, c'était un petit port sans réelle importance, avant que la Nation du Feu s'en empare. Et, tandis que tu parcoures les allées de la ville, te sentant à la fois imposteur à ton pays, et imposteur face à l'occupant, tu ne peux t'empêcher de remarquer cette fameuse modernité que se targue d'apporter la Nation du Feu. Parce que c'est vrai, on est loin de bicoques de bois ou de terre. Les bâtiments sont plus hauts, plus grands, plus imposants. L'architecture est différente, dans la verticalité, et dans des tons auxquels tu devrais être habitué, disciple de la Forteresse du Pic écarlate que tu es, mais qui te donnent une vague envie de vomir. Tu regrettes l'ocre et le vert si chers à ta nation.

Quand tu arrives enfin à l'opéra (heureusement que la musique, la foule et les lettres en grand t'ont aidé à repérer le lieu), tu apprends avec un peu de tristesse que la prestation que tu attends n'est pas prévue avant demain soir. Chagriné, tu te rends compte que tu vas probablement devoir te trouver un logement pour la nuit, ce que tu n'avais pas vraiment prévu, un peu bêtement, espérant qu'il y aurait des représentations en journée. Devrais-tu faire quelques kilomètres pour rejoindre un village appartenant encore à ton pays ? C'est tentant, mais en même temps...tu connais peu la Nation du Feu, et les colonies ne sont-elles pas une introduction moins violente à cette culture ? Pris soudain d'une pensée noire – que ta sœur aînée dans ton crâne matraque violemment aussitôt – tu te demandes si tu devrais peut-être t'y familiariser, que c'est le destin qui attend le reste des territoires qui vont se faire petit à petit grignoter.

Non. Non, la Nation du Feu ne va pas gagner. Vous retrouverez votre pays entier, un jour. Mais ça n'empêche pas que...tu es désormais curieux. Tu as pas mal d'heures à tuer, après tout, et il faudra bien que tu te trouves une chambre pour la nuit. Tout à tes pensées, tu ne réalises pas immédiatement que ton pas a ralenti jusqu'à presque t'arrêter, te demandant par où chercher le lieu le plus propice, quand une voix te sort de ta torpeur. Tu clignes des yeux, un peu surpris, face à la jeune femme...qui semble un peu trop bien habillée pour faire partie des citoyens de Yu Dao. Elle doit faire partie de la noblesse. Mais y a-t-il même encore une noblesse ? Celle de la Terre a dû s'échapper, et celle du Feu...non, sûrement ne serait-elle pas tolérée ?

Et puis tu réalises ce qu'elle te demande. Ah. Hm.

« Euuuh. » Très éloquent, Yichun, vraiment. « Ah, je ne suis...pas exactement du coin ? » réponds-tu un peu gêné. Incapable de mentir, tu te mords légèrement la langue, regrettant cette révélation. Au moins, te dis-tu avec une pointe d'ironie, les couleurs de ta secte te feraient presque passer pour un citoyen de la Nation du Feu. Tu ne fais pas trop tache. « Mais je pense que c'est par là ? » indiques-tu dans ce que tu espères être la bonne direction, te rappelant être passé par là plus tôt dans la journée (du moins, tu crois, franchement, tu t'y perds dans ces rues, tout est trop haut). Y'avait une petite place, pas mal de boutiques. Est-ce que c'est le marché ? Peut-être, peut-être pas. Maintenant que t'y penses, ce serait pas une mauvaise d'y retourner, avec une telle concentration, tu trouveras peut-être un logement pour la nuit ? « Il y avait pas mal de boutiques ? » ajoutes-tu, un peu maladroitement. « Je devrais probablement y retourner pour trouver une auberge ou quelque chose du style. »

Raconte ta vie à des inconnus, Yichun, voyons, t'es pas du tout en territoire ennemi, hein, tout va bien.


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