Une gerbe de soucis et de tilleul pour les belladonnes

🙤 Demeure familiale des Kuroda
🙤 An 53 R.W, mois 4, jour 06

Juan ne déteste pas Kaori. Quand bien même elle arrange actuellement un bouquet de fleurs de soucis et de tilleuls avec nervosité, avec toute la symbolique qu’il y a derrière, elle ne hait pas la femme qui tient entre ses mains le cœur de Takezo,

Elle l’envie. Elle la jalouse et qu’elle aurait ri lors de son mariage si quelqu’un avait prédit qu’elle ressentirait un jour de telles émotions ! Un sourire mélancolique étire ses traits alors qu’un seul regard dans l’un des miroirs sur le mur lui indiquent que ses yeux sont remplis de tristesse. Comment ne pourrait-elle pas l’être ?

Son mari en aime une autre depuis toujours et Juan a commis l’erreur de le laisser voler son cœur tout de même.

Juan ne l’a pas vu venir. Son amour pour Takezo a grandi au fil des ans, alors qu’elle découvrait les ombres de son âme et les acceptait, à défaut de pouvoir les chasser. Elle n’a pas les épaules pour se charger des situations sans issues et son époux en est une, à bien des égards. Pourtant, elle ne regrette pas de l’avoir demandé en mariage, acculée par la menace grandissante de l’emprise de son père. Pas alors qu’elle a eu un foyer dans lequel s’épanouir, une maison dans laquelle se réfugier, des enfants à aimer et à chérir comme elle aurait aimé l’être toute son enfance.

Pas alors qu’il lui suffit de voir le sourire de Takezo pour se sentir sereine.

— Je ne suis qu’une idiote.

Un soupir, avant qu’elle ne se détourne du bouquet pour s’installer à nouveau à la table où le thé infuse tranquillement. Peut-être est-ce une erreur d’inviter Kaori à boire le thé en sa compagnie, même si cela peut être – et sera sans doute - vu comme un moyen de garder contact entre les familles Kuroda et Sakai. Mais Juan en a besoin, égoïstement.

Il y a des problèmes sans solution qu’elle n’a pas la force d’affronter, mais elle ne pense pas que Kaori en soit un. Sinon, elle aurait accepté Takezo en mariage avant même que l’idée n’effleure l’esprit de Juan. Juan n’est même pas certaine que Kaori soit un problème.

Sa jalousie envers elle ? Certainement.

Juan s’extirpe de ses pensées lorsqu’une servante frappe à la porte, annonçant son hôte. Elle se redresse pour accueillir Kaori avec le sourire doux qui masque ses réelles pensées, l’invitant d’un geste de la main à s’installer à ses côtés.

Kaori est belle. Sans doute plus qu’elle.

Est-ce que son père l’aurait aimée si elle avait été aussi belle ?

Juan se retient de se pincer les lèvres pour chasser ses pensées amères. Elle a beau savoir que rien n’aurait pu pousser son père à l’aimer, parfois son cœur lui susurre le contraire, abîmé par des années de haine et de rejet.

— Bienvenue ! Je suis heureuse que vous ayez accepté mon invitation à prendre le thé. C’est un plaisir de vous recevoir. Je vous en prie, faites comme chez vous.

La maîtresse de maison se rassoit, poussant doucement une assiette de biscuits vers Kaori, avant de remplir sa tasse de thé.

Dans le dos de Juan, le bouquet paraît narguer l’invitée.

HRP:

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