Please have mercy on me

10ÈME MOIS DE L'ANNÉE 53 RW. [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]

Pendant quelques semaines, j’avais pu me reposer dans les terres des jardins parfumés, ça bien sûr, je ne l’avais appris que bien plus tard et encore, au détour de conversations. J’avais le droit de me balader dans les jardins, mais sous certaines conditions et vu combien j’étais loin de tous ce qui avait trait à la cultivation, j’avais été fasciné. Dans ma nation, dans l’armée, les différents pouvoirs étaient séparés, les modes de vies opposés, je ne rencontrais que des maîtres du feu, même les soldats sans maîtrises étaient gardés ailleurs. Alors, cette façon de s’occuper de la terre bien différente de tout ce que je connaissais était fascinante, mais malheureusement je ne posais pas la moindre question. Je savais que mes jours étaient comptés, je savais que j’étais soigné pour les bonnes raisons, mais je ne pouvais pas rester longtemps ici. Alors je me faisais petit, espérant être oublié. Ce fut en vain.

Aallyah revenait me trouver régulièrement, vérifiant mes progrès, mes blessures et mon esprit. J’étais lucide, je savais ce que je devais faire, mais tout était dur, un jour elle vint m’apprendre une bonne nouvelle, elle m’avait trouvé une cachette, un endroit sûr où je pouvais me poser. Intérieurement, j’avais ri, aucun endroit au monde ne serait jamais sûr. J’avais constamment été retrouvé, mais je l’avais écouté et cru, parce que je n’avais personne d’autre.

Après un mois de repos total, qui m’avait fait beaucoup de bien après la défaite d’Omashu me revoilà sur les routes. J’avais des nouveaux vêtements, on m’avait donné une arme, typiquement du royaume de la terre, en échange de mes dernières possession de la nation du feu et c’était officiel : Shao Jin n’existait plus. Je n’étais qu’un étranger, un mélange abominable de trop de culture, j’en connaissais trop et pas assez à la fois, j’étais capable de me faire passer pour quelqu’un de la terre, mais pendant peu de temps. Tout dans ma façon d’être respirait la vérité : le feu. J’avais appris, mais c’est impossible d’oublier toutes ces années d’endoctrinement. Mes réflexes étaient du feu et ils m’avaient sauvé la vie trop de fois pour que je les mette de côté.

J’avais fui la nation du feu avec mon frère, maintenant j’étais seul. Je le retrouverais un jour, mais il me fallait d’abord survivre, me remettre à l’abri. Les routes du Royaume de la Terre n’étaient pas accueillante, mais je ferai au mieux pour trouver mon chemin jusqu’à la côte. J’avais rendez-vous dans une des villes perdues, loin de tout, après le désert du Si Wong que je n’aurais, heureusement, pas à traverser.

Mon contact n’était qu’un nom de code, une tuile d’un jeu que je n’avais jamais réussi à comprendre. Mais j’espérais que ça suffirait, que je m’en sortirais, que je rencontrerais un ami. Il me fallait ça. Perdre Aallyah, la seule personne en qui j’avais confiance était dur, mais c’était nécessaire. Alors j’étais parti.

Après deux mois de marche, parfois solitaire, parfois accompagnée, passant au grès des villages, des montagnes et des vallées, j’en avais appris plus sur les coutumes de ce royaume qui m’était inconnu jusque là. J’avais appris à me faire à manger, à répondre quand il le fallait et me cacher le reste du temps. J’avais dormi à la belle étoile, dans des jardins, avec des animaux et parfois dans des chaumières accueillantes. Je ne m’étais attardé nul part. Et chaque fois que j’étais, je m’étais entraîné. A ma maitrise du feu, mais aussi à me battre, façon royaume de la terre. Ce périple avait été formateur et j’appréhendais enfin une possibilité de survivre par moi-même. Il me restait beaucoup de trous dans mon histoire, mais j’espérais trouver des réponses.

Lorsque j’arrivais enfin au village attendu, je passais deux jours à le surveiller avant de m’y aventurer. J’avais récupérer mes vieux réflexes de pirates, mais je n’en avais rien appris sur la ville pour autant. Heureusement pour moi, Aallyah avait bien calculé la durée de mon voyage, j’arrivais parfaitement pour la nouvelle lune et n’avait donc qu’une nouvelle journée à attendre. Avant que le soleil ne se couche, je me rends dans le salon de thé indiqué, un peu à l’écart de la ville et commande la boisson prévue dans le code. Je laisse une pièce sur le comptoir et vais m’assoir. Sortant la pièce du jeu de Pai Sho devant moi, la faisant tournoyer entre mes doigts.

Si l’indicateur de Aallayah est là, cette personne ne devrait plus tarder. J’espère que sous mon turban vert, engoncé dans ces habits de voyages et avec cette légère barbe qui nait sur mes joues, je ne serais pas reconnu pour ce que je suis réellement.

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Combattre était une chose. Se tenir en retrait en sachant que les autres se trouvaient au front en était une autre. Et j’avouais à présent que le fait d’avoir été sur la touche à un moment aussi crucial et en temps que Capitaine m’avait littéralement… perturbée.

Quelques mois s’étaient écoulés depuis les différents coups d’éclat qui avaient secoué Ya Tai. La guerre n’avait pas pris fin, mais l’ennemi n’avait pas remporté les combats dans leur intégralité. Entre blessés, morts et disparus, la vie avait été chamboulée… Le Cursed Lotus n’avait pas été épargné, même si… ça aurait pu être pire. Simplement, je me sentais coupable… Coupable de ne pas avoir pu être offensive, coupable d’être restée auprès de la chair de ma chair, coupable d’avoir seulement pu agir un minimum en temps que guérisseuse…

Alors, et pour me racheter une conscience, je tentais d’être sur tous les fronts… Et le plus important à mes yeux étaient de venir en aide à ceux qui ne trouvaient plus leur place en ce monde à cause de la guerre… Ainsi, j’entretenais les contacts avec ceux qui avaient un rôle d’intermédiaire entre l’équipage et les parias à sauver mais… sans plus. Car la peur de m’éloigner du navire et des miens m’avaient littéralement transformée en bernique qui refusait de sortir de sa coquille.

Ce fut une histoire aux allures plus suspecte qui me poussa à faire de nouveau un pas en avant dans le monde. On nous avait sollicité pour venir en aide à un homme, ancien militaire de la Nation du Feu, une âme marquée et égarée en quête de rédemption…

Dans ma petite tête, tout s’était éclairé rapidement. Il devait s’agir de Jin… ou Cheng, car rares étaient les déserteurs qui survivaient du côté des Flammes.

J’avais donc décidé de me rendre au point de rendez-vous seule, après avoir prévenu Taiyo de mon pressentiment concernant l’identité de celui qui sollicitait notre aide. Le voyage serait court, nous étions au large du Royaume de la Terre, le village cible se trouvait à une heure de marche, je n’avais rien à craindre… du moins, je l’espérais.

Ainsi, et pendant tout le trajet, je m’étais remémorée notre dernière entrevue avec les frères Shao… Quelques jours plus tard, la guerre éclatait de toute part… Je n’avais eu aucune nouvelle depuis, alors oui, secrètement, j’espérais voir un visage familier, pour être rassurée… juste un peu.

Ou pas.

Une fois entrée dans le lieu de rendez-vous, encapuchonnée pour plus de discrétion, je laissai mes yeux se balader sur l’assistance… à la recherche de…

** Jin ? **

Et voilà que mon cœur s’emballa à la vue de la silhouette que je pouvais reconnaître entre mille malgré quelques changements physiques. Il était là… en vie… même s’il paraissait… différent. Ou alors c’étaient mes sentiments incontrôlables qui me rendaient débile.

** Il t’a oubliée Ahloy, il VOUS a oubliées, il a perdu les pédales la dernière fois… Ne te laisse pas avoir.**

Ma conscience avait les bons mots, mais est ce que j’étais prête à mettre les pieds dans le plat et à me conforter à cet amour perdu après tout ce qu’il s’était passé depuis presque un an et demi ?

« À la nouvelle lune, la porte de la liberté arrivera du Nord, et aux éclats diurnes, décidera de votre sort. » marmonai-je à voix basse une fois arrivée face à Jin, le visage toujours dans l’ombre.

J’étais proche. Tellement proche. Mon cœur s’emballait et défiait ma raison. Bordel ! Je ne devais pas céder !

« Prouvez moi qu'vous méritez d’entrer, m'sieur… ? » lançai-je alors avec sérieux en ôtant enfin ma capuche pour dévoiler mon identité.

Regard blasé, air suspect, j’allai me poser en face de mon ancien amant que je faisais mine de ne pas reconnaître pour éviter le pire. C’était le seul lien que j’avais trouvé pour dominer l’échange et évaluer la véracité de ses propos.

Et puis… s’il se souvenait vraiment de moi, et de l’existence de son enfant, il allait savoir ce que ça faisait d'être face à un visage si familier qui semble avoir tout oublié en plus d’être en colère.

C'était... de bonne guerre.

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Le murmure du code te fait frissonner, parce que tu n'étais pas assez attentif et que tu n'as pas entendu les pas se rapprocher de toi. C'est le moment de vérité, celui où tu découvres si tu as le droit à une rédemption et une protection ou non. Sur la route, tu t'es interdis de réfléchir, mais deux mois c'est long et te diriger vers l'Océan comme moyen d'éviter les dangers de la terre ferme... a bien fait germer une idée dans ta petite tête étriquée. Sauf que tu ne savais pas si c'était une bonne chose ou si c'était une catastrophe.

Pendant la personne s'assied en face de toi, qu'elle enlève son capuchon, tu inspires et espère, même si tu n'es pas sûr de ce que tu as envie. Et puis tout d'un coup, elle est là. Ahloy. La plus belle femme de l'univers, la mère de ton enfant si tu en crois ses dires, la maître de l'eau la plus puissante et dangereuse que tu connais, la personne que tu aimes, mais que tu n'as fait que briser au fil des années. Tu sais qu'il te manque des souvenirs, tu as fini par l'admettre après des mois et des mois d'errances, mais ça n'en reste pas moins dur, parce que ton esprit tout est mélangé.

Elle parle, d'un air détaché, comme si elle ne te connaissait pas, comme si tu n'étais rien et qu'elle n'avait qu'à te juger. Ton souffle est coupé dans ta gorge et tu ne sais plus quoi faire. Tu as envie de courir dans ses bras, de la sentir, de la toucher, de vérifier qu'elle est bien là, mais pour la première fois de ta vie, elle n'émet que de l'indifférence envers toi et c'est peut être le pire sentiment que tu n'as jamais ressenti.

Lentement, tu inspires et remets tes idées en place.

« Je ne le mérite pas, Ahloy, tu le sais aussi bien que moi. Jamais je ne serais plus accepté sur ton bateau. » Ces mots sont les plus honnêtes que tu n'as jamais prononcé, et tu les regrettes tellement, mais tu sais qu'ils sont nécessaire, vous ne pourrez jamais repartir sur une bonne base ensemble sans ça. La voix la plus basse possible, tu reprends. « Je m'appelle Shao Jin, je suis un double-déserteur de l'armée et cette fois-ci, si Nation du Feu me retrouve la seule chose qui m'attend c'est la mort. D'ailleurs, j'ai été envoyé pour y mourir sur le front d'Omashu, j'ai survécu grâce à la chance et mes blessures m'ont fait perdre tout le peu de dignité qu'il me restait encore. Satisfaite ? »

Le coeur tambourinant, les mains moites, tu sais que tu sais que tu joues ta vie. Si elle te refuse, tu n'as plus rien qui t'attend, qu'une courte et pénible vie de vagabon.

« Elle est comment, la petite ? » murmures-tu, le visage baissé de honte, mais les yeux plein d'espoir d'avoir enfin une réponse.

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Je ne devais pas craquer, parce que sa voix me faisait comprendre qu'il était sincère malgré mes réticences, je ne devais par craquer, car la Nation du Feu était fourbe au point de briser ses propres éléments pour les reconstruire à son image, je ne devais pas craquer, non, même s'il parlait de notre fille, ce petit être doux que j'avais laissée derrière moi pour venir à sa rencontre et dont l'abandon me brisait le coeur.

Je ne devais pas craquer. Pas temps que le doute subsistait dans mon esprit. Même si c'était dur, la chose la plus dure que j'avais à faire de ma vie.

Alors, je soupirai, longuement,  et mes ongles claquèrent frénétiquement sur la table alors que mes yeux restaient plantés dans ceux de Jin. Il fallait à tout prix rester stoïque, et ne pas m'écarter de la ligne directrice que j'avais choisie pour cet entretien particulier.

"Bien. Et entre Omashu et... ici ? La Nation du Feu n'est pas réputée pour sa clémence face aux... déserteurs. Mais vous, c'est... double déserteur, c'bien ça ? C'est plus d'la chance à ce stade. " fis-je mine de résumer sur un ton sarcastique qui pompait toute mon énergie.  

C'était dur. Bordel, que c'était dur de rester de marbre face à cet homme que j'aimais encore malgré nos dernières entrevues... Toutefois, j'avais promis à Taiyo de ne pas me laisser amadouer si jamais j'étais confrontée aux frères Shao. D'ailleurs... en pensant ça... Il était où Cheng ?

Je commençai à me mordre la lèvre inférieure à la pensée de ce frère qui avait été au centre de ses objectifs durant des années... Ce frère pour qui il avait endossé un rôle de traite, ce frère pour lequel il avait décidé de subir ma haine et plus mon amour pour éviter de me mettre, de nous mettre, en danger... Non, s'il était mort, Jin aurait été très différent... Totalement brisé...

** Et merde. **
" Où est Cheng ? "

La question était sortie, sans prévenir, brisant l'image si insensible que j'avais décidé d'afficher depuis le début. Mais je n'avais pas réussi à faire comme si de rien était face à ce point particulièrement étrange qui entourait son aîné que j'avais rencontré lors de notre superbe réunion improvisée au Royaume de la Terre et qui m'avait paru bien... perturbé... J'avais peur, oui... Peur de voir Jin suivre le même chemin... Notre échange dans la grotte du Nord m'avait brisée, au point où j'avais fini par tout remettre en question concernant notre histoire et notre avenir... Si la Nation du Feu n'avait rien fait, alors, tout irait pour le mieux...

Mais pour l'instant, rien ne me prouvait le contraire...

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Elle te vouvoie, c'est peut être la pire chose à faire pour te détruire de l'intérieur. Sa colère, sa haine, tu peux le comprendre, son indifférence non. Tu cherches l mots pour lui expliquer, lui dire la vérité, lui montrer combien tu as risqué ta vie et oui, la chance que tu as d'être encore de ce monde. Il y a cet objectif, plus loin qui te fait tenir et ça a toujours été elle. Ahloy est ton étoile dans le ciel qui guide ta route, tu le sais depuis toujours, même lorsque tu l'as trahie, même lorsque tu t'es perdu dans ses souvenirs qui t'ont été volé, même lorsque tu ne savais plus qui tu étais, il n'y avait qu'elle.

Or elle est là. Et elle ne veut pas de toi. Tu n'es pas certain de pouvoir te relever de ça, tu as envie de partir, mais c'est ta seule et unique chance de rester à ses côtés. Si elle te ferme les portes du Cursed Lotus, tu ne pourras plus jamais la voir. Cet équipage est trop bien entraînée pour être retrouvé, et vu ta dernière trahison, tu ne peux que penser qu'ils se sont encore améliorés.

« Mon père a préféré m'humilier pendant des années plutôt que m'exécuter, ça te va comme explication ? » Ton retour dans l'armée de la nation du feu a été un enfer, tu étais sous sa coupe, incapable de faire le moindre pas en avant. Tu t'es muré dans le silence, dans la honte. Tu étais revenu au plus bas de l'échelle et n'a jamais pu monter. Si tu es resté, c'était uniquement pour Cheng, et si tu avais pu t'enfuir, c'était encore une fois grâce à lui. Cheng t'a sauvé la vie, autant que tu as essayé de changer la sienne, mais vous n'êtes plus ensemble, Cheng a de nouveau disparu. « Non, il ne fait pas bon d'être déserteur et je risque ma vie a chaque pas, j'ai traversé le royaume de la terre à pied, avec uniquement mon sac sur mon dos. Voilà comment j'ai survécu, grâce à notre contact en commun qui m'a donné un but. » Tu plonges ton regard dans ses yeux, ses pupilles si merveilleuses que tu n'arrives plus à charmer, comme tu aimerais lire dans son regard une main tendue, de la pitié, même de la haine. Mais non, tu n'as plus droit à rien. Ta gorge te fait mal, sèche, d'être trop utilisée par des semaines de silence. Mais c'est elle ton but, c'est grâce à l'idée qu'elle existe que tu es en vie. « Cheng a disparu. » Ton coeur se serre, mais tu as du faire des choix. Des années en arrière, c'est lui que tu as choisi, aujourd'hui, tu les as perdu tous les deux. Cheng et Ahloy, les deux seules personnes que tu as pu aimer et admirer dans ce monde pourri. « Nous nous sommes quittés, j'avais besoin d'aller à Omashu, il jugeait ça trop dangereux. » Il avait raison évidemment, si tu l'avais suivi, si vous étiez restés ensemble... mais vos chemins se sont séparés et tu te doutes qu'il a quitté Ba Sing Se, vous retrouverez vous un jour ? Maintenant qu'il est libre, il faut qu'il avance de lui-même, tu lui as donné les clefs et Aallyah est la seule qu'il lui manque. Tu espères qu'elle le retrouvera. « Il avait raison, je suis seul maintenant. » Tu la regarde dans les yeux, tu veux qu'elle te croit, parce que tu ne fais que dire la vérité.

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Et voilà qu'il s'énervait. Doucement. Je le connaissais bien trop pour capter les émotions qui se cachaient derrière ses mots. Un père persécuteur, une vie de déserteur qui venait de l'éprouver car il avait vu en sa survie une chance... Sa dernière chance sans doute. Comment rester insensible face à ça ?

Je fermai alors les yeux, pour inspirer et expirer lentement, l'oreille toujours tendue pour écouter avec douleur ce que Jin avait à me dire. J'avais envie de craquer, de m'effondrer, parce qu'il n'avait jamais rien demandé et parce que son frère avait fini par disparaitre pour son plus grand malheur.

Il disait vrai. Je le sentais. Mon coeur abîmé battait au rythme du sien, pour ressentir sa peine, sa souffrance mais surtout sa solitude. Alors, lorsque mes yeux se rouvrirent, baignés de larmes qui n'osaient pas couler le long de mes joues, je restai silencieuse, quelques secondes. Secondes durant lesquelles j'agitai la tête, totalement perdue, mais aussi agacée par les sentiments qui prenaient littéralement le dessus.

"Tu m'emmerdes, tu l'sais ça ?" lâchai-je d'une voix brisée par le sanglot que je retenais habilement dans ma gorge. "Tu... Tu... Tu m'rends dingue. J'sais plus. J'sais plus quoi penser, je."

Contre toute attente, et sentant les perles salées déborder, je me levai, puis marchai rapidement pour rejoindre l'extérieur en laissant mes émotions me submerger, bousculant tout obstacle sur mon passage. Ce ne fut qu'une fois dehors que je me mis à haleter, difficilement, pleurant franchement, le regard cherchant une issue invisible dans le décor. J'avais mal, tellement mal, parce que je l'aimais, si fort, malgré tout. Je n'avais pas réussi à jouer le rôle de la Capitaine sans coeur pleine de remord, je n'avais pas réussi à tenir ma promesse face à Taiyo qui serait bien déçu en me voyant si vulnérable... Alors, mains sur les hanches, le souffle coupé par des pleurs que je tentais de contrôler, j'errai devant l'auberge comme une âme en peine qui aspirait à une vie posée, en famille, avec notre enfant. Un rêve effleuré du bout des doigts quelques mois auparavant, et qui avait volé en éclat le jour où Jin s'était montré complètement différent dans cette grotte au point de me faire douter de lui, de nous, de tout.

Pourquoi fallait-il que ça soit si... difficile...  alors que tout semblait rentrer dans l'ordre ? Est-ce que c'était trop beau pour être vrai ou est-ce que j'allais être une nouvelle déçue au point de ne plus jamais pouvoir me relever ?

Je ne savais pas.

Je ne savais plus.

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Des larmes, de vraies et belles larmes qui humidifient ses yeux. Ton coeur se met à battre plus fort, tellement heureux qu'elle ressente finalement une émotion en ta présence ! Tu ne te rends compte de ton sourire que lorsqu'elle se lève précipitamment et qu'elle part. Merde, oui, sourire parce qu'elle est en train de chialer ça fait de toi un être abject, pas du tout ce que tu espérais transmettre. Le soulagement que tu ressens est donc de courte durée, tu sais qu'elle conserve quelque chose pour toi, mais ce n'est pas forcément fort ni puissant, elle est émue par ton parcours, comme elle a toujours été empathique pour tout le monde. Et toi, tu souris. Idiot.

Tu restes assis un instant sur le chaise, lui laissant le temps de se reprendre, mais le manque brutal de sa présence se fait déjà ressentir. Cela ne peut être déjà fini, c'était trop court, tu as besoin de plus. Pire, elle ne t'a rien dit sur votre fille car oui, même si tes souvenirs te sont arrachés, même si tu ne te rappelles plus de ces moments, tu es persuadé que vous avez une fille ensemble, tu veux croire que votre amour a pu porter autant de fruit. Et si tu es certain d'être un père catastrophique, tu veux tout de même en savoir plus sur elle. Tu ne seras sûrement jamais autorisé à la voir, alors tu espères connaître au moins son nom. Et ses pouvoirs. Si elle maîtrise le feu, peut être qu'elle aura besoin de toi plus tard. Un tel espoir est inenvisageable.

Finalement, tu sors doucement pour retrouver Ahloy, elle fait les cent pas, ses yeux sont rouges et tu t'en veux de la blesser encore et toujours. Quand cesseras-tu d'être un fléau pour tout ceux qui t'entourent ?

« Ahloy, l'appelles-tu, sans savoir ce qu'il convient de faire ensuite. Je suis désolé. Voilà des excuses, elle mérite au moins ça. Par contre, j'ai toujours été un emmerdeur, sur ça j'ai pas changé. »

Le sourire qui s'étire sur tes lèvres est teintés de souvenir, surtout ceux des trois premières années sur le Cursed Lotus, quand elle n'avait pas confiance en toi, quand elle te testait, observait et vérifiait que tu méritais ta place. Tu sais que tu ne mérites plus sa confiance, mais tu as besoin de continuer à essayer, parce que sans elle, tu ne vaux plus rien. « Je sais ce que tu penses de moi, mais je te promets que je peux me racheter, s'il te plaît, laisse-moi une dernière chance. » Et par ces mots-là, tu lui dis c'est toi que je choisis. Et bon sang, tu espères que ça suffira.

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J'étais là, dehors, à tourner en rond à essayer de ravaler mes larmes. Cependant, la vanne s'était ouverte, et j'avais comme l'impression de ne plus jamais réussir à m'arrêter de pleurer. Alors, je tentais de me concentrer, pour être en état de rentrer de nouveau me confronter à Jin pour poursuivre cet entretien. Mais en pensant à mon amant, je replongeai. J"étais coincée dans un cercle vicieux sans fin.

Ce fut donc lui qui vint à ma rencontre, devant cette auberge où, malgré le fraicheur du soir, on pouvait percevoir le parfum des embruns au loin. Incapable de lui faire face, surtout après ses mots qui vinrent à nouveau tout remuer dans ma petite tête, je lui tournai alors le dos, et levai une main vers lui.

"STOP" lui intimai-je d'une voix qui traduisait parfaitement l'état que je souhaitais caché. Pendant quelques secondes, je repris mon souffle, bruyamment mais lentement... puis, je pivotai vers lui, pour lui faire face, le visage ravagé par la tristesse et la colère. "Une seconde chance, hein ?"

Haletante, j'avais comme l'impression l'air me manquait... Je sentais cette nouvelle vague d'émotions m'envahir, et je savais pertinemment que je n'allais pas réussir à la contenir. Pas cette fois.

"BIEN SÛR QUE J'EN CRÈVE D'ENVIE ESPÈCE D'EMMERDEUR ! C'est ça l'problème !!" Je plongeai, sans réfléchir, je me laissai faire, dominer par mes sentiments qui ne demandait qu'à sortir pour alléger ce foutu fardeau qui pesait sur mes épaules depuis le jour où on s'était revus dans cette grotte. "MAIS J'Y. ARRIVE. PAS ! Parce que... PARCE QUE. ! LA DERNIÈRE FOIS ! T'as  OUT foutu en L'AIR EN PLUS DE ME FAIRE PEUR ! "

Chaque mot me causait du mal, chaque pensée tournée vers le passé venait briser mon coeur qui battait trop vite, chaque larme qui coulait venait brûler mon âme...

"Tu as TOUT oublié ! Comme ton frère ! Je l'ai vu ! L'autre jour et il n'était pas l'homme qui nous a attaqué ! QUI me dit qu'ils t'ont pas fait la MÊME CHOSE  ?! J'peux pas mettre NOTRE FILLE en danger, ME mettre en danger, mettre L'ÉQUIPAGE en danger !!! JE. PEUX. PAS. RRAAAAAH!!"

La colère prit le dessus, et me poussa diriger mes mains vers la source d'eau la plus proche afin de la manipuler pour aller m'en prendre à des arbres en loin en la transformant en petits pics de glace. Ce ne fut qu'après mon attaque que je laissai mes jambes tremblantes céder sous mon poids, histoire de finir à genou, comme une loque qui avait besoin de recharger ses batteries.

"Pourquoi... Pourquoi faut toujours qu'ce soit la merde... hein ?" chuchotai-je en fixant le vide, les larmes coulant silencieusement sur mes joues rosies.

Les Esprits n'étaient pas vraiment cléments avec nous... Pourtant, on n'avait tout pour être heureux... Quelle douce ironie...

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Un peu plus tôt, tu as cru avoir vu un léger chemin qui se frayait entre les lézardes de son coeur et avoir la possibilité de revenir sur le Crused Lotus, comme un imbécile, tu avais plongé tête baissée dans l'espoir alors que tu te l'étais interdit. Et voilà où ça t'a mené : au désespoir le plus complet quand elle se met en colère. Elle est tiraillée entre son devoir de capitaine et ... toi. Malgré tout ce que tu lui as fait subir, malgré tout ce que tu as oublié, malgré tout le temps passé, elle continue d'avoir envie de te tendre la main.

Ton coeur se rengorge de bonheur, pourtant elle est violente, elle hurle, elle découpe chacun de ses mots, elle utilise sa maîtrise et pas de manière douce et délicate, non, clairement, elle pourrait déclencher une guerre rien qu'avec ses doigts. Et toi, tu souris, comme un imbécile heureux.

Pendant un instant, tu ne dis rien, tu attends de mettre tes pensées en ordre, cherchant la meilleure façon de la rassurer, de lui dire, mais toi-même tu es un peu troublé parce que tu n'as que peu de souvenirs. Tu essaies de réfléchir à l'élément déclencheur, tu y as passé beaucoup de temps après ta rencontre avec elle, et tu es presque certain d'avoir trouvé la zone d'action.

« Je ne peux faire que des suppositions vu que ... et bien j'ai oublié ce dont je ne me rappelle pas, mais ce que je peux te dire c'est que les soldats ont commencé à me vanner et trouver mon comportement différent lors du septième mois de l'année 52. J'étais en mission, loin de mon père, je me rappelle avoir l'impression de me réveiller d'un rêve étrange, mais je n'ai compris bien des mois plus tard que c'était sûrement en lien avec ... toi. » Tu baisses les yeux, un peu indécis, parce que tu lui livres quelque chose qui est peut être totalement faux, qui est peut être très loin de tout, mais c'est la seule chose que tu as réussi à mettre en lien. Et il t'a fallu de nombreuses heures de réflexion, de mal de crâne et d'idées ratées. Tu dois admettre que les explications ont commencé à venir à partir du moment où tu as retrouvé Aallyah... « Je crois que c'était juste la malchance, que ça n'avait rien à voir avec ce qu'a subit Cheng. » Tu ne le crois pas, tu l'espères de tout ton coeur, mais si ça peut rassurer Ahloy, alors tu essaies.

Puis tu recules d'un pas, doucement. « Ahloy, je... j'étais venu dans l'espoir de recevoir de l'aide, mais quand je t'ai vue, j'ai su que c'était vain. Jamais plus je ne serais autorisé à monter sur ce bateau, même des fers aux pieds. Je ne veux pas te forcer la main, mais... je n'arrive pas à être raisonnable et m'éloigner de toi. » Cela fait des années que tu n'as pas été aussi franc avec elle, aussi direct. Tu sais que tout explose autour de vous, que tout est compliqué, mais tu ne peux t'empêcher d'y croire, un court instant. Tu voudrais finir ce thé en sa compagnie sans penser au lendemain.

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J'aurais voulu être seule. Un court instant. Histoire de pouvoir réfléchir posément à la meilleure décision à prendre face à un Jin qui paraissait tout aussi perdu que moi. Toutefois, les Esprits n'avaient pas envie de m'octroyer ce moment de répit...

Nouvelles explications, nouvelles déclarations, je me retenais de me boucher les oreilles comme une gamine face aux vagues de vérité qui m'arrivaient en pleine tête. Le septième mois de l'année cinquante deux... Le début du cauchemar... A nouveau, je me sentis submergée par l'angoisse... Il disait que tout était lié à moi... Est-ce que c'était possible ?

Je soupirais, reniflais bruyamment, mais tentais désespérément de contenir mes larmes pour ne pas avoir à craquer à nouveau. Un exercice bien difficile face à celui qui continuait malgré tout d'être le gardien d'un coeur bien trop éprouvé à mon goût... Parce que ses mots trouvaient parfaitement leur chemin, parce que je pouvais y lire la sincérité, parce que je ne pouvais pas l'imaginer avoir subi le même traitement que son frère... Il était lucide en dépit de ce problème de mémoire qui venait tout foutre en l'air... Mais moi... ? L'amour ne venait-il me rendre aveugle dans cette histoire ?

"Stop stop." suppliai-je en agitant mes mains dans les airs. "Arrête..."

Le calme revenait peu à peu... Mes sanglots avaient laissé des traces dans ma voix, mais ils ne venaient plus me malmener au point de me donner envie d'exploser.

"Mon... mon... coeur t'écoute mais... J'peux pas. J'peux pas prendre une décision seule. J'en suis... incapable..." avouai-je avec difficulté, les dents serrées.

Je n'étais pas apte. Plus le temps passait aux côtés de Jin et plus ma colère s'estompait pour laisser place à l'envie d'aller me perdre dans ses bras. C'était pour cette raison que je devais à tout prix m'entretenir avec Taiyo, et les autres... Pour avoir leur point de vue... Mais... est-ce que je ne gâchais pas la chance de ma vie en prenant cette décision ?

"Reste ici. J'paie l'auberge pour toi." déclarai-je soudain d'un air qui se voulait sérieux malgré le flux d'émotions qui me faisait trembler. "Je vais voir avec les autres, et on se donne rendez-vous... Sur la côte. Dans quatre jours."

Quatre jours pour réfléchir, discuter, évaluer... Quatre longs jours pour se décider après avoir exposé les faits... Quatre jours durant lesquels je comptais bien l'espionner, peut être même aux côtés de Taiyo...

Parce que c'était le seul moyen de vérifier de quel côté il se trouvait... Le seul moyen pour entrevoir un semblant d'avenir ensemble, à bord du Cursed Lotus.

Please have mercy on me

10ÈME MOIS DE L'ANNÉE 53 RW. [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]

Elle te supplie de te taire et tu obéis. Il faut dire que tu n'es pas au bon endroit pour te faire entendre, que ce n'est pas à toi de prendre la décision et que tu l'as déjà suffisamment faire souffrir pour te permettre de continuer. Tu restes immobiles, à quelques pas d'elle, bien trop loin pour ce que ton coeur désire, mais ton coeur n'est pas censé prendre part à la discussion. Tu attends, sage, montrant ta bonne volonté, même si au fond de toi, tu sais que tu joues ta dernière chance, ici et maintenant. Et vu comment c'est parti, tu sens que la réponse ne va pas te plaire, même si elle ne te surprendrait en rien.

Evidemment, la réponse c'est un non. Pas un non définitif, mais un non tout de même. Tu te rappelles que trop bien la bataille avec Taiyo, jamais il n'accepterait ton retour sur le bateau, même s'il ne t'a pas connu à l'époque, même si vous ne vous êtes jamais vraiment recroisé depuis votre tendre enfance, il te déteste, tu l'as bien vu. Et malgré toi, tu sens que tu ne l'apprécies pas beaucoup plus. Pourtant... tu ne te concentres que sur une seule chose : Ahloy a dit que son coeur t'écoutait. Son coeur continue de battre pour toi, même si tu ne le mérites pas.

« Bien sûr. » Tu acquiesces bien vite, mais tu n'as pas d'autre choix que d'être à ses pieds. Tu ne sias pas où sur la côte - et elle est sûrement large -, mais tant pis, tu feras, tu te débrouilleras, tu essaieras jusqu'au bout, parce qu'au point où tu en es, tu n'as plus rien d'autre à perdre. « Sur la côte, dans quatre jours. » Confirmes-tu en la regardant sans transmettre la peur de rater qui te serre le coeur.

Si tu t'en veux de la faire payer l'auberge à ta place, tu n'as plus la moindre pièce sur toi depuis des mois, alors tu ne peux pas lui proposer de le faire toi-même. « Mais les temps sont encore doux, je n'ai peut être pas besoin de dormir à l'auberge, laisse-moi dormir dehors ou chercher un habitant qui accepte de m'offrir le gite en échange de quelques travaux. » Pendant tes deux mois de marche, ça a été ton unique moyen de dormir ailleurs que par terre et, si tu acceptes cette humiliation-là, tu ne peux décemment pas être dans un tel état en rencontrant les autres membres de l'équipage. Il faudrait que tu sois au moins propre.

Please have mercy on me

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Il accepta mon offre, et mon coeur s'envola un court instant lorsqu'il valida notre date de rendez-vous, même si je n'avais pas été plus précise que ça. Nous allions l'espionner... alors, peu importait l'endroit où il allait finir par se rendre dans quatre jours au final. D'autant plus qu'il comptait rester dans le coin en attendant... Mais pas à l'auberge comme j'avais prévu, non, chez l'habitant, ou dehors, en fonction du bon vouloir des Esprits. Pourquoi est-ce que cette solution craignait à mes yeux ? J'avais la trouille qui lui arrive un truc, après tout ce qu'il venait de traverser ?

Bordel, je ne savais plus où j'en étais avec toutes ces émotions. Alors je soupirai, en agitant un peu la tête, les yeux fermés, pour tenter de retrouver un semblant de calme.

" Tais-toi, et prends ça." soupirai-je en lui lançant une bourse en tissu juste retirée de ma poche. "Libre à toi, d'la dépenser, ou pas, vraiment, je... "

A nouveau, je me sentis paumée, craignant de faire demi-tour sans pouvoir le revoir dans quatre jours par la suite. Le coeur commençait à dominer la raison... Il était l'heure de partir. Et vite. Avant de faire une belle connerie.

"Dans quatre jours. On te trouvera, pas besoin d'détails..." lançai-je alors en commençant à reculer lentement... Les yeux dans les siens, je me perdis quelques secondes... Sa chaleur... Ses bras... Ses mots... Son coeur battant au rythme du mien.

** Mais tire toi ! **

"Quatre... jours..." sussurai-je une dernière fois, avant de partir, le visage crispé par la tristesse et le regret, le palpitant à nouveau fissurer par cette énième séparation. Il allait devoir montrer patte blanche... Il le fallait... Il n'avait pas le choix s'il voulait survivre dans ce nouveau monde et effleurer le rêve du bout des doigts.